Perfect days : You just keep us hanging on !

 

Tokyo – déjà filmé dans un film des années 80, Tokyo-Ga –, ses buildings, ses routes montantes, ses immenses ponts, ses parcs et ses toilettes publiques : voilà où se situe Perfect Days, l’un des deux films présentés à Cannes par Wim Wenders – l’autre étant Anselm – à suivre le quotidien d’Hirayama, 55 ans, employé municipal à leur nettoyage, personnage interprété par le doux Koji Yakusho – vu chez des grands tels que Shohei. Imamura (L’Anguille), divers Kiyoshi. Kurosawa ou Alejandro Gonzalez Iñárritu (Babel).

Ode à la nature, ode à la vie, de petits riens pour un grand geste et des images de poésie !

Chaque jour, ce durant douze jours, l’homme se lève, range sa couche, se brosse les dents, affine sa moustache, met sa salopette bleue qui porte le logo TTT (The Tokyo Toilet) de l’institution, arrose ses plantations, achète une canette qu’il boit à l’entrée dans sa petite fourgonnette bleue dans laquelle il écoute d’anciennes cassettes rock ou soul de toute une palette de chanteurs, groupes et leurs tubes ultra-célèbres (The Animals, The Velvet Underground, les Rolling Stones, Otis Redding, Lou Reed, Patti Smith, Van Morrison ou Nina Simone) et fait le tour des toilettes du quartier Shibuya, dont certaines sont des constructions hallucinantes d’architectes contemporains, en forme de cube de verre, d’énorme boule blanche, aussi écolos que surréalistes… L’homme, avec son attention particulière à la propreté et son grand et petit matériel pour accéder à toutes les zones de nettoyage, fait son travail avec une minutie et une constance rare pour un tel métier. Il est accompagné d’un jeune travailleur qui nettoie en même temps qu’il lit ses messages sur son portable, fait peu de rencontres car généralement les gens s’arrêtant aux WC ne le calculent pas, passe au bar du marché ou au restaurant où il a ses habitudes le week-end, quand il ne lit pas, chez lui, allongé, des romans achetés un dollar chez sa libraire – on verra passer du William Faulkner, du Patricia Highsmith et une romancière japonaise). Et… c’est tout. Perfect Days, ce road-movie urbain et solitaire que nous propose Wim Wenders détonne avec l’ensemble des films noirs, engagés, chaotiques… proposés dans ce 76e Festival de Cannes car il est une ode à la tranquillité, la sérénité, la nature, le repli délicat dans les petites choses simples du quotidien : et à avoir choisi cet homme modeste, il constitue un film anti-capitaliste et éloigné de toutes les considérations dans le mouv’ actuel ! Si le film est zen, de par le rythme de son récit, le calme de son personnage, la beauté de la nature entourante appréciée, la culture hors de tout réseau faite de musique et de littérature, il n’est pas pour autant ennuyeux ni lassant. Il est et nous montre ce qui est, et en ce sens, existe comme une œuvre poétique à part entière se suffisant à elle-même. Le film est en effet une balade (et une ballade) poétique, faisant le portrait d’un homme sans histoire, digne et souriant. Les plans le montrent attentifs aux autres ce que l’on voit dans ses saluts lorsqu’il rencontre d’autres gens qui mangent sur un banc au parc, ou dans l’attention qu’il porte à un moine bouddhiste qui passe ou à un illuminé des bois qui danse près d’un tronc. Wenders filme le petit trajet des émotions qui traversent le personnage, comme il filme ses trajets routiers ou pédestres, jamais sans écart. L’homme se contente, le film s’en contente et il nous contente : de petits riens qui sont au fond de grandes choses qui interviennent tout au long. Ainsi le don que fait Hirayama – plutôt que revendre à prix d’or ses cassettes audio – à son jeune collègue en manque d’argent, le papier laissé dans un recoin de toilettes à la manière d’un jeu qu’il remplit, l’accueil qu’il fait à sa nièce sont des signes de sa générosité et de son lien à la société, même s’ils ne sont pas ostentatoires. En vivant petitement, le personnage a pourtant accumulé beaucoup de choses, notamment des caisses de photos, telle est sa passion, en noir et blanc, qu’il range, trie, et qui viennent se mélanger à ses rêves la nuit ou les visions qui traversent régulièrement le film en superposition ou surimpression et noir et blanc : feuilles d’arbres superposées avec de floues silhouettes, mouvements d’un paysage concordant avec un son… Le personnage est habité, peut-être hanté même, ce que le choix de la répétition des images – notamment un plan panoramique sur la ville au coucher du soleil ou la vieille dame qui balaie le sol de sa rue – implique. On croisera sa sœur, on comprendra un malaise, on apprendra que le père est en difficulté dans un Ehpad, et l’ex-mari de la restauratrice annoncera son cancer entre deux cigarettes qui les étouffent, cela fait trop longtemps qu’ils n’ont fumé…

Un road-movie urbain, solitaire, mais tendre, délicat, pour deux heures zen et sans bla-bla.

« Il y a une maison à la Nouvelle-Orléans Que l’on surnomme la maison du Soleil Levant… », la maison de Hirayama n’a pas de nom mais il semble y passer des jours heureux car elle n’est « Rien qu’une journée idéale À boire de la calpis dans le parc Et plus tard, quand la nuit tombe, on rentre chez soi… ».Il aura fallu deux heures pour nous la faire partager, comme pour un Festival apaiser…

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RÉALISATEUR : Wim Wenders
NATIONALITÉ : allemande
GENRE : road-movie urbain
AVEC : Koji Yakusho, Min Tanaka, Arisa Nakano, Tokio Emoto, Tomokazu Miura, Yumi Asou, Aoi Yamada, Sajuri Ishikawa
DURÉE : 2h03
DISTRIBUTEUR : Haut et Court
SORTIE LE 29 novembre 2023