On the rocks : père et fille

On avait laissé Sofia Coppola sur une impression mitigée, celle laissée par son dernier film, Les Proies, remake de l’œuvre vénéneuse de Don Siegel, qui aurait dû représenter une synthèse de son œuvre car Sofia Coppola faisait s’y côtoyer Kirsten Dunst et Elle Fanning, ses précédentes muses. Or si Les Proies démontrait une exécution technique impeccable de la part de Sofia Coppola, justifiant par-là son Prix de la Mise en scène cannois, il est certain que ce remake était loin de distiller le même trouble poisseux que l’original. Avec On the Rocks, Sofia Coppola revient à sa thématique familiale de prédilection, en particulier le rapport père-fille, dont il est superflu de rappeler l’importance via l’existence d’un certain Francis Ford Coppola, sous l’angle inédit de la comédie pimpante et a priori légère, même si cette perspective n’exclut pas forcément une certaine gravité qui flotte en-dessous du rythme enlevé du film. 

Avec On the Rocks, Sofia Coppola rejoue sur un mode plus âgé et néanmoins mineur la relation père-fille de Somewhere, la dépendance réciproque existant entre les deux, l’un finissant par contrôler et manipuler l’autre.

Laura, écrivaine en manque d’inspiration, soupçonne Dean, son mari, d’infidélité. Elle appelle à la rescousse son père, Félix, dragueur narcissique impénitent, qui va la mener sur les traces d’un adultère supposé…

Avec On the Rocks, Sofia Coppola s’invente une nouvelle protagoniste-miroir en la personne de Rashida Jones, la fille de Quincy Jones, l’immense producteur de Michael Jackson et de Peggy Lipton (Norma Jennings dans Twin Peaks). Sofia Coppola a dû ressentir une certaine similitude de situations entre elle et Rashida, de fille à papa à une autre. Rashida Jones s’était auparavant illustrée dans quelques seconds rôles au cinéma (l’avocate dans The Social Network, une conquête dans Sexe entre amis) et également en tant qu’auteur pour la série anthologique Black Mirror (l’excellent épisode Chute Libre sur la dérive des réseaux sociaux, avec l’inénarrable Bryce Dallas Howard, autre fille à papa). Pourtant ce n’est pas lui faire injure que de constater que On the Rocks n’existerait sans doute pas sans la présence incroyable de l’immense Bill Murray qui donne presque à lui seul toute sa signification au film.

Il faut en effet attendre vingt bonnes minutes avant de pouvoir voir Bill Murray et autant dire que ces minutes paraissent fort longues, en dépit du rythme trépidant mené à vive allure par Sofia Coppola, tant elles relèvent du déjà-vu et déjà-filmé : une épouse s’ennuyant dans sa vie conjugale et finissant par soupçonner son conjoint d’adultère, voilà un début d’intrigue bien convenu et anecdotique. Dès que Bill Murray apparaît à l’écran, il confère une dimension tragi-comique à cette histoire, embarquant sa fille dans une aventure à la manière de Meurtre mystérieux à Manhattan de Woody Allen, avec son duo d’enquêteurs en vadrouille à New York et une histoire qu’on s’invente pour tromper l’ennui et servir de prétexte pour réunir des personnes longtemps éloignées l’une de l’autre.  

Car il ne faut guère longtemps pour comprendre que Felix, le père de Laura, est un dragueur impénitent, un pervers narcissique qui a toujours réponse à tout et n’hésite à reporter sa culpabilité de mari adultère sur son gendre, passant du temps à enquêter sur cette soi-disant affaire d’infidélité, pour confondre le possible reflet de celui qu’il a été. Felix, après avoir brisé son ménage pour une femme qui l’a ensuite quitté, est aujourd’hui plus seul que jamais et tente une opération de la dernière chance : renouer avec sa fille qu’il a pendant de longues années délaissée. Cet amour dévorant d’un père pour sa fille (« Une fille appartient toujours à son père…même après son mariage » entend-t-on pendant le générique de début) ne peut qu’évoquer pour un spectateur même distrait le trop-plein d’amour qui se déversait dans Toni Erdmann entre Winfried et Ines. En effet, la grande référence cachée de On the Rocks est sans nul doute Toni Erdmann, bien plus que Meurtre mystérieux à Manhattan, même si l’intrigue relativement anecdotique du film de Sofia Coppola n’atteint jamais les cimes existentielles de l’œuvre de Maren Ade.

Avec On the Rocks, Sofia Coppola rejoue sur un mode plus âgé et néanmoins mineur et anecdotique la relation père-fille de Somewhere, la dépendance réciproque existant entre les deux, l’un finissant par contrôler et manipuler l’autre (Elle Fanning manipulant son père dans Somewhere, Bill Murray menant en bateau sa fille dans On the Rocks). On peut certes regretter que, même si Sofia Coppola revient à ses thèmes familiaux de prédilection, elle demeure encore assez éloignée du niveau qu’elle avait atteint de Virgin Suicides à Somewhere, dans la description fine et sensible des émois et troubles des êtres humains, niveau qu’elle avait brutalement déserté dans The Bling Ring et Les Proies. En fait, le plus grand regret qu’on puisse émettre serait plutôt de constater que de jolis films d’auteur précieux et fragiles comme On the Rocks ou Marriage Story trouvent leur refuge non plus dans des salles de cinéma mais sur des plateformes de visionnage. On ne voit en effet pas trop pourquoi On the Rocks ne sera diffusé que via Apple TV + car il méritait bien davantage sa place sur grand écran que bon nombre de productions courantes écumant la planète.    

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RÉALISATEUR : Sofia Coppola
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Rashida Jones, Bill Murray
GENRE : Comédie dramatique
DURÉE : 1h36
DISTRIBUTEUR : Apple TV +
SORTIE LE 23 octobre 2020