Mon Crime : sororité, quand tu nous tiens

François Ozon n’est jamais vraiment là où on l’attend. C’est même l’un des rares cinéastes français à pouvoir se payer le luxe de surprendre presque à chaque film, qu’il délivre avec une régularité de métronome tous les ans. Lors de ces quatre dernières années, il a ainsi enchaîné un teen movie (Eté 85), un film sur la fin de vie (Tout s’est bien passé), un libre remake des Larmes Amères de Petra Von Kant de Fassbinder (Peter Von Kant) et enfin cette fois-ci une comédie facétieuse et féministe (Mon Crime) adaptée d’une pièce des années 30 : quatre films qui n’ont strictement rien à voir les uns avec les autres, au point qu’ils auraient très bien pu être signés d’auteurs différents. Qu’on apprécie ou non son travail, cette régularité dans la production et cette diversité dans l’inspiration finissent par forcer l’admiration. Avec Mon Crime, François Ozon renoue avec la veine baroque et théâtralisée de son oeuvre, lui ayant donné souvent ses plus grands succès populaires (Huit femmes, Potiche), jonglant avec l’artificialité volontaire et le surjeu joyeusement affiché.

Dans les années 30 à Paris, Madeleine Verdier, jeune et jolie actrice sans le sou et a priori sans talent, est accusée du meurtre d’un célèbre producteur. Aidée par sa meilleure amie et colocataire Pauline, jeune avocate au chômage, elle va se défendre et se montrer étrangement convaincante dans la salle du tribunal, ce qui va changer son destin. Avant que la vérité n’éclate au grand jour…

Un véritable festival de jeu de mots et de situations toutes plus drolatiques les unes que les autres, où les acteurs (en particulier les actrices) s’en donnent à coeur joie. C’est comme si dans un même film se croisaient Marilyn Monroe (Madeleine), Katharine Hepburn (Pauline) et…Sarah Bernhardt (Odette Chaumette, l’actrice qui va finir par s’accuser du crime).

Pendant la période de confinement, où, d’habitude suractif, il s’ennuyait ferme, François Ozon a découvert grâce au conseil d’un ami La Folle Confession (True Confession), un film de Wesley Ruggles avec Carole Lombard (To be or not to be) et Fred Mc Murray (Assurance sur la mort). Le film n’était pas très bon mais lui a quand même donné envie de découvrir la pièce originelle dont elle était adaptée, Mon Crime, de Georges Berr et Louis Verneuil, du théâtre de boulevard, drôle et efficace, qui lui a donné l’idée de la réadapter au goût du jour, en transposant le contenu assez misogyne et réactionnaire pour en faire un film complètement féministe.

En cela, François Ozon rejoint ainsi une ligne de force préexistante de son oeuvre, celle des adaptations de pièces de boulevard : Huit femmes de Robert Thomas ou Potiche de Barillet et Gredy. Tout comme dans ces pièces, Mon Crime affiche un humour décapant sur la société de l’époque ainsi qu’une véritable réflexion sur l’engagement des femmes dans cette société, au prix d’un immense travail de réécriture de la part de François Ozon. Sur ce matériau de départ, Ozon y greffe son amour indéfectible de la screwball comédie. A l’origine, l’avocat était un homme ; Ozon a eu la brillante idée d’y substituer une femme, un peu comme lorsque Howard Hawks a changé le sexe de Hildy Johnson dans La Dame du vendredi. Ce changement fondamental fait de Mon Crime, au lieu de la pièce conventionnelle et quelque peu réac qu’elle était, un hymne dépoussiéré à la sororité. Au lieu de se crêper le chignon, la blonde, la brune et la rousse vont s’allier pour extorquer de l’argent au patriarcat impuissant et défaillant.

A partir de là, Mon Crime devient un véritable festival de jeu de mots et de situations toutes plus drolatiques les unes que les autres, où les acteurs (en particulier les actrices) s’en donnent à coeur joie. C’est comme si dans un même film se croisaient Marilyn Monroe (Madeleine), Katharine Hepburn (Pauline) et…Sarah Bernhardt (Odette Chaumette, l’actrice qui va finir par s’accuser du crime). Les scènes à deux ou trois femmes représentent dans Mon Crime un régal complet, où Ozon atteint sans doute sa maestria de directeur d’actrices. Isabelle Huppert s’y montre en particulier époustouflante, dans le surjeu volontaire et assumé, donnant une jolie leçon in vivo de tempo et de comédie aux jeunes espoirs féminins du cinéma français, Nadia Tereskiewicz et Rebecca Marder, toutes les deux parfaites dans leurs rôles respectifs. Un passage de relais émouvant en filigrane alors qu’il se révèle avant tout jubilatoire. Le film va à l’opposé du cliché des femmes en concurrence et se battant entre elles, à la manière d’All about Eve de Joseph L. Mankiewicz. Bien au contraire, elles montrent une solidarité sans faille, devant des hommes dépassés ou stupides (belle prestation d’un Luchini exposant son côté lunaire, ou plus inattendue d’un Dany Boon explorant un accent marseillais éloigné de sa tendance naturelle). De plus, Mon Crime s’avère être une réflexion assez profonde sur la représentation et le spectacle. Les personnages principaux sont des actrices (ou avocates) et atteignent la plénitude de leur art lorsqu’elles s’épanouissent dans la promotion du mensonge. Madeleine devient ainsi une meilleure actrice lorsqu’elle doit plaider pour sauver sa vie, en s’accusant d’un crime qu’elle aurait commis en légitime défense, tout comme Ozon n’est sans doute jamais meilleur que lorsqu’il s’exprime de manière souterraine, en s’abritant derrière une pièce de boulevard.

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RÉALISATEUR : François Ozon  
NATIONALITÉ : française 
GENRE : comédie dramatique, policier, judiciaire. 
AVEC : Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussolier 
DURÉE : 1h42 
DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution
SORTIE LE 8 mars 2023