Moi Capitaine : un film aux louables intentions qui sombre avec son sujet

Étrange filmographie que celle de Matteo Garrone : à la fois cohérente, par la thématique sociale présente dans l’ensemble de ses films, mais très disparate par les genres abordés (le film de mafia avec Gomorra, la mythologie et le conte avec Tale of Tales et Pinocchio, la réflexion sur les ravages de la téléréalité avec Réalité, la tragédie sombre et désespérée avec Dogman). Malheureusement, le résultat a souvent été très inégal, malgré quelques belles réussites. Que le cinéaste transalpin s’empare de la question migratoire en Méditerranée dans son nouveau long métrage ne saurait alors surprendre. Pourtant, il faut bien l’avouer, Moi Capitaine est quasiment un naufrage.

Pourtant, il faut bien l’avouer, Moi Capitaine est quasiment un naufrage.

Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.

Afin de construire son long métrage, Garrone s’est beaucoup documenté et s’est inspiré de nombreux récits de personnes qui ont vécu la traversée de l’Afrique vers l’Europe. Il s’est même rendu à Catane dans un centre d’accueil de mineurs où il a pu écouter l’histoire vraie d’un jeune Africain qui, du haut de ses quinze ans, avait conduit un bateau jusqu’aux côtes italiennes, sauvant ainsi la vie de tous ses passagers. C’est cet aspect qu’a souhaité mettre en avant le réalisateur, le film étant tiré d’une histoire vraie : argument à double tranchant car ce qui est bien réel n’apparaît pas toujours comme tel à l’écran. Que Garrone ait souhaité sortir des clichés et de la vision occidentale pour adopter le point de vue des migrants (quitte à ne pas remettre en question la vision idyllique des pays d’accueil, bien réelle mais sans contrepoint ici) et qu’il ait voulu se focaliser davantage sur le périple (pour partie, dans le désert du Sahara) que sur les conditions d’arrivée sur les côtes italiennes est certes tout à fait louable.

Mais – Moi Capitaine venant s’ajouter aux nombreux exemples en la matière – les bons sujets ou les bonnes intentions font rarement de bons films

Mais – Moi Capitaine venant s’ajouter aux nombreux exemples en la matière – les bons sujets ou les bonnes intentions deviennent rarement de bons films. Si le regard de Garrone sur son sujet et ses personnages est inattaquable et témoigne d’un humanisme sincère (on pense notamment à la solidarité entre migrants, illustrée à de nombreuses reprises), le traitement fictionnel pose de nombreux problèmes. Le premier réside dans la « beauté » de la mise en scène. En effet, la photographie est soignée (à commencer par les plans nocturnes bleutés dans le désert). Cependant, indéniablement, elle dessert le propos et finit par rendre beau ce qui ne peut pas l’être, ce qui ne l’est pas. Pire, à mesure que les plans aériens se multiplient avec une insistance inutile, une très désagréable impression envahit alors le spectateur : celle d’assister à un reportage géographique. A ce titre, le Lion d’argent de la meilleure réalisation reçue à la dernière Mostra de Venise est très contestable (au même titre d’ailleurs que celui récompensant la mise en scène de La Passion de Dodin Bouffant à Cannes). Un autre problème se situe dans la représentation des péripéties que met en place le cinéaste. S’il aborde ainsi des moments horribles vécus par les protagonistes, les pires dangers, il prend bien soin de ne pas s’y attarder véritablement : c’est le cas de la torture en Libye. Là aussi, Garrone a sans doute raison de ne pas nous infliger ces scènes mais il en ressort, in fine, un angélisme et une volonté de « rendre joli » l’ensemble qui laissent pantois. Cette sensation est renforcée par le fait qu’il est également difficile de croire à certaines étapes de ce récit initiatique. Ainsi, Moi Capitaine finit malheureusement par franchir la frontière qui sépare une œuvre d’un humanisme généreux de celle qui ne serait que complaisance et mièvrerie gênante.

Pire, à mesure que les plans aériens se multiplient avec une insistance inutile, une très désagréable impression envahit alors le spectateur : celle d’assister à un reportage géographique

Autre souci majeur (et pas des moindres) de Moi Capitaine : les séquences oniriques et (censées être) poétiques, dont l’objectif affiché est de déplacer le long métrage vers le conte (genre que le cinéaste a déjà utilisé avec plus ou moins de bonheur). Or celles-ci ne fonctionnent pas et sont même ridicules et complètement artificielles (à l’image de Seydou tenant par la main une femme morte lors de la traversée du désert et qui finit par s’envoler littéralement). Le spectateur se demande alors ce que viennent faire ces moments déplacés dans un film qui a pourtant le souci du réalisme chevillé à la pellicule. Sans doute, le choix de traiter cette histoire par le conte, dans son intégralité, aurait été bien plus audacieux.

Toute la dernière partie sur le bateau piloté par Seydou condense tous les défauts du film. Malgré les souffrances endurées, le voyage semble bien se terminer puisque Seydou réussira à mener à bon port les réfugiés embarqués. Mais, refusant de montrer l’arrivée des migrants en « terre promise », en privilégiant le succès de l’entreprise, tout en ne souhaitant pas aborder non plus les lendemains difficiles qui attendent toutes ces personnes, Garrone nie en quelque sorte une réalité pourtant bien dramatique.

En définitive, si on peut comprendre la démarche du réalisateur et son souhait de garder espoir malgré tout, et si l’acteur principal (justement couronné à Venise dans la catégorie meilleur jeune espoir) constitue une (petite) révélation, force est de constater que Moi Capitaine est franchement raté, se révélant être une expérience assez pénible.

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RÉALISATEUR : Matteo Garrone
NATIONALITÉ :  Italie, Belgique, Luxembourg, France 
GENRE : Drame
AVEC : Seydou Sarr, Moustapha Fall, Issaka Sawadogo
DURÉE : 2h02
DISTRIBUTEUR : Pathé
SORTIE LE 3 janvier 2024