Ma vie, ma gueule : vivons heureux en attendant la mort

Sophie Fillières est connue du grand public, sans qu’il le sache forcément. En effet, elle interprétait la marraine de Daniel dans Anatomie d’une chute de Justine Triet, présence discrète qui aurait peut-être occupé une plus grande place, si Sophie Fillières n’avait déjà été atteinte des stigmates de la grave maladie qui allait l’emporter quelques mois plus tard. Présenté en ouverture exceptionnelle de la Quinzaine des Cinéastes, son dernier film, et, par la force des choses, posthume, dont le montage a été supervisé par ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer, Ma vie, ma gueule dresse un autoportrait lucide de l’artiste en femme de cinquante-cinq ans, craignant la mort et n’hésitant pas à profiter, tant bien que mal, de la vie.

Barberie Bichette, qu’on appelle à son grand dam Barbie, a peut-être été belle, peut-être été aimée, peut-être été une bonne mère pour ses enfants, une collègue fiable, une grande amoureuse, oui peut-être… Aujourd’hui, c’est noir, c’est violent, c’est absurde et ça la terrifie : elle a 55 ans (autant dire 60 et bientôt plus !). C’était fatal mais comment faire avec soi-même, avec la mort, avec la vie en somme…

Un beau témoignage sur les affres de la vie des femmes de plus de cinquante ans, s’inspirant de certains sommets de l’oeuvre allenienne, entre existentialisme et humour très noir.

Il est difficile de ne pas penser à Woody Allen, en particulier à Une Autre femme ou Blue Jasmine, devant cet autoportrait de femme d’âge mûr. Car Sophie Fillières dresse sans s’en cacher un bilan de vie, sentimental, familial et professionnel à travers le personnage fictif de Barberie Bichette, poètesse à ses heures perdues, se livrant à des séances loufoques de psychanalyse et ne sachant plus comment aborder sa vie amoureuse. On ne peut s’empêcher non plus de songer à Pierre Desproges devant ce constat lucide, amer mais non dénué d’humour et d’espoir. On retrouve ici avec plaisir le discret surréalisme dont Sophie Fillières aimait saupoudrer ses films, cette ironie légère qui fait penser que l’humour est réellement ici comme jamais la politesse du désespoir. On frissonnera également lorsque Barberie n’hésitera pas à énoncer : « je ne veux pas mourir, je ne suis pas encore prête« .

Agnès Jaoui y interprète un parfait alter ego de la réalisatrice, elle que son partenaire des jours heureux, Jean-Pierre Bacri, a abandonné pour d’autres cieux. C’est donc aussi un festival Agnès Jaoui, mélangeant une noire mélancolie et un humour salvateur. Certes, ceux qui sont réfractaires à l’équilibre fragile et précaire du style de Sophie Fillières ne changeront sans doute pas d’avis, tant les dialogues semblent parfois marqués du sceau de l’improvisation et auraient pu bénéficier d’une finition que la mort n’a peut-être pas autorisée.

Néanmoins, Ma vie, ma gueule demeure un beau témoignage sur les affres de la vie des femmes de plus de cinquante ans, s’inspirant de certains sommets de l’oeuvre allenienne, entre existentialisme et humour très noir.

3.5

RÉALISATRICE : Sophie Fillières 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie dramatique 
AVEC : Agnès Jaoui, Philippe Katerine, Edouard Sulpice, Angelina Woreth, Valérie Donzelli, Emmanuel Salinger, Laurent Capelluto
DURÉE : 1h39 
DISTRIBUTEUR : Jour2fête
SORTIE LE 18 septembre 2024