Les Chroniques de Darko – Jouer avec le feu : quand couvent les braises de la violence

C’est à un duo de réalisatrices que nous devons ce film qui a obtenu le prix du meilleur acteur pour Vincent Lindon au dernier Festival du Film de Venise. L’action se situe dans la banlieue de Metz en Lorraine où Pierre, agent ferroviaire pour la SNCF, éduque seul ses deux fils d’une vingtaine d’années. Le cadet semble promis à de hautes études et obtient son inscription à la Faculté de Lettres de la Sorbonne, devant ainsi déménager à Paris. L’aîné, quant à lui, est plus attiré par le sport et notamment par le football auquel il joue pour une petite équipe locale. Il est censé passer son diplôme de métallurgiste. Les deux frères semblent donc voués à des ambitions complètement opposées mais s’entendent cependant à merveille entre eux. La réalisation s’intéresse plus particulièrement aux gestes et aux visages qu’elle suit et fixe avec attention. Gestes de tendresse – accolades, embrassades – ou gestes de la vie quotidienne qui nourrissent une relation solidaire. Visages reflétant l’amour, la violence ou l’incompréhension.

Celle de Pierre à l’égard de son fils Félix dit Fus lorsqu’il découvre que ce dernier fréquente un groupe d’ultra-droite côtoyant le milieu du foot venant le saluer à la fin du match ou dans les tribunes, avant de le suivre jusqu’à une salle de sport où se dispute un combat sanglant entre deux adversaires et qu’il voit le visage déformé par la fureur de son aîné. Seul combat auquel nous assistons – hormis les images d’émeutes sur Internet – car la réalisation prend d’emblée le parti de ne pas nous montrer de scène de combat auquel participe Félix, préférant resserrer son intrigue autour de la relation père-fils. Parti pris dommageable dans le sens où il ne nous permet pas d’observer la progression de la violence chez le personnage très bien interprété par ailleurs par Benjamin Voisin, qui ne se laisse voir qu’à travers ses conséquences les plus manifestes – Félix rentre un soir chez lui après avoir été tabassé et doit faire un séjour à l’hôpital.

La violence semble être accidentelle et ne frapper qu’au hasard, sans explication aucune.

La tension dramatique du film en pâtit. La violence semble être accidentelle et ne frapper qu’au hasard, sans explication aucune. Les personnages du camp fasciste ou néo-nazi prennent rarement le cadre et sont même mis parfois hors du champ de la caméra, repoussé aux franges de l’image – cf. la scène du tatouage. Cette occultation du mal fait qu’une menace sourde pèse tout au long du film sur l’équilibre familial entretenu par les enfants avec leur père – Louis le cadet est évidemment impacté par le destin de Félix – mais jamais n’éclate véritablement. Seul le couperet final de la justice – souligné par l’ellipse temporelle avec la séquence précédente – agit comme un révélateur sur le spectateur. Dès lors, l’émotion peut agir comme catharsis.

Et en effet, aucune explication n’est donnée pour saisir le geste de Félix et sa montée inexorable dans la haine et la violence. Cependant qu’un débat entendu à la radio et un reportage à la télévision semblent vouloir établir un constat accablant pour la jeunesse: une jeunesse désenchantée, qui a rompu avec les partis politiques traditionnels, qui ne croit plus en la justice –comme le scande Félix, et qui a peur – la peur est encore le meilleur moyen d’expliquer la haine de l’étranger – de tomber dans la précarité. Félix parle ainsi de chair à canons pour désigner ceux qui, comme lui, sont destinés à l’usine et/ou au chômage. L’éducation, l’attention donnée à ses enfants, l’amour qu’on leur porte : tout est balayé d’un revers de main comme si cela ne suffisait pas. Constat pessimiste, à peine nuancé par l’avenir plein de promesses qui s’ouvre à Louis, histoire de racheter la faute – car le père endosse lui aussi le poids de la culpabilité – des deux autres. Un duo d’acteurs qui sauve un film dont on serait en droit d’attendre plus de profondeur d’analyse et de réalisme. Le sujet était pourtant prometteur.