Les Chroniques d’Ana : retour sur Plumes. Sauve qui poule!

Qu’elle était bonne cette idée de transformer un homme en… poule ! Dans une Égypte contemporaine, fait de 2 pièces et demi, ce logis délabré et sale ressemblerait à un décor de cinéma – sans compter le quartier nomadland qui laisse entrevoir de la fenêtre des tours d’usine monstrueuse – sauf qu’il peut s’agir d’une maison insalubre dans laquelle bon nombre d’Égyptiens pauvres habitent. Une famille composée d’un mari pas bien joyeux voire rigide, d’une mère étouffée et passive et de leurs trois enfants en bas âge (dont un nouveau-né), posés devant un téléviseur où défilent des dessins animés (américains hurlant) : difficile de joindre les deux bouts, mangent-ils à leur faim (ou que mangent-ils), le docteur peut-il les soigner (ou peuvent-ils faire appel à lui), mais comme dans ces cultures, à l’approche de l’anniversaire du plus grand garçon, ce sera abondance et spectacle, en la présence d’un patron dont on attend un bon bakchich, fête et fidélité oblige, à la manière des mafias familiales. Clou du spectacle, un tour de magie dans une boîte, et hop, le maître des lieux disparaît, pour ne réapparaître… jamais sous la forme humaine qu’on lui connaissait… Sur le lit marital, les plumes d’une poule, dans la pièce, il faudra courir après ses cris, avec de l’argent qu’on n’a pas, tenter de ressusciter l’homme…

Passés la kyrielle d’émotions tout aussi décalées les unes que les autres – rire, surprise, inquiétude, doute, fierté jusqu’à l’angoisse –, c’est la conscience tragique que la mère devra assurer le gîte et le couvert, trouver de l’argent donc un emploi pour subvenir aux besoins de la famille recomposée (le galliforme en plus) en plus de tenter de retrouver son mari, du moins dans sa forme originelle. C’est donc avec plusieurs registres que joue le récit, partant du burlesque en passant par le satirique avant d’en arriver à l’absurde, pour peindre le tableau d’une société patriarcale dont le film se moque pourtant, même si ce sont bien les hommes qui ont le pouvoir, y compris quand ils sont poule – car comment déguster sa poule de mari au pot ? Par ailleurs, bien qu’on sente la blague arriver, dans cette mise en abyme du spectacle (que voit le spectateur des convives qui sont en train d’assister au spectacle de magie), la rapidité avec laquelle se déroule la métamorphose est déroutante, tant la scène et l’image sont remplies durant ce moment clé (le nombre de personnages, le bruit, la joyeuse folie et son mouvement). On voudrait bien revenir en arrière, mais trop tard, il faudra faire avec, comme l’héroïne, et ses deux enfants qui ne comprennent pas non plus tout à fait ce qui s’est produit – imaginez votre conjoint se transformer sous vos yeux en caniche lors d’une soirée anniversaire de votre mère. Après la folie de l’événement, les plans se fixent sur les personnages regardant la poule vivre chez eux ou sur la poule elle-même tentant de survivre dans ce contexte non animalier, quoique…

Bien que l’actrice Demyana Nassar, qui incarne le rôle de la mère, fasse de son mieux, le choix de mise en scène la porte vers une activité de survie et d’émancipation, qui, si elle montre sa ténacité, maintient l’ambiance du film dans une passivité et plombe tout espoir de redynamiser le récit. Le jeu surréaliste sur les plans – des morceaux de corps, poisson éventré ou mort-vivant – est un premier révélateur de l’état de décomposition de la société égyptienne dans le regard d’Omar El Zohairy, ce que l’on voit aussi à travers l’usage à l’image de la poussière (de la saleté), du feu (dès la première scène avec l’immolation), de la fumée (des usines) ou du vent (du désert) : eux bougent naturellement pendant qu’elle doit se réveiller, déprimant. Car si la mère fait bien le job, en décuplant les idées pour résoudre ses nombreux problèmes, ce seront également les galères qui se démultiplient (à n’en plus finir), et une dénonciation du manque de valeurs de ceux qui pourraient l’aider, préférant le profit à la solidarité. C’est alors du côté critique que bascule le film, qui dès le départ, par métaphore, venait mettre en doute l’honnêteté de la cérémonie – au passage le magicien après avoir rapidement testé la réhumanisation se casse, dans l’impossibilité de rattraper la boulette –, montrant que les rituels et leur irrationnalité, dont la culture égyptienne est fervente, amènent au pire (au meilleur, tout dépend !). La morale (masculine) que présente le récit en plus d’être tout à fait relative est brutale ce que l’on voit à travers les paiements qu’effectue l’épouse. Brutal, le film l’est malgré son ambiance molle et sa neutralisation de toute émotion (colère, tristesse, révolte) chez elle ou les enfants, comme si aucune chance de succès n’était possible, face à l’absurdité, et par la répétition de gestes et de comportements pas si aidants.

Oh un rhinocéros s’est transformé en Oh une poule dans une société qui déshumanise tous ses membres, les femmes au premier chef, et qui, si elle nous montre les Temps modernes d’une épouse en train de s’émanciper, laisse un goût plus amer qu’acidulé… avec ses plans vides sur un vide qui dévaste une famille et sa société, malgré son âne bâté et sa poule (pas) mouillée… et qui ne font finalement pas tant rire ses enfants trop muets… ni nous, déplumés…