L’Empire : trouble dans la force

Sur son cheval, le cavalier du Mal ne tourne pas autour du pot : « mais les humains, Jony, ils sont nuls ». De l’autre côté de la force, le Bien a sa propre lecture : nous sommes attachants, cocasses, et vains. Et puis il y a la réalité de notre condition humaine, entre corps et pensée. Que nous soyons magnifiques ou médiocres, le Bien et le Mal s’accordent néanmoins à reconnaître la fatalité de leurs existences : ils ont besoin de nous. L’humain ou le néant. Après la science-fiction burlesque avec la série Coincoin et les Z’inhumains, le cinéaste Bruno Dumont continue son exploration du genre avec L’Empire, un space-opéra tout en décalage où se côtoie l’immense et l’infime. Et au milieu de tout ça, une émotion bien humaine : l’ennui.

Dans une galaxie lointaine, le Bien et le Mal s’affrontent. Leurs regards sont tournés vers la Terre, là où vit un enfant tout ce qu’il y a de plus normal, en apparence tout du moins : il s’agit de l’adversaire ultime du Bien, le Margat, à comprendre l’Antéchrist. Encore en devenir, le petit vit quelque part dans une ville côtière du Nord de la France avec sa grand-mère et son jeune père pécheur. Innocent, il ignore encore que son rôle est d’asseoir le pouvoir du Mal sur Terre. Pendant ce temps, après avoir enquêté sur les étranges pluies de « glu-glu » (Coincoin et les Z’inhumains), les gendarmes Van der Weyden et Carpentier enquêtent sur des cas de têtes tranchées. La guerre approche.

Pour ou contre, L’Empire n’en reste pas moins unique en son genre, un vrai OVNI cinématographique dans le ciel étoilé du cinéma français.

A plusieurs parsecs de la saga Star Wars, L’Empire de Bruno Dumont fait figure d’extraterrestre. Une œuvre à la confluence entre science-fiction, comédie décalée et cinéma naturaliste. Sur les pas de La Guerre des Etoiles, le film brouille la dualité, nette et sans contraste, de son modèle et fait du dérèglement de la force son sujet central. Comme bien souvent chez le cinéaste, la nuance est avant tout une affaire de vents contraires : le chaos et l’ordre, l’amour et la fureur, l’intelligence et la bêtise. Chaque camp a son propre corpus moral, sa boussole de ce qui est bien et mal (pour lui), mais aussi son identité. On découvre ainsi une majestueuse chapelle spatiale, un vaisseau vertical lumineux et plein de grâce, dirigé par l’actrice Camille Cottin, reine du camp du Bien. Un lieu d’élévation et de partage qui contraste avec son support sur Terre : un blockhaus au beau milieu d’un champ. Dans le camp opposé, Fabrice Luchini, tout en excès, incarne un Belzébuth déguisé en Dom Juan façon Louis Jouvet. Son vaisseau horizontal est un véritable palais royal, un petit Versailles qui flotte en quête de toujours plus de noirceur.

Face à ce combat idéologique aux pensées calculatrices, un rempart implacable : les humains, singuliers, pétris de contradictions, de désirs, d’amour et de spontanéité. Ils se fichent de ce duel supposément primordial, tout est déjà là, en eux. Un maelstrom intérieur qui emporte tout sur son passage, arrachant les certitudes et le politiquement correct, ne laissant qu’un grand bric-à-brac des possibles. Tout peut cohabiter dans les êtres qui peuplent la galaxie Dumont, une sorte de grand théâtre du banal où tout se mélange, le Bien et le Mal, les acteurs professionnels et non professionnels. Un projet stimulant, qui de sa réalisation soignée (mention aux très réussis effets spéciaux) à son casting hétéroclite, brille par sa singularité et son jusqu’au-boutisme. Le hic, c’est que derrière sa belle plastique et son discours naturaliste, L’Empire manque de force. Comme les gendarmes, réduits à des apparitions, on tourne en rond. Cherchant son comique dans le pastiche d’un genre, le décalage de sa géographie et de ses situations, le film parvient à insuffler une forme d’authenticité, mais peine sérieusement à faire rire ou à donner de la chair à ses personnages. Après avoir poussé à son paroxysme son univers burlesque avec Coincoin, le réalisateur nous propose une variation assagie, moins rythmée, comme écrasée par le poids d’un projet qui peine, peut-être, à ménager l’étrange association des genres. Pour ou contre, le film n’en reste pas moins unique en son genre, un vrai OVNI cinématographique dans le ciel étoilé du cinéma français.

2.5

RÉALISATEUR : Bruno Dumont
NATIONALITÉ :  France, Allemagne, Italie, Belgique, Portugal
GENRE : Comédie dramatique
AVEC : Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Fabrice Luchini
DURÉE : 1h50
DISTRIBUTEUR : ARP Sélection
SORTIE LE 21 février 2024