Le Tourbillon de la vie : hasards et coincidences

Depuis qu’Olivier Treiner a remporté en 2012 le César du meilleur court métrage avec L’Accordeur, son premier long métrage était attendu avec intérêt. Dix ans plus tard, Le Tourbillon de la vie est ainsi également une histoire de musique, mais surtout d’enchevêtrements de destins et de possibilités, renvoyant à la thématiques des vies alternatives, récemment modernisée sous l’appellation de multivers. Le film surprend par son incontestable maîtrise formelle (fluidité de la réalisation et du montage) et sa direction d’acteurs, mais déçoit malheureusement par son contenu fortement mélodramatique et trop axé sur les bons sentiments.

Les grands tournants de notre existence sont parfois dus à de petits hasards. Si Julia n’avait pas oublié son passeport, elle aurait passé sa vie à Berlin. Si elle n’avait pas fait tomber son livre ce jour-là, aurait-elle croisé Paul ? Ou sa vie aurait-elle pris une toute autre direction ? Si à l’occasion d’un pari stupide, elle n’avait pas eu d’accident de moto, sa vie en aurait été toute changée. Aurait-elle été plus heureuse pour autant? Nos vies sont faites d’infinies possibilités. Pour Julia, il suffit d’un petit rien tellement de fois ; tous ces chemins qu’elle aurait pu suivre, toutes ces femmes qu’elle aurait pu être… Choisit-on son destin ? A quoi tiennent l’amour ou le bonheur ?

Brillant sur la forme, relativement creux quant au fond, Le Tourbillon de la vie laisse une impression pour le moins mitigée qui permet néanmoins d’espérer que Olivier Treiner pourra mettre sa virtuosité stylistique au service d’un contenu moins convenu.

Sur le papier, Le Tourbillon de la vie semble être un film extrêmement ambitieux, brassant quatre destins parallèles de la même personne, Julia, pianiste surdouée. Selon les événements qui lui arrivent (un oubli de passeport, des livres qui tombent dans une librairie, un accident de moto), une autre version d’elle-même naît. Quatre Julia vont donc cohabiter dans ce film, quatre versions différentes de la même personne, dont nous allons suivre les destins parallèles : Julia 1, la concertiste solitaire, qui va devenir célèbre, Julia 2, la pianiste prometteuse qui s’enlisera dans une vie de famille ; Julia 3, la pianiste qui, à la suite d’un accident, va devenir professeur de musique et chef de chorale et n’aura pas d’enfants ; Julia 4, celle qui a pu aller à Berlin et s’y installer pour y vivre. Saluons l’ambition du dispositif scénaristique qui brasse quatre trajectoires parallèles, là où la plupart des films s’arrêtent à deux, voire au maximum, trois. On peut citer entre autres Le Hasard de Krzystztof Kieslowski, L’Ironie du sort d’Edouard Molinaro, Pile ou face de Peter Hewlett, Cours, Lola, cours de Tom Twyker, et surtout Smoking/No Smoking, le diptyque facétieux d’Alain Resnais, qui montre combien un simple geste, accompli ou non, peut avoir des répercussions sur le destin ultérieur, Depuis le multivers a popularisé ce concept de vies alternatives et l’a même multiplié avec Everything, everywhere and all at once des Daniels.

Reconnaissons que la mise en scène, d’une belle fluidité narrative, se trouve à la hauteur du concept, nous permettant d’aller d’une Julia à une autre, sans jamais perdre le fil et nous tromper sur la vie en question. En l’occurence, Olivier Treiner avoue s’être inspiré d’un passage précis de L’Etrange destin de Benjamin Button de David Fincher, film assez méconnu, qui évoque dans le style de Jean-Pierre Jeunet les différentes possibilités qui auraient pu se déployer à partir d’une seule situation, en les mettant en parallèle grâce à un montage vif et spectaculaire. Olivier Treiner reprend ce même procédé et le renforce grâce au jeu de ses comédiens, entre autres, Esther Garrel, toujours d’une grande justesse, Grégory Gadebois, émouvant, et en particulier une Lou de Laâge (révélée par Le Bal des folles de Mélanie Laurent et très attendue dans le prochain et peut-être dernier Woody Allen), dont la voix grave rappelle à de maintes reprises Jeanne Moreau, ce qui explique également le clin d’oeil du titre du film.

En fait, Olivier Treiner évacue assez vite le destin de la Julia berlinoise qui ne reviendra dans l’intrigue qu’à l’occasion d’un événement tragique. Restent donc trois destins dont on se demandera lequel finira par surnager. Comme dans une compétition, ce n’est pas forcément celle qui est dotée des meilleurs atouts qui se verra récompensée à la fin. Le message du film consistera à privilégier la personne a priori la plus démunie et qui aura donné le plus dans sa vie, sans vouloir prioritairement s’autosatisfaire, ce qui représente plutôt une jolie leçon à la Capra. Malheureusement, Treiner, au lieu de s’inspirer de la rigueur ludique d’un Resnais, a préféré être influencé par les lieux communs et la philosophie de bazar d’un Claude Lelouch. Hormis le fait que le hasard est souvent injuste (ce qui ne surprendra personne) et que les destins ne suivent pas une trajectoire rectiligne et s’inversent parfois, ce film ne vous apprendra pas grand-chose sur le hasard, le destin et leurs coïncidences. Par conséquent, Le Tourbillon de la vie avancera à chaque fois par coups de force scénaristiques et mélodramatiques, assez ordinaires (accident de la circulation, deuil) et surtout d’une totale vacuité, obligeant l’actrice principale à forcer son jeu et à le faire basculer dans le larmoyant. On peut même s’étonner que dans sa dernière ligne droite, Treiner laisse tomber l’analyse comparative des destins, (on ne sait donc comment finissent les vies de trois sur quatre Julia), pour se concentrer uniquement sur la plus méritante, même si aucune des trois autres ne terminent en fait dans le malheur, ce qui tient lieu de conclusion unanimiste, lénifiante et un peu trop réconciliatrice.

Brillant sur la forme, relativement creux quant au fond, Le Tourbillon de la vie laisse une impression pour le moins mitigée qui permet néanmoins d’espérer que Olivier Treiner pourra mettre sa virtuosité stylistique au service d’un contenu moins convenu.

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RÉALISATEUR : Olivier Treiner 
NATIONALITÉ : française 
GENRE :  Drame 
AVEC : Lou de Laâge, Raphael Personnaz, Isabelle Carré, Grégory Gadebois, Denis Podalydès, Esther Garrel, Sébastien Pouderoux, Aliocha Schneider. 
DURÉE : 2h01 
DISTRIBUTEUR : SND 
SORTIE LE 21 décembre 2022