Le Garçon et le Héron : la nouvelle lettre d’adieu de Miyazaki

Sorti dans l’anonymat le plus total au Japon en juillet dernier (mais ayant tout de même fait un score plus qu’honorable au box-office), le dernier film du studio Ghibli Le Garçon et le Héron de Miyazaki vient de sortir en France. Le long métrage adapte de manière très libre le roman Et vous, comment vivrez-vous ?, qui est d’ailleurs le titre japonais du film. Initialement prévu pour 2020, puis plusieurs fois repoussé, il sort finalement en 2023. Cela fait 10 ans depuis Le Vent se lève, considéré pendant un temps comme le dernier long métrage du réalisateur, qu’on n’avait pas eu un nouveau film réalisé par Miyazaki lui-même. Pour la bande originale du film, il s’accompagne à nouveau de Joe Hisaishi, son ami compositeur de longue date, mais aussi de Takeshi Honda comme directeur de l’animation (notamment connu pour son travail sur Neon Genesis Evangelion, Perfect Blue ou encore Les Contes de Terremer et La Colline aux coquelicots tout deux réalisés par Goro Miyazaki, le fils d’Hayao Miyazaki).

Le Garçon et le Héron raconte l’histoire du jeune Mahito durant la Seconde Guerre Mondiale. Après la perte de sa mère dans un incendie, Mahito et son père déménagent de Tokyo pour le village natal de sa mère. En visitant les alentours de sa nouvelle maison, il fera la rencontre d’un mystérieux héron. Cet événement l’emmènera à entrer dans une tour abandonnée et lui fera découvrir un monde onirique et fantastique.

On parle donc de mort, du deuil et de la reconstruction dans ce film. On peut donc le voir comme une lettre d’adieu de Miyazaki envers ses proches et ses fans.

Le film a nécessité trois ans de travail supplémentaire que ce qui était prévu au départ. Heureusement, ce temps supplémentaire est bien visible à l’écran. La beauté des décors, la fluidité des mouvements lors de certaines séquences, mais aussi l’animation hyper-réaliste lors du premier tiers du film prouvent que le travail sur le film a été colossal. Ce dernier film de Miyazaki est une lettre d’amour à l’ensemble de sa filmographie, jusqu’à faire écho à d’autres de ses œuvres. Que ce soit le voyage onirique à la Chihiro, ou encore les Warawara, créatures dont le design ressemble à celui des Kodama de Princesse Mononoké, en passant par une citation directe du film Le vent se lève. Ses thèmes préférés sont eux aussi repris ici. Le deuil, l’écologie, la guerre, l’enfance et l’exploration ont tous une part plus ou moins importante dans l’œuvre.

La première partie du film se veut plus contemplative que le reste, on découvre la campagne japonaise à travers de nombreuses séquences sans dialogue. Le tout sera rompu par l’arrivée du héron et de la tourmente qu’il introduira dans le cœur de Mahito en lui indiquant que sa mère est toujours vivante et qu’il lui suffit de le suivre dans la tour pour la voir. La seconde partie du film, quant à elle, se déroule à l’intérieur de ladite tour pour une quête onirique à la recherche de sa belle-mère, portée disparue quelques instants plus tôt. Mahito fera donc la rencontre de plusieurs personnages et d’un peuple vivant à l’intérieur de cet univers.

Le Garçon et le Héron enchaîne les idées visuelles à toute vitesse, notamment avec la scène d’introduction représentant un incendie à Tokyo et Mahito courant dans les rues à toute vitesse. La séquence, dont l’animation semblerait être faite en rotoscopie, augmente grandement la fluidité des mouvements tout en rendant l’ensemble peu compréhensible si pris frame par frame (les visages des passants sont déformés et se mélangent à la fumée et aux ombres). Plus tard dans le film, le style réaliste laisse place au merveilleux et à l’horreur par exemple avec les perruches soldats mangeuses de chair humaine.

Si visuellement le film se décompose en deux parties, du point de vue de la narration, on se rapproche plus d’un ensemble de séquences mises bout à bout, presque sans ordre particulier mais toujours selon la volonté de Miyazaki. ­­Mahito va passer de monde en monde à la recherche de sa tante/belle-mère et cela sans trop de lien entre chacun. L’imaginaire typique des films du studio Ghibli se retrouve ici trop dilué et dépourvu de ligne directrice. Il n’existe pas de fil conducteur dans le périple de Mahito. Le héron qui est là comme élément perturbateur dans la première partie, devient un simple side-kick rigolo dans la seconde.

Le plus important à savoir avant de voir le film, est que Miyazaki l’aurait conçu pour préparer son petit-fils à sa future mort. On parle donc de mort, du deuil et de la reconstruction dans ce film. On peut donc le voir comme une lettre d’adieu de Miyazaki envers ses proches et ses fans, tout en laissant le champ libre à son petit-fils et nous par extension, pour développer nos univers à notre façon, en se basant, ou non sur les conseils de nos ainés. Ne pas avoir ces informations, peut rendre le visionnage du film plus brut et moins facile, en nous laissant trop étranger à l’histoire qui nous est racontée, alors que c’est l’exact inverse qui est souhaité par le réalisateur.

Finalement, Le Garçon et le Héron est le nouveau chant du cygne de Miyazaki offrant au spectateur plusieurs niveaux de lecture. On suit les péripéties de Mahito, mais aussi la trajectoire du réalisateur et la vision qu’il a de son propre avenir et de celui de ses œuvres. Mais même si ce film traite au fond de la fin de sa carrière, cela ne l’empêche pas de déjà travailler sur la suite : Miyazaki serait déjà à l’œuvre sur de nouvelles idées à mettre en images.

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RÉALISATEUR : Hayao Miyazaki
NATIONALITÉ :  japonais
GENRE : fantastique, historique
AVEC : Sōma Santoki, Masaki Suda, Kō Shibasaki, Aymon
DURÉE : 2h05
DISTRIBUTEUR : Wild Bunch
SORTIE LE  1er novembre 2023