Le Divorce de mes marrants : itinéraire d’une enfant pas gâtée

Il suffit d’un premier plan, d’une jeune femme qui sourit à la caméra, silencieuse, tout en nous hélant en voix intérieure, interpellant le spectateur, un peu à la manière du début d’Annie Hall, pour se rendre compte que le film que nous allons voir ne va pas vraiment être comme les autres. On vérifie alors le genre du film, croyant avoir halluciné. Eh oui, il s’agit bien d’un documentaire mais ce n’est pas la seule surprise que Le Divorce de mes marrants, film aussi drôle que son titre, vous réservera. Jamais sans doute vous ne verrez un documentaire aussi cocasse ET tragique que celui-ci, à moins que Romy Trajman (la jeune femme en question) et Anaïs Straumann-Lévy ne lancent toute une nouvelle vogue de documentaires autofictionnels et musicaux qui suivront. Car Le Divorce de mes marrants, c’est un OVNI égaré entre documentaire et fiction, un film raconté à la première personne du singulier sur la généalogie d’une vie, recourant aux moyens de la fiction pour mieux faire passer la pilule de témoignages déchirants sur la bipolarité ou la Shoah.

Romy Trajman, jeune artiste polyvalente, s’interroge sur le traumatisme que le divorce de ses parents a pu lui occasionner, en particulier par rapport à ses relations avec les hommes. Entre son père, peintre souffrant de bipolarité, et sa mère, chanteuse-comédienne hyperactive, il n’a pas été facile à la petite Romy de trouver sa place. Lorsqu’elle renouera définitivement avec son père et qu’elle essaiera de reconstituer son héritage familial, elle ne sera pas au bout de ses surprises…

Le Divorce de mes marrants, c’est un OVNI égaré entre documentaire et fiction, un film raconté à la première personne du singulier sur la généalogie d’une vie, recourant aux moyens de la fiction et de la comédie musicale.

Si Le Divorce de mes marrants s’avère aussi poignant, c’est qu’il relève de la quête existentielle pour Romy Trajman. Pour elle, un trou noir résume la moitié de sa généalogie car depuis une dizaine d’années, depuis ce fameux divorce, elle n’a quasiment pas vu son père ni toute la partie paternelle de sa famille. Elle se demande dans quelle mesure cette triste et regrettable omission l’a quelque peu handicapée dans sa vie. Entre Paris et Bruxelles, elle part donc à la recherche de toute la partie immergée de sa famille, cette partie paternelle, masculine, restée longtemps à l’écart. Elle découvrira donc cet appartement partagé par trois hommes (son père, son oncle et son grand-père), l’expérience de la Shoah qu’on ne peut raconter en mots et le traumatisme qu’elle a engendré dans cette famille dysfonctionnnelle.

Pourtant, même si le contenu peut paraître sombre, Romy Trajman ne se départit jamais d’une vitalité et d’un humour salvateurs. En dépit de toutes ses failles et de ses fêlures, elle aime profondément cette famille qui l’a créée. Pour autant, elle n’hésite pas à rudoyer affectueusement ses membres, suivant le précepte « qui aime bien, châtie bien ». Elle invente surtout des portes de sortie fictionnelles à l’impasse de la réalité, comme la séquence hilarante où elle divorce du divorce de ses parents, climax présidé par Boris Bergman, le parolier de certains succès de Bashung. Elle privilégie aussi des séquences musicales qui font peut-être du Divorce de mes marrants le premier documentaire musical, où des chansons apportent la légèreté nécessaire à l’insoutenable tragédie de la vie.

De ce film, on sort réconcilié avec l’existence, rasséréné car en exposant ses difficultés intimes et familiales, Romy Trajman a su toucher à l’universel : le rocher de Sisyphe que chacun doit remonter jusqu’en haut de la colline, le fardeau que chacun doit porter, le mélange d’humour, de vitalité et de compassion nécessaire pour le faire et pour pouvoir évoluer sur le chemin de sa vie.

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RÉALISATEUR :  Romy Trajman et Anaïs Straumann-Lévy 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Romy Trajman, Paul Trajman, Marielle Sade  
GENRE : Documentaire, musical 
DURÉE : 1h23
DISTRIBUTEUR : Ciné Sud Promotion
SORTIE LE 22 juin 2022