L’Attachement : les choses de la vie

Souvent au cinéma, on privilégie les oeuvres de l’imagination, les films issus de stylistes de la caméra, les illusions magiques nées des esprits créatifs, pour résumer la tendance Méliès du cinéma qui s’incarnerait chez Bergman, Buñuel, Lynch, Tarkovski, etc. Mais on oublie souvent que la tendance réaliste, voire naturaliste, est autant sinon plus importante, ce qu’on pourrait qualifier de tendance Lumière, qui peut être observée chez Renoir, Cassavetes, Pialat, Kechiche. L’approche n’est pas la même, les moyens non plus. Il s’agit ici de reconstituer le réel et à force d’attention, de le transcender. C’est exactement ce que parvient à faire Carine Tardieu dans L’Attachement. Y allant presque à reculons, le spectateur pense avoir affaire avec un énième film sur les relations familiales et extra-familiales. Pourtant, progressivement, le film capte toute son attention vers des personnages bienveillants, de bonne volonté, qui font du mieux qu’ils peuvent, en s’accommodant des choses de la vie.

Sandra, quinquagénaire farouchement indépendante, partage soudainement et malgré elle
l’intimité de son voisin de palier et de ses deux enfants. Contre toute attente, elle s’attache
peu à peu à cette famille d’adoption.

A partir de faits a priori sombres (le deuil d’une épouse et la reconstruction d’une famille), Carine Tardieu parvient à faire éclore un improbable et réjouissant feel-good movie, où les détails prouvent toute leur importance.

Ce n’est pas pour rien que le titre d’un des plus célèbres films de Claude Sautet s’est glissé sous notre plume. Il est en fait impossible de ne pas penser aux films de Sautet qui, eux aussi, marchaient sur un fil tendu, celui de l’émotion, tel un équilibriste qui risque de basculer à chaque instant du mauvais côté, soit du côté du mélo larmoyant ou du drame sec et sans aspérités. Une autre réalisatrice trouve aussi son inspiration dans le style et/ou la thématique, il s’agit de Rebecca Zlotowski dans Les Enfants des autres. Des caractéristiques similaires peuvent être décelées chez Zlotowski ou Tardieu : précision des dialogues, humanisme dans le traitement des personnages, redéfinition sociétale des thématiques dans l’air du temps.

Au-delà du thème légèrement conventionnel, le travail de deuil d’un veuf et les familles recomposées, Carine Tardieu parvient à décaler ses acteurs et à en proposer des versions subtilement différentes, qu’on n’avait pour l’instant jamais vues : Valeria Bruni-Tedeschi en quinquagénaire indépendante qui va s’affranchir du poids des habitudes, Pio Marmaï (peut-être son meilleur rôle), montrant un visage triste et dramatique rarement exposé depuis le début de sa carrière, Vimala Pons en remplaçante inattendue au sein d’un couple préexistant, Raphaël Quenard, dont l’expressivité débordante est ici canalisée au service de son personnage. Le film révèle également un tout jeune acteur, doté d’un naturel impressionnant, César Botti dans le rôle d’Elliott, l’enfant de l’intrigue.

Librement adapté de L’Intimité d’Alice Ferney, L’Attachement aborde nombre de thématiques dans l’air du temps, en prenant soin de les redéfinir et d’en proposer aussi de nouvelles versions. Sandra est ainsi féministe, mais d’un féminisme qu’elle adapte aux situations, en bonne « célibattante ». Elle a fait le choix (?) de ne pas avoir d’enfants mais les enfants de ses voisins s’offrent à elle et vont changer la vie de cette libraire un peu guindée. Pour elle, comme l’énonce dans une réplique presque programmatique, « il n’y a pas de féministes, il n’y a que des ordures ou des gens dignes« . Les étiquettes n’ont pas réellement d’importance, ce qu’on fait suffit pour se définir. De la même manière, les personnes peuvent s’inviter dans les familles, à partir du moment où elles s’intègrent à l’unité recomposée. L’histoire du film développera ainsi la permutation des personnages, et la valorisation d’une certaine valse-hésitation pouvant conduire jusqu’au non-choix. En montrant cela, Carine Tardieu fait la démonstration d’un féminisme nuancé et d’une conception très ouverte de la famille recomposée.

Pourtant au-delà de ces thématiques très actuelles, ce qui distingue ce film, c’est l’humanisme bienveillant qui s’en dégage, car le film décrit les êtres humains tels qu’ils sont, en se passant d’antagonistes destructeurs. La déchirante séquence de l’aéroport en est l’illustration : elle démarre sur un potentiel acte manqué pour se finir en déchirure intime, entre des êtres qui s’aiment pourtant plus que tout. Comme il est énoncé dans la parabole du jugement de Solomon, celui ou celle qui aime le plus, c’est la personne qui accepte de sacrifier son amour au bonheur de celui ou celle qu’elle aime, c’est renoncer à l’autre pour son bien. Avec trois fois rien, Carine Tardieu parvient à instaurer un suspense sentimental qui prédétermine les attitudes et les actions des uns et des autres, tout en les déjouant en permanence.

A partir de faits a priori sombres (le deuil d’une épouse et la reconstruction d’une famille), Carien Tardieu parvient à faire éclore un improbable et réjouissant feel-good movie, où les détails prouvent toute leur importance. « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » écrivait Pierre Reverdy. L’Attachement le démontre bien.

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RÉALISATRICE : Carine Tardieu 
NATIONALITÉ :  française
GENRE : comédie dramatique 
AVEC : Valéria Bruni-Tedeschi, Pio Marmaï, Vimala Pons, Raphaël Quenard, César Botti 
DURÉE : 1h46 
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution 
SORTIE LE 19 février 2025