Après Les Neiges du Kilimandjaro (2011), Robert Guédiguian réinvestit le quartier de l’Estaque, dans le 16e arrondissement de Marseille, avec son nouveau long métrage, La Pie voleuse, le vingt-quatrième d’une filmographie déjà bien nourrie. S’intéressant une nouvelle fois au destin des « Pauvres gens » (titre d’un poème de Victor Hugo, dont un extrait est lu par l’un des personnages à la fin du film), le cinéaste livre une œuvre engagée et très émouvante, rythmée par la belle partition de Michel Petrossian.
S’intéressant une nouvelle fois au destin des « Pauvres gens » (titre d’un poème de Victor Hugo, dont un extrait est lu par l’un des personnages à la fin du film), le cinéaste livre une œuvre engagée et très émouvante, rythmée par la belle partition de Michel Petrossian.
Maria travaille comme aide à domicile pour des personnes âgées ou dépendantes. Mariée à Bruno qui ne travaille plus et dilapide sa pension en jouant aux cartes, elle ne se résout pas à sa précaire condition. Ce qui la pousse, par-ci par-là, à voler quelques euros à tous ces braves gens dont elle s’occupe avec une dévotion extrême et qui l’adorent… Pourtant une plainte pour abus de faiblesse conduira Maria en garde à vue…
La principale force du film réside dans le choix de la forme, une fable sociale, un conte ensoleillé, qui apporte un contraste saisissant entre les couleurs chaudes, le ciel bleu, la mer et la dureté de ce qui nous est raconté à l’écran. A la différence de certains de ses opus précédents (La ville est tranquille ou Gloria Mundi pour ne citer qu’eux), le cinéaste marseillais opte pour une certaine légèreté, certes bienvenue, mais qui n’exclut pas pour autant le champ social ou politique. Si Maria vole de temps en temps les gens dont elle a la charge, c’est pour pouvoir vivre mieux, se faire plaisir et surtout payer des leçons particulières de piano à son petit-fils qu’elle adore. Si son personnage est plus ambigu qu’il n’y paraît (Maria agit d’une certaine manière par égoïsme, comportement dont s’accommode son époux mais qui exaspère sa fille), il n’en reste pas moins généreux et très attentionné. Quand une femme seule dont elle s’occupe l’appelle en pleine nuit, très angoissée, Maria se déplace sans hésiter pour la rassurer. Sa relation avec son petit-fils est très belle, marquée du sceau de la musique, une passion qu’ils partagent (probablement transmise par Maria). Une scène initiale de La Pie voleuse est également à signaler : Maria mange des huîtres en écoutant du classique sur son téléphone. Des petits plaisirs de la vie que cette belle personne n’entend pas sacrifier malgré les difficultés de son foyer. Elle est assimilée par le titre à une « pie », un animal qui inspire de la sympathie, mais qui pille le nid des autres pour construire le sien.
A la différence de certains de ses opus précédents (La ville est tranquille ou Gloria Mundi pour ne citer qu’eux), le cinéaste marseillais opte pour une certaine légèreté, certes bienvenue, mais qui n’exclut pas pour autant le champ social ou politique.
Ainsi, sans lourdeur ni pathos, Guédiguian pose des questions essentielles qui résonnent encore longtemps après la projection, déplaçant avec pertinence le curseur entre le bien et le mal. Si les actes de Maria ne sont pas légalement autorisés, peut-on néanmoins vraiment la blâmer ? N’a-t-elle pas droit, comme tout le monde, au bonheur ? L’argent doit-il de manière inéluctable empêcher la réalisation de ses rêves ? L’art et sa pratique ne seraient-ils uniquement réservés qu’à une élite ? On devine alors aisément de quel côté penche Robert Guédiguian, cinéaste dont l’engagement n’est plus à démontrer. L’ouverture du film, qui aura pour conséquence indirecte de découvrir les « petites affaires » de Maria, en est la preuve irréfutable : on y voit deux personnes entrer par effraction dans un magasin de musique (celui-là même où Maria a loué le piano pour son petit-fils) et commettre un vol, en saccageant tout. Un vol gratuit, un acte criminel bien différent de l’action perpétrée par Maria (et pas filmé de la même manière) qui ne détrousse pas les gens et n’agit pas par méchanceté. Guédiguian semble plutôt nous dire qu’une redistribution des richesses est plus que jamais nécessaire, que Maria ne fait que récupérer (modestement) ce qu’elle est en droit de réclamer, légitimement.
Le film est parfois cruel, il suffit de quelques plans pour mesurer les difficultés dans lesquelles se retrouvent certains des protagonistes, comme ceux sur la piscine vide et verdâtre de la maison achetée à crédit par Maria et Bruno (a-t-elle un jour été vraiment remplie ?), ou ceux du modeste appartement de leur fille. Et d’une phrase qui claque, prononcée par Maria à l’un de ses usagers : « Je n’ai pas envie de penser à ce que ma vie n’a pas été, c’est trop dur ». Cependant, c’est l’aspect du conte qui l’emporte chez le réalisateur de Marius et Jeannette, auquel on pense beaucoup. C’est sûrement parce que les malheurs inondent les journaux télévisés, un événement tragique en chassant un autre au quotidien, que Guédiguian fait délibérément le choix de l’optimisme et de l’humanisme, célébrant la bonté, le partage et la beauté dans une société de plus en plus dure. L’amour aussi, très présent dans La Pie voleuse, celui qui résiste au temps ou celui qui unira de manière assez inattendue le fils de M. Moreau et la fille de Maria lors d’une scène remarquablement filmée et cadrée (qui d’ailleurs conserve tout son potentiel d’ambivalence). Il ne faut y voir pourtant aucune naïveté dans la démarche du cinéaste qui est d’une grande justesse, car le combat continue bien entendu et il n’est pas vraiment gagné. C’est en cela qu’il rend toute la dignité à ces « gens de peu », qu’il affectionne et qui peuplent son cinéma depuis plusieurs décennies.
C’est en cela qu’il rend toute la dignité à ces « gens de peu », qu’il affectionne et qui peuplent son cinéma depuis plusieurs décennies.
A côté du récit principal, porté par les habitués du cinéaste (Ariane Ascaride, magnifique, Gérard Meylan ou Robinson Stévenin) et de nouveaux venus (la révélation Marilou Aussilloux), Guédiguian prend le temps de s’intéresser à d’autres personnages et de mettre en place d’autres intrigues. La relation entre un père et un fils, joués par Jean-Pierre Darroussin et Grégoire Leprince-Ringuet (excellents tous les deux), dont les rapports sont difficiles mais qui finiront par s’apaiser, ou la tendresse amoureuse entre un vieil homme et son épouse qui avoue à Maria qu’il ne sera toujours que le second dans le cœur de sa bien-aimée. Que ce protagoniste soit d’ailleurs interprété par Jacques Boudet, autre acteur fétiche de Guédiguian, disparu peu de temps après le tournage, apporte une touche d’émotion supplémentaire à une œuvre qui n’en manque pas.
RÉALISATEUR : Robert Guédiguian NATIONALITÉ : française GENRE : conte social AVEC : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Grégoire Leprince-Ringuet, Marilou Aussilloux, Lola Naymark, Robinson Stévenin DURÉE : 1h41 DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution SORTIE LE 29 janvier 2025