La Fille de son père : Elle et Lui

Sur la carte du cinéma français, Erwan Le Duc a investi un territoire de cinéma assez original. Alors que d’autres se réclament du romanesque truffaldien ou du naturalisme pialatien, lui se reconnaît davantage dans le burlesque ou le slapstick. Son deuxième film, La Fille de son père, après le remarqué Perdrix, offre le paradoxe d’un sujet sensible et délicat – le retour du passé refoulé, seize ans après, lorsque la fille, devenue grande, doit quitter le domicile familial-, thème éminemment mélodramatique, que Erwan Le Duc choisit à rebours de traiter de façon burlesque et décalée, unissant joyeusement les fils de l’émotion et de la fantaisie.

Etienne a vingt ans à peine lorsqu’il tombe amoureux de Valérie, et guère plus lorsque naît leur fille Rosa. Le jour où Valérie les abandonne, Etienne choisit de ne pas en faire un drame. Etienne et Rosa se construisent une vie heureuse. Seize ans plus tard, alors que Rosa doit partir étudier et qu’il faut se séparer pour chacun vivre sa vie, le passé ressurgit.

Constamment inventif, jouant de l’ellipse, La Fille de son père est une jolie surprise inattendue dans un cinéma français formaté qui manque à l’évidence de burlesque et de fantaisie, qualités dont Erwan Le Duc semble prodigue.

Dans son premier film, Perdrix, Erwan Le Duc évoquait assez Bertrand Blier ou Quentin Dupieux par le décalage recherché des situations et les dialogues non-sensiques. La Fille de son père élargit son territoire de cinéma à des influences relativement peu revendiquées par un cinéaste français, Jacques Tati, Aki Kaurismaki, Otar Iosselani (récemment disparu) et surtout le Godard de Soigne ta droite. Au cas où on douterait, Erwan Le Duc éprouve un grand plaisir à faire du cinéma et à le montrer : le prologue de son film, quasiment muet, porté par le mouvement et la vitesse, les clins d’oeil au burlesque slapstick, lorsque Nahuel Pérez Biscayart s’agrippe à la rampe d’un bus, à la manière d’un Harold Lloyd ressuscité, les ralentis avec arrêts sur image, comme dans Sauve qui peut (la vie), le rôle important dévolu à la belle musique de Julie Roué qui est quasiment à elle toute seule un personnage du film.

Perdrix se situait déjà dans un registre largement comique, tout comme la série Sous contrôle, avec Léa Drucker, sur Arte. L’intérêt de La Fille de son père est d’avoir utilisé un style volontairement à contre-courant pour traiter un sujet relativement grave et presque mélodramatique : comment un père va être rattrapé par un passé traumatique, vingt ans plus tard. On reconnaît chez Erwan Le Duc une volonté réjouissante de déjouer les codes, y compris sociétaux, en imposant Nahuel Pérez Biscayart en père de Céleste Brunnquell alors qu’il mesure approximativement la même taille et fait au mieux dix ans de plus. Le modèle trop schématique de la paternité s’en voit ainsi profondément renouvelé. Erwan Le Duc se tient sur la corde raide du burlesque et de l’émotion et parvient à s’y maintenir pendant tout le film, sans concéder quoi que soit aux effets faciles.

Constamment inventif, jouant de l’ellipse, La Fille de son père est une jolie surprise inattendue dans un cinéma français formaté qui manque à l’évidence de burlesque et de fantaisie, qualités dont Erwan Le Duc semble prodigue.

3.5

RÉALISATEUR : Erwan Le Duc 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie dramatique 
AVEC : Nahuel Pérez Biscayart, Céleste Brunnquell, Maud Wyler, Mohammed Louridi, Mercedes Dassy
DURÉE : 1h31 
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution 
SORTIE LE 20 décembre 2023