La bête élégante : Parasites

Comme à son habitude, l’Étrange Festival refait toujours découvrir en France des grands cinéastes japonais méconnus en Occident, leur donnant l’occasion de connaître une seconde vie auprès des cinéphiles de l’hexagone. Cette année, pour sa 27ème édition, le festival proposait un focus sur Yuzô Kawashima, réalisateur prolifique ayant tourné pour toutes les majors japonaises. Avec La bête élégante, le festival projetait un drame fabuleusement moderne sur fond de critique sociale, dont l’humour aigre n’a rien perdu de sa fraîcheur.

Un HLM japonais, par une chaude journée d’été. À la porte des Maeda, un producteur de musique, accompagné d’une vedette pitoyable et d’une comptable froide, vient à la recherche de leur fils, Minoru. Celui-ci aurait détourné près d’un million de yens à son entreprise. Stupéfaits, les parents Maeda assurent ne rien savoir de cette affaire : avec diplomatie, ils calment le producteur, et l’affaire se tasse. Quand, quelques instants plus tard, Minoru revient à la maison, précédant de peu sa grande sœur Tomoko, la famille entière révèle son vrai visage : escrocs de père en fils, chacun vit de petites arnaques, parasitant les gens autour d’eux du mieux qu’ils peuvent.

Formellement saisissant, drôle en même temps que cynique, La bête élégante est une véritable leçon de mise en scène, une analyse de la cellule familiale japonaise d’après-guerre sur fond de drame romanesque, de théâtre populaire et de mise en scène moderniste.

La bête élégante est un film remarquable à plusieurs titres. Particulièrement inventif dans sa mise en scène, Kawashima exploite au maximum son décor, un appartement étroit de HLM, utilisant tous les angles possibles pour construire l’intrigue. Les plans larges montrant l’ensemble de l’appartement, cloisonné en deux espaces différents, se succèdent aux plans rapprochés dans lesquels se dissimulent les personnages à l’arrière-plan, comme si cet appartement ordinaire avait toujours quelque chose à cacher, une duplicité qui lui serait essentielle. Kawashima travaille l’expressivité dans chaque angle, n’hésitant pas à pousser sa caméra dans ses retranchements avec des contre-plongées prononcées ou des plongées inhabituelles pour un huis-clos. Ce jeu de cadrage est complété à la perfection par une gamme d’acteurs tous plus incroyables les uns que les autres, de la mère de famille délicieusement cynique au père pingre et stupide, en passant par la comptable calculatrice et le fils prodigue impulsif. Avec beaucoup de réussite, Kawashima se paye même le luxe d’échapper par moments au réalisme pour sombrer dans une poésie évocatrice, menée par des rythmes de tambours japonais et des voix d’acteurs de kabuki – poésie obscure dans laquelle les pensées les plus sombres de chacun résonnent dans une cage d’escaliers blancs poussée au bord de l’abstraction. Avec une habileté remarquable, Kawashima parvient à dresser une galerie de portraits qui joue quelque part entre les genres, empruntant autant à la comédie populaire qu’au théâtre traditionnel, au modernisme et au romanesque.

Mais au-delà de son travail à la croisée de toutes les formes artistiques, Kawashima tape juste dans sa capacité à critiquer les dérives d’une société d’après-guerre où l’exploitation règne. Avec un humour cynique et une mise en scène maîtrisée, La bête élégante se rapproche étrangement du style d’un Bong Joon-ho, où l’attachement à des personnages pauvres et cyniques ainsi que la mise en scène formelle sont au service d’une critique de l’économie capitaliste. Les dérives de la société moderne trouvent sur la scène de ce HLM lambda leur théâtre le plus révélateur, comme s’il n’était possible de révéler l’hypocrisie du Japon moderne que dans ce lieu ordinaire par excellence. La cellule familiale traditionnelle se mute en une espèce d’ économie parallèle, un circuit d’exploitation avide dans lequel chacun tente du mieux d’escroquer l’autre. Cette famille à deux visages, à la fois terriblement attachante et inquiétante dans sa déviance, en devient presque une certaine idée du Japon, dissimulant toute sa bassesse derrière les apparences de la respectabilité. Avec une galerie de personnages tous plus vicieux les uns que les autres à l’appui, Kawashima entreprend de révéler le drame de cette nouvelle famille moderne, où chacun est poussé au crime pour assouvir ses propres passions – une famille corrompue par la société de la même manière que la société est corrompue par la vie moderne.

Formellement saisissant, drôle en même temps que cynique, La bête élégante est une véritable leçon de mise en scène, une analyse de la cellule familiale japonaise d’après-guerre sur fond de drame romanesque, de théâtre populaire et de mise en scène moderniste. Un film qui n’a pas pris une ride et qui résonne étrangement avec des succès contemporains comme Parasite de Bong Joon-Ho.

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RÉALISATEUR :  Kawashima Yuzô
NATIONALITÉ : Japonaise
AVEC : Wakao Ayako, Itô Yûnosuke, Yamaoka Hisano
GENRE : Drame
DURÉE : 1h36
DISTRIBUTEUR : Inconnu
SORTIE LE Prochainement