Invisible man : l’ombre du patriarcat

Les productions Blumhouse ont imposé leur modèle de films d’horreur à petit budget depuis une dizaine d’années avec Paranormal ActivityInsidious et autres American Nightmare. Depuis deux ou trois ans, on perçoit même un développement vers un univers auteuriste avec les recrutements de M. Night Shyamalan (Split), David Gordon Green (Halloween), Spike Lee (BlackKklansman) et Jordan Peele (Get Out). Les films Blumhouse sont peut-être allés jusqu’au bout de leur expansion avec des grosses productions telles que Us ou Glass, qui n’ont peut-être pas remporté le succès critique et/ou commercial escompté. Back to basics, retour donc aux fondamentaux avec Invisible Man, nouvelle variation sur l’homme invisible, d’après le roman archi-adapté de H.G. Wells, qui surprend ici formidablement par son option résolument féministe et ses réelles idées de scénario et de mise en scène.

Invisible Man, nouvelle variation sur l’homme invisible, d’après le roman archi-adapté de H.G. Wells, surprend ici formidablement par son option résolument féministe et ses réelles idées de scénario et de mise en scène.

Cécilia quitte son petit ami, Adrian Griffin, brillant scientifique, ne supportant plus son emprise et son comportement violent et tyrannique. Mais quand ce dernier se suicide, en lui laissant, sous conditions, une part importante de sa fortune, elle se demande s’il n’est pas en fait resté en vie, en constatant diverses coïncidences inquiétantes. Se trouvant aux portes de la folie, elle finit par affirmer à ses proches qu’elle est traquée par un homme invisible…

Au départ, le contenu du roman L’Homme invisible de H.G. Wells était en fait extrêmement pessimiste et négatif, explorant les fantasmes de toute-puissance de l’être humain, ce qui avait été assez fidèlement restitué par la version de James Whale en 1933. Depuis ce contenu explosif s’était quelque peu édulcoré, au fur et à mesure des adaptations, les versions télévisuelles de Harve Bennett et Steven Bochco, transformant même l’homme invisible en justicier et garant du bien (David McCallum, Ben Murphy), se focalisant sur les transformations à vue (si l’on peut dire). Il a fallu attendre Paul Verhoeven et son Hollow Man en 2000 pour revenir au personnage originel de savant fou, paranoïaque et voyeur, exploitant son invisibilité pour satisfaire de noirs desseins.  Leigh Whannell, le réalisateur et scénariste de Invisible Man, reprend ce contenu politiquement incorrect mais opère un changement fondamental, celui du point de vue. Contrairement au roman de H.G. Wells et à toutes les adaptations précédentes, son film sera complètement raconté du point de vue de l’héroïne, victime de l’homme invisible, qui va prendre son destin en main, en essayant de renverser la situation et d’échapper à son emprise.

Pour ce faire, le choix d’Elisabeth Moss pour le rôle principal ne s’avère pas innocent. Par sa dimension symbolique, elle représente en effet l’équivalent américain d’une Adèle Haenel aux Etats-Unis, même si elle n’a dénoncé aucun Ruggia là-bas. Le fait qu’elle ait joué dans The Handsmaid’s Tale confère immédiatement un sous-texte féministe à l’intrigue. L’emprise dont elle doit se dépêtrer est non seulement physique, par rapport à un antagoniste qu’on ne voit pas, mais surtout mentale: Griffin possède le savoir, la richesse et ne desserre pas son emprise, en s’appropriant le corps de sa proie mais surtout en recherchant sa soumission intellectuelle. A travers le mythe de l’homme invisible, réinterprété ici, c’est donc l’ombre gigantesque du patriarcat qui est ici questionnée sans relâche. La domination masculine est métaphoriquement exprimée par un phénomène qu’on ne peut voir, mais qu’on devine et ressent, par sa pression inexorable.  

Pour mettre en scène ce phénomène, Leigh Whannell, issu de l’entourage de James Wan (Insidious), a plutôt été à bonne école et exploite toutes les ressources du cinéma se trouvant à sa disposition : effet Koulechov, utilisation à bon escient de la mise au point et du cadre vide, filmage de séquences a priori inutiles qui se révéleront signifiantes (de l’usage d’un extincteur), un simple mot qui fera la différence (surprise!) et un double twist, pour couronner le tout. Alors qu’on la connaissait surtout au cinéma dans les personnages dépressifs d’Alex Ross Perry et qu’on ne l’imaginait guère en héroïne de film d’action, Elisabeth Moss réussit une performance absolument étonnante, en interprétant une grande partie du film, toute seule face à un personnage invisible. Pour espérer vaincre son antagoniste, il lui faudra retourner contre lui les armes que celui-ci a utilisées, c’est-à-dire essentiellement l’intelligence et la manipulation, afin de le prendre à son propre piège. Bien assisté par la musique angoissante à souhait de Benjamin Wallfisch, Leigh Whannell tisse ainsi à travers un excellent film de genre, une petite parabole féministe à l’usage de notre époque.

4

RÉALISATEUR : Leigh Whannell
NATIONALITÉ : américain
AVEC : Elisabeth Moss
GENRE : Thriller, horreur
DURÉE : 2h05
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France
SORTIE LE 26 février 2020