Garçon Chiffon – Rencontre avec l’acteur et réalisateur Nicolas Maury

La première fois que l’on a remarqué la présence de Nicolas Maury, avec sa diction précieuse et affectée, c’était dans Belle Epine de Rebecca Zlotowski. Depuis, on a suivi attentivement son parcours : il a joué devant les caméras de Yann Gonzalez, Riad Sattouf, et plus récemment dans Perdix d’Erwan Le Dub. Avec Garçon Chiffon, Nicolas Maury est passé pour la première fois derrière la caméra. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec l’acteur et cinéaste en décembre dernier.


Vous êtes membre du jury long-métrage de l’édition 2020 des Arcs Film Festival, il s’agit de votre première participation à cet événement ?

Oui, mais on m’en a souvent parlé. On a toujours un ou deux copains acteur ou réalisateur qui y sont allés et qui vous disent la programmation est géniale, en plus on mange de la raclette, de la fondue, donc on est souvent très jaloux. J’étais très joyeux qu’ils m’invitent, sauf que cette année, c’est en ligne *rire*. On est à la montagne en pleine Buttes-Chaumont, il manque juste l’air pur des hauteurs et la blancheur de la neige.

Comment s’est passé votre rencontre avec les dix films de la sélection officielle long-métrage ?

C’est des nouvelles de l’Europe, du pouls européen en terme d’art et de cinéma. J’étais très intéressé, passionné par les mouvements, les préoccupations. Il y a aussi ce choix, comme toujours en cinéma, de la nature du film : est-ce que l’on fait un documentaire ou des fictions qui réenchante le monde. C’est comme si ça hésitait un peu entre une gravité un peu plombante, et quelque chose de plus petit, de l’intime. Je suis plus proche de la deuxième proposition, j’ai l’impression que ce qu’il y a de plus politique aujourd’hui, c’est d’être au plus près de l’humain et de laisser les commentaires, les informations à d’autres médias. Cela peut toutefois ne pas s’exclure.

Le film The Whaler Boy représente plutôt bien cet équilibre entre l’intime et le sociétal : il imbrique des figures du rêve américain au parcours initiatique d’un jeune chasseur de baleines en Sibérie orientale.

J’ai beaucoup aimé le trajet émotionnel du film, la cinématographie, la structure des plans. On est proche du cinéma de Tarkovski, tout en conservant un regard contemporain, d’aujourd’hui.

Quel spectateur êtes-vous ?

Je suis un peu un aventurier. Faut que le film m’excite un peu sur le papier, soit parce qu’il y a un acteur dedans, soit parce que le synopsis est étrange, intriguant. Je cherche plutôt à découvrir, à explorer de nouveaux territoires. Comme on est tous un peu double, j’aime aussi retrouver des réalisateurs pour avoir des nouvelles de leur regard. Que le film soit considéré comme majeur ou mineur dans la filmographie du réalisateur, je regarde l’ensemble comme un seul mouvement, comme des peintres. Ca peut être les films de Judd Apatow, Claire Denis, Olivier Assayas ou ceux de François Ozon. Si je regarde un peu de tout, je ne suis toutefois pas très attiré par la science-fiction, ni la mode de la dystopie, de cette inquiétude sociétale fantasmée qui appuie sur ce qu’il y a de noir dans nos vies. C’est un peu rédhibitoire en ce moment pour moi, même s’il y a de grands cinéastes dans ce domaine comme Michael Haneke. Lui, il aime montrer le vernis, le gratter, s’approcher avec la caméra d’une vérité. Je pense que l’état de spectateur, quand ce n’est pas un spectacle télévisuel débile, c’est un état absolument fertile pour la société. Ca me paraît d’une grande nécessité.

Garçons Chiffon est sorti le 28 octobre dernier : comment accueillez-vous la critique vis-à-vis de votre premier long-métrage ?

Ma parade, mon bouclier, c’est de toujours donner plus lors des entretiens. Dans ce métier, on se révèle en donnant. J’estime la critique, j’ai déjà écrit pour les Cahier du Cinéma, mais j’ai arrêté car je ne voulais écrire que sur l’amour, j’ai envie d’aimer et pas de mettre des bémols au monde. Il y a bien sûr des films, des cinéastes que je n’aime pas. Par exemple, je fais une différence entre réaliser et être cinéaste. Ce n’est pas du dandysme, il y a des réalisateurs qui n’apparaissent jamais. Cette neutralité me pose question. Pour revenir sur mon accueil de la critique, j’ai souvent peur de ne plus avoir de générosité en moi. Si on me scie les jambes parfois, je me dis aussi que quelque part, c’est la loi. Il y a des mots qui m’ont entaillé, qui restent. Dans cette société, tout ce qui vous emmène vers une forme d’humilité me semble intéressant. Je préfère rester humble.

Quelles sont vos espérances pour 2021 ?

Espérer, ça serait beau que ça soit une action. Je pense qu’il faut joindre la parole à l’action. Par exemple moi, je considère que mon devoir, c’est d’écrire, de jouer des fictions qui réparent et nous relient, que cela soit au théâtre ou au cinéma. J’aimerais faire de l’art pour l’art, porter haut le cinéma et son industrie, les salles, les exploitants, soutenir les gens qui se battent pour programmer des films, les festivals, mais aussi que les spectateurs continuent d’avoir un désir pour cet art, de dire que le cinéma est encore jeune, profond, différent du théâtre qui est plus ancien. Plus largement et moins lié au travail, je me demande ce que ça être le monde post-Covid. Ca serait bien un peu d’arrêt dans cette course folle du chiffre, du rendement, et le retour des échanges, du contact.

Entretien réalisé en décembre 2020 dans le cadre de Les Arcs Film Festival