Fumer fait tousser : changement d’époque en cours

Le monde se lézarde. Une menace générationnelle et existentielle guette, tranquillement tapie dans les idées. En réponse à une bien-pensance moralisatrice, le cinéaste Quentin Dupieux fait jaillir des litres d’hémoglobines et convoque des figures passées pour interroger notre devenir commun. Série Z assumée, Fumer fait tousser s’amuse d’une société programmée, lente à la détente, vouée à une obsolescence prochaine. Si la réalité grattait dans Réalité, ici elle fait « tousser de rire ». Entre Les Contes de la crypte et les séries Sentai, une généreuse et sanglante comédie, dans le pur style du drôle d’Oizo.

Une fois encore, les « Tabac Force » viennent de vaincre le mal. Une victoire dégoulinante dont personne ne peut échapper : elle éclabousse partout, tout le monde. Malgré cette nouvelle réussite, l’heure n’est pas à l’autosatisfaction : le chef Didier (une marionnette dégoutante qui bave un liquide verdâtre) a fait le point, les chiffres ne sont pas bons. La cohésion de groupe, qui se calcule donc, n’est pas optimale. Un vice ronge l’équipe, l’individualisme. Pour rétablir l’équilibre, l’ordre est donné de partir en retraite quelques jours. Les cinq héros n’auront toutefois pas le temps de chômer : Lézardin, l’empereur du Mal, souhaite détruire la planète avant la fin de l’année.

Parodie loufoque des films de super-héros, Fumer fait tousser dézingue à coups de punchlines et de sketches horrifiques les combats de notre époque

Après le drôle et joyeux Mandibule, aussi inoffensif que sa sympathique mouche, Quentin Dupieux effectue un véritable travail de synthèse avec Fumer fait tousser. On retrouve sa célèbre lumière solaire, ce goût pour la comédie de mœurs, qui remonte à Steak, mais aussi tout l’imaginaire absurde et foutraque du réalisateur. Sans véritablement fonctionner en circuit fermé, un certain sentiment de déjà-vu est toutefois présent : un cinéma confortable, mais quelque part un peu feignant dans sa mise en scène. Ceci dit, si l’imagerie est désormais connue, la source de son originalité continue de venir de son écriture. Parodie loufoque des séries de super-héros, Fumer fait tousser dézingue à coups de punchlines et de sketches horrifiques les combats de notre époque : les contradictions du féminisme masculin, l’angoisse écologique (un peu à manière de Don’t Look Up), l’évolution technologique (un chiffre en remplace un autre, sans nécessairement signifier une amélioration) ou encore l’uniformisation. Un film tiroir, référentiel (notamment télévisuel) et surréaliste, comme un désir de donner vie à des idées jusqu’ici gardées dans un coin de la tête de ce grand rêveur. Si tout ne convainc pas, difficile toutefois de bouder ce plaisir coupable porté par les sonorités de Mort Garson et merveilleusement incarné par un casting à rallonge, visiblement heureux de contribuer à un cinéma aussi rare que précieux. Une œuvre déjà culte dans la singulière filmographie de Quentin Dupieux, à crapoter en attendant ce fameux changement d’époque.

3.5

RÉALISATEUR : Quentin Dupieux
NATIONALITÉ : France, Belgique
AVEC : Adèle Exarchopoulos, Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche
GENRE : Comédie
DURÉE : 1h20
DISTRIBUTEUR : Gaumont
DATE DE SORTIE : 30 novembre 2022