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Eternal Daughter : mère et fille

Joanna Hogg s’est fait connaître récemment avec The Souvenir, film en deux parties, retraçant la relation d’emprise qu’elle a vécue jeune femme et l’oeuvre de fiction qu’elle aurait voulu en tirer. Cette révélation critique va permettre la sortie en France de ses trois films précédents, Unrelated, Archipelago et Exhibition, inédits jusqu’alors dans notre belle contrée. Depuis The Souvenir, Joanna Hogg, citée comme référence par Kelly Reichardt et produite par un parrain prestigieux, Martin Scorsese, n’est pas restée inactive. Avec Eternal Daughter, elle propose sans doute son film le plus accessible, sorte de drame gothique inspiré des nouvelles de Henry James, où elle revient sur son obsession de la mémoire, du travail de deuil et de la mise en scène atmosphérique, proche de l’art contemporain.

Julie, accompagnée de sa mère âgée, vient prendre quelques jours de repos dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise. La jeune femme, réalisatrice en plein doute, espère y retrouver l’inspiration ; sa mère y voit l’occasion de faire remonter de lointains souvenirs, entre les murs de cette bâtisse qu’elle a fréquentée dans sa jeunesse. Très vite, Julie est saisie par l’étrange atmosphère des lieux : les couloirs sont déserts, la standardiste a un comportement hostile, et son chien n’a de cesse de s’échapper. La nuit tombée, les circonstances poussent Julie à explorer le domaine. Elle est alors gagnée par l’impression tenace qu’un indicible secret hante ces murs.

Avec Eternal Daughter, Joanna Hogg propose son film le plus accessible, sorte de drame gothique inspiré des nouvelles de Henry James, où elle revient sur son obsession de la mémoire, du travail de deuil et de la mise en scène atmosphérique, proche de l’art contemporain.

Pour son nouveau film, Joanna Hogg a choisi de changer de style. Lors de ses films précédents, elle est déjà passée d’une influence rohmèrienne à un style proche d’Antonioni. Eternal Daughter se présente en fait comme un vrai-faux film de fantômes, où l’influence d’Henry James se fait marquante, davantage l’auteur de nouvelles comme La Tour d’écrou que le romancier prolifique de Portrait de femme ou des Ailes de la Colombe. Un vrai-faux film de fantômes, comme Falcon Lake de Charlotte Le Bon, où les fantômes ne sont pas ceux que l’on croit. Pourtant tous les éléments d’un film gothique sont réunis : un hôtel isolé dans la campagne anglaise, des clients inexistants, une brume persistante, des bruits qui réveillent la nuit Tilda Swinton (comme dans Memoria d’Apichatpong Weerasethakul). Mais Joanna Hogg surprend en jouant assez peu d’éléments horrifiques : Eternal Daughter, ce serait plutôt un Shining (une référence assumée avec le personnage de Bill) sans climax dramatique libérateur, un film gothique à la manière des Autres de Alejandro Aménabar, avec un twist quasiment désamorcé d’avance. Joanna Hogg joue avec les conventions du genre pour les désactiver en définitive et se concentrer sur ce qui l’intéresse prioritairement : les souvenirs, le travail de deuil, la culpabilité envers les personnes proches qui nous soutiennent et nous vampirisent en même temps.

L’une des actrices les plus précieuses et exigeantes de notre époque, Tilda Swinton, plus David Bowie au féminin que jamais, tient un double rôle dans Eternal Daughter, celui de Julie et également celui de Rosalind, sa mère. Là aussi, Joanna Hogg innove en faisant exprès de ne jamais filmer avant la dernière demi-heure les deux personnages dans le même plan, contrairement à David Cronenberg pour Jeremy Irons dans Faux-Semblants. Ce refus de jouer la convention du plan d’ensemble réunissant les deux personnages interprétés par la même actrice possède une réelle signification qui révèle sa potentialité à la fin du film. L’essentiel ne réside donc pas dans la performance (admirable) de l’immense Tilda Swinton mais dans le dispositif de mise en scène qui efface toute frontière entre vivants et morts, entre vrais et faux fantômes. Certains pourront trouver le dispositif lassant et ennuyeux mais des détails de mise en scène (cadrages penchés, intérêt pour l’architecture et la structure des escaliers comme dans Exhibition, un leitmotiv musical obsédant joué par une flûte) entretiennent une atmosphère obsédante qui recèle le spectre de mystères inexpliqués. Eternal Daughter réussit ainsi la prouesse d’être encore plus fascinant et mystérieux à la fin qu’à son début.

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RÉALISATEUR :   Joanna Hogg 
NATIONALITÉ : britannique 
GENRE :  drame 
AVEC :  Tilda Swinton, Joseph Mydell, Carly-Sophia Davies
DURÉE : 1h36 
DISTRIBUTEUR : Condor Distribution 
SORTIE LE 22 mars 2023