Diamant brut : we live in a Barbie World

Cette année, le nombre de réalisatrices en compétition a nettement diminué par rapport à l’année dernière : 4 au lieu de 7. Peut-être pourrait-on considérer que Thierry Frémaux a privilégié la qualité à la quantité. Cette hypothèse semble parfaitement crédible en voyant le premier film d’Agathe Riedinger, Diamant brut, qui débarque en compétition. Diamant brut allie les qualités esthétiques de Abdellatif Kechiche et des frères Dardenne, en proposant une réflexion sur le miroir aux alouettes de la célébrité, des réseaux sociaux et de la télé-réalité.

Liane, 19 ans, téméraire et incandescente, vit avec sa mère et sa petite sœur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour « Miracle Island ».

Diamant brut allie les qualités esthétiques de Abdellatif Kechiche et des frères Dardenne, en proposant une réflexion sur le miroir aux alouettes de la célébrité, des réseaux sociaux et de la télé-réalité.

On se demandait qui pouvait plus ou moins suivre le chemin des Julia Ducournau, Justine Triet, ces femmes puissantes, pour paraphraser Marie N’Diaye, dans le domaine du cinéma. Agathe Riedinger semble en tout cas sur la bonne voie. Premier film sorti de nulle part, Diamant brut surprend par son attention aux personnages et sa qualité de réflexion sur le monde dans lequel nous vivons. Agathe Riedinger partage avec Sophie Letourneur une formation atypique à l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs. Diamant brut est en fait le développement de son premier court métrage, J’attends Jupiter, nommé au César du meilleur court métrage en 2019, qui racontait déjà l’histoire d’une dénommée Liane qui misait son avenir sur une émission de télé-réalité.

D’une certaine manière, Diamant brut est le film réflexif et critique que Greta Gerwig n’a pas vraiment réalisé. En effet, dans le film, on entend cette réplique qui caractérise le personnage de Liane : « tu es une vraie Barbie« . Complétement artificielle, décolorée, avec des ongles longs de 10 cm, des extensions de cheveux, et des attributs physiques trop volumineux sur son corps d’adolescente, Liane est à la fois une jeune fille d’aujourd’hui et une sorte de phénomène presque monstrueux. Agathe Riedinger la filme au plus près, de manière fascinante, avec ses pieds martyrisés dans ses escarpins juchés sur des talons de 10 cm, ses mains frottant rugueusement et sans aménité son corps d’adolescente. Malou Khebizi se révèle extraordinaire dans ce rôle difficile où elle assume une image particulièrement anti-naturelle au possible.

Stylistiquement, Agathe Riedinger concilie miraculeusement les discussions au bord de l’explosion, la tension ensoleillée à la Kechiche et le filmage à l’emporte-pièce en longs plans-séquences à la manière des Dardenne ou d’Andrea Arnold. Elle utilise également un procédé d’inscription à l’écran du contenu des commentaires des réseaux sociaux, discret hommage à Arthur Rambo du regretté Laurent Cantet, qui montre le vide complètement déréalisé des réflexions diverses sur Internet.

Diamant brut propose en outre une réelle réflexion sur la vie des influenceuses et des jeunes filles qui veulent percer grâce à leur apparence. On y entend en autre, lors de la superbe scène (très kechichienne) d’explications entre Liane et sa mère ou la scène entre Liane et des quadragénaires concupiscents, quelques phrases bien senties « en quoi est-ce du talent d’être aimée? », « c’est la personne la plus demandée qui a le pouvoir« . A la vision de Diamant brut, on se trouve incontestablement face à du vrai cinéma. Mais pourquoi? Parce que dans ce film, l’existence précède l’essence, et que Agathe Riedinger pose des questions mais ne cherche pas à apporter des réponses définitives. Qui est la véritable esclave, de la mère (formidable Andréa Bescond) ou de la fille qui cherche à échapper à la prison de son milieu social? Même si Liane semble l’esclave de son apparence et de sa fascination de la célébrité, elle pourrait aussi incarner un espoir pour les filles de condition modeste car « le monde a désespérément besoin de beauté« , comme on l’entend à la fin du film. Avec une grande intelligence, Agathe Riedinger ne tranche pas, en filmant à la fin Liane dans un halo de lumière. C’est au spectateur de se demander si Liane va tomber comme victime au champ de bataille des apparences ou au contraire représenter un rêve possible, un nouvel idéal, une future star.

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RÉALISATRICE : Agathe Riedinger  
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : drame 
AVEC : Malou Khebizi, Idir Azougli, Andréa Bescond
DURÉE : 1h43 
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution 
SORTIE LE 9 octobre 2024