Comme une actrice : les mille et une vies d’une femme

Sébastien Bailly est surtout connu comme court métragiste talentueux et directeur du Festival de Brive de 2004 à 2014. Son premier long métrage, Féminin plurielles, consistait ainsi en une compilation de trois de ses courts métrages, mélangeant les univers de Brisseau, Rohmer et Kechiche. Passant véritablement pour la première fois au long métrage, Comme une actrice possède un sujet ambitieux, une belle femme de cinquante ans se projetant grâce à une potion magique dans la vie d’une jeune femme ayant l’âge d’être sa fille, et a pour privilège de donner un premier rôle à Julie Gayet, actrice sensible qui n’avait pas été aussi bien servie au cinéma depuis assez longtemps, cf. Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier ou Huit fois debout de Xavier Molia.

Anna, actrice proche de la cinquantaine, est quittée par son mari, Antoine, metteur en scène de théâtre. Prête à tout pour ne pas le perdre, elle va jusqu’à prendre l’apparence de la jeune femme avec laquelle il entretient une liaison. Mais ce double jeu pourrait se retourner contre elle…

Une occasion manquée d’évoquer les troubles et tourments des actrices d’âge mûr, l’invisibilisation des femmes, actrices ou non, de cinquante ans, face à une génération montante,

L’idée de départ de Comme une actrice est manifestement empruntée à Alice de Woody Allen : une potion magique permettant de réaliser les voeux d’une femme d’âge mûr. Une idée assez passionnante qui aurait normalement permis de voguer à travers les transferts d’identité. Sébastien Bailly exploite donc une jolie idée qui l’autorisait à investir plein d’univers fictionnels différents. Malheureusement, il choisit de la traiter en drame fantastique, en la délestant de tout l’humour potentiel qu’elle pouvait posséder. Il n’est d’ailleurs pas véritablement aidé par une partie de sa distribution principale, Benjamin Biolay et Agathe Bonitzer se trouvant tous les deux en pilotage automatique.

Seule Julie Gayet prend courageusement des risques, en se présentant souvent le visage démaquillé, et en endossant la dimension de film fantastique qui, en marquant terriblement sa peau, fait de loin penser à une oeuvre de David Cronenberg. Le scénario ouvre à un moment le film à une infinité de possibles, le personnage d’Anna se transférant dans une multiplicité d’incarnations féminines, sorte de métaphore pour la profession d’actrice. Bailly se dispense d’effets spéciaux pour caractériser ce transfert mais a négligé de travailler la transposition entre les différentes personnalités, qui aurait consisté par exemple à exprimer la personne d’Anna à travers le personnage de sa jeune rivale. Alors que Comme une actrice aurait pu s’aventurer sur des rivages incroyablement ambitieux, ceux de Bergman ou de Cronenberg, il reste rivé à un terrible manque d’incarnation et un sérieux déficit de rythme qui lui sont in fine fortement préjudiciables. Seule la fin, rappelant de loin In the mood for love de Wong Kar-wai, fait revenir le couple Anna-Antoine sur le lieu de leur premier baiser à Modène en Italie et permet de conclure l’oeuvre de manière joliment fantasmée et positive. Le meilleur du film réside donc dans l’interprétation à fleur de peau (c’est le cas de le dire) de Julie Gayet qui tente de s’installer dans un créneau déjà fortement occupé par Virginie Efira et celles de jeunes actrices prometteuses, Agathe Crépin, Louisiane Gouverneur (Cléves), Ava Baya ou Maïlys Favraud, qu’on reverra certainement ailleurs, en ayant sans doute oublié qu’on les aura vues ici pour la première fois. Une occasion manquée d’évoquer les troubles et tourments des actrices d’âge mûr, l’invisibilisation des femmes, actrices ou non, de cinquante ans, face à une génération montante, sujet vaste qui aurait pu s’inspirer d’Eve de Joseph L. Mankiewicz, si l’écriture avait été suffisamment travaillée.

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RÉALISATEUR : Sébastien Bailly 
NATIONALITÉ : française 
GENRE :  Drame fantastique 
AVEC : Julie Gayet, Benjamin Biolay, Agathe Bonitzer, Agathe Crépin, Louisiane Gouverneur, Ava Baya, Maïlys Favraud
DURÉE : 1h33 
DISTRIBUTEUR : Epicentre films/Jour2Fête
SORTIE LE 8 mars 2023