Cannes 2023 : la Sélection Officielle. Analyse et décryptage. Retour vers le futur.

On attendait quelque peu au tournant Iris Knobloch, la nouvelle Présidente du Festival de Cannes, remplaçante de Pierre Lescure, et Thierry Frémaux, le délégué général, lors de cette annonce de la Sélection Officielle du Festival de Cannes 2023. Cette 76ème édition s’annonçait périlleuse et jamais autant les représentants du Festival de Cannes n’avaient marché sur un fil aussi ténu, nous l’expliquerons dans la suite de cet article. Iris Knobloch, silhouette de mannequin et français impeccable, est venue pour la première fois au Festival de Cannes en 1998. Vingt-cinq ans plus tard, elle se retrouve Présidente du plus fameux festival de cinéma du monde, ce qu’elle n’avait jamais imaginé dans ses rêves les plus fous. Mariage de raison ou entente cordiale avec Thierry Frémaux, à la tête du Festival de Cannes? On ne sent plus guère la même franche camaraderie qu’avec Pierre Lescure, mais parfois les mariages de raison font les plus belles unions.

En tout cas, Iris Knobloch a donné le ton de ce nouveau Festival : retour dans les salles, « Back to the basics ou plutôt Back to the future« . Il s’agit de promouvoir le cinéma en salle et donc Iris Knobloch légitime rétroactivement le choix cannois, contrairement au choix inverse de Venise, de ne pas avoir cédé aux plateformes (essentiellement Netflix), en présentant leurs films en compétition à Cannes. Revenir aux sources du plaisir du cinéma, de sa découverte en salle, prioriser la sortie des exclusivités en salle, tel est le credo de la nouvelle présidente qui affiche un regard serein sur l’avenir : les salles se remplissent, les gens reviennent, les mauvais jours sont (presque) derrière nous.

Eviter un Festival Cancel #MeToo

Retour vers le futur, cela signifie revenir au Festival de Cannes, d’avant la pandémie. Cela aurait pu signifier aussi revenir à un Festival antérieur à #MeToo et annuler ce qui constitue la révolution idéologique de ces dernières années. La tentation apparaissait grande car a priori le Festival de Cannes avait cette année la possibilité de présenter les nouveaux films de Roman Polanski et de Woody Allen, (probablement pour leur dernier tour de piste cannois). On sait que Thierry Frémaux aurait plutôt eu tendance à maintenir la présentation de ces oeuvres, en raison de la protection accordée aux présumés grands auteurs ; sans doute en a -t-il été empêché en haut lieu (Iris Knobloch ou les membres du conseil d’administration), et a-t-il fait amende honorable, préservant sa place et faisant preuve comme chaque année de pragmatisme. Peut-être en aurait-il été autrement avec Pierre Lescure président, on ne le saura jamais. En tout cas, d’après Frémaux, mensonges diplomatiques ou pas, le Polanski n’était pas prêt (ce qui ne correspond pas à la position de ses producteurs) et le Woody Allen n’était pas candidat (ce qui paraît tout aussi improbable) et de toute façon, la polémique éventuelle aurait empêché qu’on parle de qualités cinématographiques, ce qui signifie en langue de Frémaux, tout simplement direction Venise pour ces deux films. Dans un pays de cinéma où certains Italiens (pas tous) n’hésitent pas à arborer le tee-shirt « Weinstein is innocent », une sélection vénitienne des deux bannis cannois s’avérera certainement moins problématique.

Cela ne signifie pas pour autant que les polémiques vont complètement s’interrompre mais les films concernés (Jeanne Du Barry de Maiwenn ou L’Eté dernier de Catherine Breillat) sont signés par deux réalisatrices qui ont manifesté leur opposition totale, sinon leurs graves réserves relatives à #MeToo), donc des femmes, ce qui, d’une certaine manière, leur garantit paradoxalement une certaine liberté d’expression, y compris de celle de critiquer sans détour les mouvements féministes. En revanche, sélectionner Polanski et Woody Allen apparaissait désormais impossible au vu du contexte actuel. Par conséquent, retour vers le futur, certes, mais en intégrant les apports de #MeToo et donc en ne revenant pas là-dessus. Iris Knobloch et Thierry Frémaux, sur ce point particulièrement délicat, ont décidé de se tourner vers l’avenir et de ne pas accorder un dernier baroud d’honneur à d’anciennes gloires cinématographiques en fin de parcours, qui pourrait ternir la renaissance du Festival de Cannes dans ces années 2o20.

Une féminisation incontestable

Sur une vingtaine de films retenus en Sélection Officielle, sept films (si l’on compte le film d’ouverture de Maiwenn, même s’il est hors compétition) sont signés par des femmes : Ramata-Toulaye Sy, Catherine Breillat, Alice Rohrwacher, Kaouther Ben Hania, Jessica Hausner, Justine Triet et donc Maiwenn. Cela représente un bon tiers de la compétition et un considérable bond en avant, le nombre de réalisatrices n’ayant jamais dépassé cinq lors des années précédentes et se situant beaucoup plus autour de deux. Ce phénomène confirme la montée en puissance du cinéma de réalisatrices que l’on a pu constater depuis 2021, progression qui est donc enfin prise en compte par la Sélection Officielle.

La vitalité des vétérans

A côté de cette nouveauté réjouissante, on observera la survivance de dinosaures (sans connotation péjorative) du cinéma qui, à plus de 80 ans, montrent plus de vitalité et d’envie de filmer que de jeunes débutants. Comme l’a souligné Thierry Frémaux, « il n’existe pas de date de péremption en art ». Le Festival de Cannes accueillera donc les nouvelles et peut-être dernières oeuvres, en raison de l’âge avancé de leurs auteurs, de : Marco Bellochio, Ken Loach (dernier film visionné avant la conférence de presse), Wim Wenders qui se paie même le luxe à 77 ans de présenter deux films, l’un en compétition (Perfect days), l’autre en séance spéciale (le documentaire Le bruit du temps, Anselm Kiefer ), et Martin Scorsese à qui il a été demandé de présenter son film en compétition, en raison de sa grande qualité. Parmi tous ces vétérans, Ken Loach serait en piste pour une potentielle troisième Palme d’or, Wim Wenders, une deuxième après l’extraordinaire Paris, Texas, et Martin Scorsese s’il accepte le principe de la compétition pour Killers of the flowers moon, une deuxième également après l’inoubliable Taxi Driver, presque cinquante ans plus tôt.

Les vétérans moins âgés et les outsiders

Parmi la génération des 50-70 ans, certains vétérans ont parfois déjà remporté une Palme d’or (Hirokazu Kore-eda en 2018, Nanni Moretti en 2001, Nuri Bilge Ceylan en 2014) et d’autres non (Wes Anderson, Aki Kaurismaki, Todd Haynes). Tous se présentent avec de bonnes chances de l’emporter. A noter aussi la présence de deux outsiders qui célèbrent cette année leur toute première sélection en compétition : le mystérieux Jonathan Glazer (The Zone of Interest) qui fait un film tous les dix ans (Birth, Under the skin) et le documentariste chinois Wang Bing qui réalise des films-fleuves de cinq ou dix heures (Jeunesse, seul documentaire retenu en compétition). Tout comme Wim Wenders, Wang Bing présentera l’originalité de montrer un film en séance spéciale (Man in black) et un autre en compétition.

Une répartition géographique assez égalitaire

Thierry Frémaux a mis l’accent en conférence de presse sur deux grands pays de cinéma qui font leur retour triomphal en compétition : les Etats-Unis et l’Italie. Si c’est bien le cas pour l’Italie, alignant Moretti, Rohwacher et Bellochio, en se passant cette année de Sorrentino, en revanche, c’est moins flagrant pour les Etats-Unis qui n’ont pour l’instant que deux représentants, Asteroid City de Wes Anderson (mais avec un casting pléthorique, et May December de Todd Haynes (avec Natalie Portman et Julianne Moore). Le reste de la sélection s’avère tout aussi équilibré, avec une légère prééminence européenne, mais la France, contrairement à certaines autres années, n’a finalement que trois représentants (Anatomie d’une chute de Justine Triet, La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung et L’Eté dernier de Catherine Breillat).

Les oubliés

Pour certains cinéastes, on peut légitimement s’étonner de leur absence : Jeff Nichols, Ladj Ly, Yorgos Lanthimos, Joachim Lafosse, Robin Campillo, Gao Xiaogang, Quentin Dupieux, Jérémy Clapin, Amar Escalante, Bertrand Mandico, Michel Franco, Bertrand Bonello, Mateo Garrone, Erwan Le Duc, Alexander Payne, Cristi Puiu, Vanessa Filho, Fernando Trueba, Valérie Donzelli, Kevin McDonald, Michel Gondry, Mati Diop, etc. Pour ceux-là, certains prendront comme Polanski la direction de Venise (Matteo Garrone), d’autres se retrouveront à la Quinzaine des Cinéastes (Quentin Dupieux, Bertrand Bonello, Michel Gondry, Erwan Le Duc?) ou à la Semaine de la Critique (Gao Xiaogang Jérémy Clapin, Bertrand Mandico) ou finiront par figurer dans les ajouts de la Sélection Officielle, en compétition ou pas (Jeff Nichols, Yorgos Lanthimos, Robin Campillo?). Quoi qu’il en soit, la compétition de la Sélection Officielle apparaît équilibrée, sans grand favori qui se détache, et respectueuse d’un étiage de films plus maîtrisé et raisonnable que les deux années précédentes qui ont effectué en grande partie du rattrapage de l’année 2020.

Les sections parallèles

Dans les autres sections, signalons la présence de The Idol de Sam Levinson, qualifié de film par Thierry Frémaux, alors qu’il s’agit sans doute du pilote de la série HBO avec Lily-Rose Depp. De manière générale, les sections sont plus resserrées, en particulier Cannes Premieres, destinées à accueillir, des films d’auteurs qui ne trouvent pas forcément une place en compétition, belle trouvaille de Frémaux qui lui permet de capter des films de cinéastes déjà reconnus. Il a ainsi reconfiguré Un Certain Regard en section équivalente de la Quinzaine des Cinéastes et de la Semaine de la Critique, accueillant les premiers et deuxièmes films de jeunes cinéastes, ce qui lui avait permis d’attraper dans ses filets Les Pires ou Rodéo qui avaient un profil a priori Semaine de la Critique. Cette année, idem, deux grosses prises ont été opérées par Frémaux, How to have sex, de Molly Manning Walker, une révélation « volée » à la Semaine de la Critique qui avait accueilli ses courts métrage et son projet New Step, et le film-OVNI de Thomas Cailley, Le Règne animal, qui aurait pu figurer à la Quinzaine des Cinéastes, comme Les Combattants, et qui fera finalement l’ouverture très attendue d’Un Certain Regard.

A l’arrivée, une Sélection Officielle intéressante, avec beaucoup de grands noms et de révélations possibles. Retour vers le futur, vers les Festivals de Cannes d’antan, tout en intégrant #MeToo, tel est le cap idéologique et cinématographique désigné par Iris Knobloch et Thierry Frémaux, entre cadre rassurant et innovations singulières, un festival en prise directe sur les enjeux de notre temps. Pas de doute, comme chaque année, à Cannes, on y sera!

En compétition

  • Club Zero de Jessica Hausner
  • La zone d’intérêt de Jonathan Glazer
  • Fallen leaves d’Aki Kaurismaki
  • Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania
  • Asteroid City de Wes Anderson
  • Anatomie d’une chute de Justine Triet
  • Monster de Kore-eda Hirokazu
  • Il Sol Dell’avvenire de Nanni Moretti
  • La chimera d’Alice Rohrwacher
  • Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan
  • L’été dernier de Catherine Breillat
  • La passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung
  • Rapito de Marco Bellocchio
  • May December de Todd Haynes
  • Firebrand de Karim Aïnouz
  • The old oak de Ken Loach
  • Banel et Adama de Ramata-Toulaye Sy
  • Perfect Days de Wim Wenders
  • Jeunesse de Wang Bing

Hors-compétition

  • Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese (qui pourrait cependant être présenté en compétition)
  • The Idol de Sam Levinson
  • Cobweb de Kim Jee-woon
  • Indiana Jones et le cadran de la destinée de James Mangold
  • Jeanne du Barry de Maïwenn (film d’ouverture)

Cannes Premières

  • Le temps d’aimer de Katell Quillévéré 
  • Fermer les yeux de Victor Erice
  • Bonnard, Pierre et Marthe de Martin Provost
  • Kubi de Takeshi Kitano

Séances de minuit

  • Omar la fraise de Ellias Belkeddar
  • Acide de Just Philippot
  • Kennedy d’Anurag Kashyap

Séances spéciales

  • Portraits fantômes de Kleber Mendonça Filho
  • Le bruit du temps, Anselm Kiefer de Win Wenders
  • Occupied city de Steve McQueen
  • Man in black de Wang Bing

Un Certain Regard 

  • Los Deliquentes de Rodrigo Moreno
  • How to have sex de Molly Manning Walker
  • Goodbye Julia de Mohamed Kordofani
  • Crowra de Joao Salaviza et Renée Nader Messora
  • Simple comme Sylvain de Monia Chokri
  • La mère de tous les mensonges de Kadib Abyad
  • Les Colons de Felipe Galvez
  • Augure de Baloji Tshiani
  • The breaking ice d’Anthony Chen
  • Rosalie de Stephanie Di Giusto
  • The New boy de Warwick Thornton
  • If only I could hibernate de Zoljargal Purevdash
  • Hopeless de Kim Chang-hoon
  • Terrestrial verses d’Ali Asgari et Alireza Khatami
  • Rien à perdre de Delphine Deloget
  • Les Meutes de Kamal Lazraq
  • Le règne animal de Thomas Cailley (ouverture)