Beau is afraid : n’ayons pas peur du ridicule

Après le succès de l’intéressant Hérédité et le triomphe, du moins critique, du fascinant Midsommar, Ari Aster se trouvait en position de force pour imposer tous les projets qu’il pouvait souhaiter. Absolument tout et n’importe quoi. A l’arrivée, disons-le tout de suite, c’est surtout n’importe quoi. A24, la petite société indépendante américaine de production et de distribution, (Spring breakers, The Lobster, Moonlight, 90’s, The Lighthouse, First cow, Uncut Gems), qui a le vent en poupe , ayant largement dominé la dernière cérémonie des Oscars avec la célébration de Everything, everywhere, all at once des Daniels et The Whale de Darren Aronofsky, se trouve peut-être face à sa première catastrophe industrielle et surtout artistique. Beau is afraid, creusant pourtant un sillon familier à Ari Aster, celui, pour résumer vite, des traumas familiaux et des conflits relationnels oedipiens, déçoit pourtant immensément, tant Aster se caricature lui-même en faisant preuve de complaisance coupable.

Beau, quinquagénaire solitaire, suit une psychanalyse et commet un acte manqué, rater l’avion qui devait l’amener chez sa mère, Mona, qu’il voit rarement. Celle-ci l’a eu très jeune, sa conception causant la mort de son père durant l’acte physique, ce dernier souffrant d’un souffle au coeur. Beau pense être atteint de la même maladie…

Beau is afraid, creusant pourtant un sillon familier à Ari Aster, celui, pour résumer vite, des traumas familiaux et des conflits relationnels oedipiens, déçoit pourtant immensément, tant Aster se caricature lui-même en faisant preuve de complaisance coupable.

Beau is afraid a bénéficié de cinq fois plus de moyens que les précédents films d’Ari Aster. Force est de constater qu’à défaut d’une écriture rigoureuse, la débauche de moyens financiers n’a pas contribué à un meilleur film. Première leçon donc : l’art naît souvent de la contrainte. L’argent pourrit parfois la créativité. Devant la réelle réussite de Midsommar, peut-être le chef-d’oeuvre de l’elevated horror, Ari Aster a tellement entendu de voix diverses qu’il était un génie, qu’il a fini par attraper la folie des grandeurs et croire qu’il en était véritablement un. Le même phénomène s’est appliqué cette année à Damien Chazelle et son Babylon inégal et monstrueux. Deuxième leçon : ne jamais dire à un cinéaste qu’il est génial, cela a fortement tendance à lui faire croire qu’il l’est. Résultat : un Beau is afraid, dépourvu de maîtrise artistique, de rigueur et de discipline, déstructuré, en roue libre, sans la précision scénaristique d’Hérédité ni le lyrisme poétique de Midsommar, flirtant surtout à la fin avec le grand-guignol (ah le monstre caché au fond du grenier!). Pendant une bonne heure et demie, le film divague et erre sans réel objectif, puis finit par se stabiliser lors de la séquence du théâtre dans la forêt, Sans devenir pour autant satisfaisant, Beau is afraid finit ici par trouver son équilibre artistique durant une demi-heure, avant de rechuter péniblement dans le conflit mère-fils qui, loin d’évoquer la grandeur bergmanienne des relations familiales tourmentées, se fige en caricature désolante. Tel quel, ce film d’Ari Aster ressemble à du Charlie Kaufman affadi, désarticulé et peu convaincant. Le film affiche clairement son absence de peur du ridicule et par moments, y sombre totalement, manquant cruellement d’humour, ce qui s’avère très vite assez rédhibitoire.

Même Joaquin Phoenix, pourtant un acteur si brillant (Her, Two Lovers) , n’est plus ici que l’ombre hébétée de lui-même, se parodiant presque dans son emploi d’homme immature. Ayant atteint le Graal ultime de l’acteur américain, l’Oscar grâce à Joker de Todd Philips, Phoenix n’a pas encore atteint l’instant où il va renaître à nouveau de ses cendres. Il bégaie plutôt la répétition du même dans ce film, où pour une fois, il n’innove pas dans son travail de comédien. Troisième leçon : ne pas donner de carte blanche à un cinéaste ou un acteur. Il est préférable de fixer un cadre, des limites à l’intérieur desquelles l’artiste va s’épanouir, en s’amusant des règles du jeu. A l’évidence, Ari Aster a pâti de l’excès de moyens qui lui ont été octroyés. On perçoit certes la sincérité du propos qui réside dans la difficulté d’effectuer le deuil de ses parents et d’accepter la relation d’amour-haine qui peut parfois unir dans la douleur des personnes au sein d’une famille. Reste qu’il serait préférable que cette souffrance prenne des chemins moins caricaturaux ou grossiers pour que le film d’Aster puisse émouvoir.

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RÉALISATEUR :  Ari Aster 
NATIONALITÉ : américaine 
GENRE :  fantastique, horreur 
AVEC : Joaquin Phoenix, Patti LuPone, Amy Ryan, Parker Posey 
DURÉE : 2h59 
DISTRIBUTEUR : ARP Sélection, Originals Factory 
SORTIE LE 26 avril 2023