Two Lovers : humain, tout simplement

De nos jours à New York. Léonard, employé dans le pressing de son père et photographe à ses heures perdues, se remet difficilement d’une rupture. Dépressif, il songe parfois à se suicider. Or, deux jeunes femmes vont modifier sa vie : l’une, Sandra, aux goûts sages et ordinaires, est issue d’une famille amie de ses parents ; l’autre, Michelle, drôle et fantasque, entretient une relation adultère avec un avocat des beaux quartiers. Il s’éprend des deux successivement et alternativement, chacune des deux représentant un des choix fondamentaux qui s’offrent à lui : la tendresse et la sécurité, la folie et le romantisme…

Commençons par dire l’essentiel : Two lovers est un film qui respire l’humanité à chaque plan, les personnages existent comme si nous les avions toujours connus : ce Léonard, vieux garçon vivant toujours chez ses parents, à qui Joaquin Phoenix, tout à fait exceptionnel, prête une étrange grâce maladroite, cette Sandra aux goûts simples et à la vocation d’infirmière morale qui panse les bleus au coeur, cette Michelle, belle et inconstante, qui traîne un désespoir aussi profond que son goût pour la fête, pour finir par la mère de Léonard à qui Isabella Rossellini donne toute la mesure de sa sollicitude inquiète.

James Gray montre la vie avec une perfection cinématographique totale et cette vie-là nous bouleverse sans rémission.

Le film respire naturellement et rares sont ceux qui procurent cette impression, le style ou l’histoire se mettant souvent au cinéma en travers des personnages pour nous empêcher de les percevoir. Rien de tout cela ici, les personnages existent sans fards et le film se déroule comme le réel, sans que rien ne semble mis en scène de façon artificielle. Tout coule de manière fluide et cette perfection dans l’enchaînement des plans a sans doute demandé à James Gray beaucoup d’efforts qui, avec l’élégance du style, ne se perçoivent pas.

Certains, mal intentionnés, pourraient croire que James Gray s’est renié, abandonnant sa trilogie de polars mafieux dont La Nuit nous appartient semble être le point culminant. Rien n’est moins vrai : il prouve au contraire la grandeur de son talent de metteur en scène, en se réinventant dans un genre qui n’est pas a priori son registre de prédilection et qui, pourtant, lui va comme un gant : la comédie romantique. Cependant cette étiquette recouvre mal le caractère tragique de l’histoire qu’il souhaite nous raconter, et auquel les précédents films de Gray nous avaient déjà habitués : cette lutte incessante entre la passion et le devoir, ce conflit meurtrier entre le véritable amour et la simple tendresse, la folie et la raison, évoque bien davantage Corneille, Racine ou les tragiques grecs que les comédies insipides dont Hollywood se repaît.

James Gray travaille à l’évidence sur les archétypes et sur la manière de les revivifier à partir de simples détails. Le moindre plan est ainsi pensé avec une méticulosité et un goût de la perfection qui ne cessent d’impressionner tout au long du film. Autant dire que le pari est réussi : non seulement Gray réussit la performance de faire presque oublier son précédent film, mais il fait vibrer au fond de nous la corde romantique qu’on croyait parfois ne plus pouvoir exister.

La déclaration de Léonard à Michelle est l’une des plus belles récemment entendues au cinéma et la séquence qui suit, par son lyrisme et son romantisme absolus, où les deux protagonistes s’adressent l’un à l’autre, d’une fenêtre à l’autre, mène le film à des hauteurs stratosphériques desquelles il ne redescendra plus. James Gray montre la vie avec une perfection cinématographique totale et cette vie-là nous bouleverse sans rémission.

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RÉALISATEUR : James Gray
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw, Isabella Rossellini
GENRE : Drame, romance  
DURÉE : 1h50
DISTRIBUTEUR : Wild Bunch Distribution 
SORTIE LE 19 novembre 2008