Apolonia, Apolonia : trois femmes

Quand Lea Glob, étudiante en cinéma, a proposé à Apolonia Sokol, peintre débutante, de faire son portrait dans un court métrage d’études, elle ne se doutait certainement pas que ce petit film allait la mener vers une aventure documentaire qui allait durer plus de 13 années et aboutir à un long métrage. Car, sur cette période, une amitié est née entre ces deux femmes, artistes jusqu’au bout des ongles, et vivant aussi leur féminité comme un combat dans un monde profondément nourri de culture patriarcale. Ces deux femmes furent d’ailleurs bientôt rejointes par la légende des Femen, Oksana Chatchko, elle aussi artiste peintre et militante féministe, qu’Apolonia a accueillie en France en 2012, suite à son exil d’Ukraine. C’est cette histoire, plus incroyable que les romans les plus extraordinaires, que Apolonia, Apolonia raconte, avec la voix de la réalisatrice ressemblant étrangement à celle hachée et saccadée de Björk, en dénouant patiemment les liens inextricables existant entre trois vies de femmes qui se sont croisées dans les années 2010 à Paris.

Treize ans de trois destins de femmes, Apolonia Sokol, Oksana Chatchko et Lea Glob, racontés par cette dernière, cinéaste, au moyen d’images d’archives et de vidéos filmées chaque année, au jour le jour.

En construisant son film par petits bouts d’images vidéo, Lea Glob finit par constituer une continuité magnifique d’impressions qui représente la vie elle-même, avec ses hauts et bas, ses réussites et ses échecs, ses impasses et ses triomphes.

Au cas où on ne le croirait pas, le destin existe. Si une amie n’avait pas passé à Lea Glob le numéro de téléphone d’Apolonia Sokol, ce film n’aurait pas vu le jour et c’eût été très dommage. Dès les premières images, par la manière dont Apolonia envahit l’écran de cinéma, l’on sait déjà que l’on se trouve devant un personnage hors normes dont les parents documentaient déjà toutes les étapes de la vie (via de nombreux home movies, de sa conception classée interdite aux moins de 18 ans, à son adolescence, en passant par sa naissance). Un charisme exceptionnel de vedette de cinéma, sauf qu’Apolonia se destine aux Beaux-Arts, et préfère le métier de peintre à celui de modèle, excepté devant la caméra de son amie Léa, où elle se livre tout entière, sans fausse pudeur.

Au bout de vingt minutes, ce charisme hors du commun se voit tout de même concurrencé, voire surclassé, par celui non moins lumineux de Oksana Chatchko, cofondatrice des Femen, qui est accueillie en tant qu’exilée politique dans le Théâtre du Lavoir Moderne que dirige le père d’Apolonia, De cette rencontre va naître une amitié profonde, Apolonia adoptant sans discuter les principes féministes intangibles de son amie Oksana. Comment Lea Glob pouvait-elle savoir que ces images des deux amies allaient avoir une dimension historique, Apolonia n’étant alors qu’une simple étudiante aux Beaux-Arts?

Car, en dépit des apparitions récurrentes et extrêmement émouvantes d’Oksana, le film appartient bien à Apolonia et raconte son destin extraordinaire : au départ, presque négligée par ses professeurs qui ne la retiennent pas dans les « meilleurs » étudiants qui bénéficieront de la grande exposition de fin d’année des Beaux-Arts, Apolonia souffre d’une blessure narcissique certaine et part pour New York, menant la vie de bohême puis se trouve à la limite de vendre son âme à Los Angeles, en faisant du business artistique et en rencontrant Harvey Weinstein (rien qu’à l’évocation de son nom, en 2014-15, Apolonia frémit déjà). Un critique d’art lui donnera un conseil extrêmement utile pour pouvoir s’en sortir, « devenir une des meilleures« . Elle finit par trouver l’essence de son art en partant à Copenhague puis Istanbul, et en se concentrant sur sa pratique du portrait, sur fond idéologique de féminisme. Devenue une artiste reconnue, voire une pionnière de la peinture contemporaine, elle atteint la consécration en bénéficiant d’une résidence à la Villa Médicis à Rome.

Entre-temps, auront eu lieu pour elle et ses amies, un avortement, un accouchement catastrophique, un suicide, etc., des événements qui montreront la diversité des destins qu’elle auront traversés et leur différence de réactions par rapport à la vie familiale conventionnelle. Car Apolonia, Apolonia est surtout, au-delà de la narration de destins devenus quasiment historiques aujourd’hui, une réflexion sur la façon de mener sa vie, de traverser les épreuves, avec plus ou moins de résilience, et de mener sa barque, en choisissant de se soumettre au système ou de s’en affranchir. En construisant son film par petits bouts d’images vidéo, Lea Glob finit par constituer une continuité magnifique d’impressions qui représente la vie elle-même, avec ses hauts et bas, ses réussites et ses échecs, ses impasses et ses triomphes.

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RÉALISATRICE : Lea Glob  
NATIONALITÉ :  danoise 
GENRE : documentaire 
AVEC : Apolonia Sokol, Oksana Chatchko, Lea Glob 
DURÉE : 1h56 
DISTRIBUTEUR : Survivance Films 
SORTIE LE 27 mars 2024