Dalva : moi, enfant, vivante, de nouveau

Les Chatouilles (d’Éric Métayer et Andréa Bescond), quatre ans plus tôt, avec son titre léger, comme le Grâce à Dieu plus récent d’Ozon, s’intéressaient aux abus sexuels sur des enfants et à la mise en œuvre d’une réparation, une fois ces derniers devenus adultes. Le film d’Emmanuelle Nicot, Dalva, présenté à la Semaine de la critique, vient aujourd’hui aborder le sujet de la pédophilie familiale, à travers l’éblouissant personnage de Dalva (Zelda Samson) : douze ans et déjà accoutrée (robe de soirée noire en dentelle, bas nylon et bijoux), maquillée, décolorée rousse comme une belle de nuit au service de son père (Jean-Louis Coulloc’h) qui l’a kidnappée suite à l’annonce de leur séparation par la maman (Sandrine Blancke), et la trimballe de déménagement en déménagement pour éviter qu’ils soient retrouvés. Ce premier film belge, bien que réalisé par une réalisatrice française installée à Bruxelles, vient s’intéresser à l’état de destruction (mais aussi de déni) dans lequel est plongée une victime, et à sa reconstruction, avec l’aide du système judiciaire, d’un éducateur spécialisé, mais aussi d’une mère retrouvée, est totalement poignant.

Le film, qui s’intéresse à l’état de destruction et à sa possibilité de reconstruction, est totalement poignant.

Le récit s’ouvre sur les cris hystériques poussés par Dalva à qui on enlève son amour (de père), Jacques, qu’elle considère comme son homme parce que c’est celui qui l’aime, et autrement – et pourtant l’abuse prétextant la protéger des autres : plans serrés, rythme effréné, caméra portée et format 4/3 (de l’enfermement) pour immédiatement coller au point de vue du personnage. C’est ensuite une auscultation gynécologique qui révèle combien le corps de Dalva s’est fermé ou formé à n’être qu’opprimé : elle est mutique. Quasi immédiatement placée dans un foyer à la frontière belge, à Givet, auprès d’un éducateur attitré (Alexis Manenti vu dans Les Misérables dans une prestation remarquée), institution d’où elle tentera de s’enfuir à plusieurs reprises pour retrouver son amour volé, elle commencera pourtant à s’exprimer comme l’enfant qu’elle est, à dé.couvrir ses blessures enfouies, à reprendre la place qu’elle doit avoir, ou à recommencer à s’aimer en en comprenant les différentes palettes. C’est d’abord auprès de la sauvage Samia (Fanta Guirassy), enfant de la prostitution, virée de ses collèges, qui masque son corps de jeune fille pour ne pas ressembler à sa mère fardée en s’habillant en garçon, et qui écoute la musique trop fort dans sa chambre. C’est peu à peu que Dalva et Samia deviendront amies, l’aînée la prenant sous son aile, lui offrant une veste de survet’ quand Dalva lui ferait la surprise d’une magnifique robe mettant en valeur ses rondes formes, pour son soir de départ. Emmanuelle Nicot filme les différences, Barbie versus Bulldozer, alors même qu’au sein de l’institut, aucun enfant n’a échappé aux maltraitances, ce que Samia rappellera « Ici on est tous pareils, mais des autres on est différents ». Cette diversité – un petit frisé à lunettes comme un fumeur de joints peu loquace se rapprocheront par endroits de Dalva – est montrée comme toute particulière face aux jeunes collégiens que Dalva finira par rencontrer en en intégrant un en plein milieu d’année. Le monde scolaire, la cruauté de certains enfants, les incompétences de certains personnels sont quant à eux montrés de façon précise, et bien que formaté, à travers des dialogues violents, des jeux dangereux, des nœuds systémiques – le trop d’élèves et l’impossibilité de s’occuper des cas, alors préférez les déplacer –, qui ne se rencontrent pas de la même manière dans le foyer qui doit assurer la réinsertion des jeunes. En effet, Nicot montre comment une nécessaire entente collective se met en place dans l’institution d’accueil dont l’un des objectifs est de faire retrouver l’amour de soi. Pour montrer cette reconstruction, le film alternera deux types de situations : l’isolement et la solitude, qui montrent Dalva enfermée dans son placard, en fuite sur les routes, retournée dans l’appartement incestueux, que la caméra de Nicot filme avec proximité et douceur malgré la révolte de la perte qui sourd dans les tripes de la petite, à travers des plans raffinés et précis qui se portent sur le visage, le corps, l’attitude de la jeune fille en réappropriation de qui elle est ; les moments de solidarité, à deux avec Samia, son éducateur, la psychologue, sa mère réapparue, ou la communauté, et qui viennent renvoyer en miroir qu’une sérénité pourra être retrouvée, une joie revécue, une confiance retrouvée.

Emmanuelle Nicot filme les différences, Barbie versus Bulldozer, alors même qu’au sein de l’institut, aucun enfant n’a échappé aux maltraitances.

C’est ainsi que sans tomber dans la psychologie de comptoir, le film fait cas de ses personnages qui semblent chacun, presque en miroir de Dalva qui leur apprend à être et à dire aussi, en ré.adaptation, r.é.volution, trans.formation : ce sera le cas de l’éducateur (et l’acteur maîtrise), obligé de mesurer ses colères vis-à-vis des frasques de l’enfant qui la mettent en danger, devenant de plus en plus protecteur ; ou de la mère (et l’actrice émeut), obligée de répondre au rythme de Dalva à qui son père a menti en prétendant l’abandon maternel, mesurant les informations qu’elle donne sur ses années de reconstruction (à retrouver un homme, à refaire sa vie, à avoir un autre enfant), devenant de plus en plus tendre ; ce sera encore le cas de Samia, contrainte de jouer la grande sœur vis-à-vis de Dalva qui fait pipi au lit, a ses premières règles, ne sait pas marcher naturellement, devenant de moins en moins sauvage. Ce seront d’abord des plans larges pour les montrer, et se resserrant peu à peu lorsqu’un rapprochement devient possible avec Dalva. Emmanuelle Nicot révèle alors, par le regard qu’elle porte et la mise en images de postures obligées puis vouées à être réinterrogées, une vision du cinéma qui pour elle ferait s’unir fond et forme sans provocation, contre-indication ou tape à l’œil, au bénéfice d’un œil aussi réparateur que la réparation à l’œuvre pour le personnage. Cette sensation, qui montre quel lien entrevoit la réalisatrice entre son sujet et son objet, est également possible par le travail effectué sur le son, le bruit d’une langue et d’une musique intérieure, prompt à nous plonger dans l’abyme dans lequel se trouve Dalva et qui fait correspondre ses émotions à l’ambiance sonore du film comme souvent l’image répond aux projections psychiques de l’enfant. Enfant qu’on finira par voir sourire, puis rire, puis enlacer, puis embrasser, faisant passer le registre du film du dramatique au lyrique sans mélo aucun. Pour tout cela, Dalva – dont le scénario avait été primé en 2021 dans le cadre du prix à la Création de la Fondation Gan – vaut le détour, et peut-être pour lui, un prix en perspective…

4.5

RÉALISATEUR :  Emmanuelle Nicot
NATIONALITÉ : France
AVEC : Zelda Samson, Alexis Manenti, Fanta Guirassi, Marie Denarnaud, Jean-Louis Coulloc'h, Maïa Sandoz, Sandrine Blancke, Charlie Drach, Roman Coustère-Hachez
GENRE : Drame psychologique
DURÉE : 1h25
DISTRIBUTEUR : Diaphana
SORTIE LE 22 mars 2023