Depuis que Martin Scorsese a réagi de manière lapidaire au succès du Marvel Cinematic Universe (MCU) en octobre 2019, peu de cinéphiles en sont devenus les défenseurs. Il avait en effet déclaré : « Je ne les regarde pas. J’ai essayé, mais ce n’est pas du cinéma. Honnêtement, le plus proche que je puisse trouver, aussi bien réalisés qu’ils soient, et avec des acteurs faisant de leur mieux, est celui des parcs à thème. Ce n’est pas un cinéma de réalisateurs qui essaient de transmettre des expériences émotionnelles et psychologiques à des spectateurs. » Difficile de faire plus violent. Sa réaction suivait de quelques mois la sortie de Avengers : Endgame, avant-dernier film, sommet narratif de la phase 3 du MCU et l’un des deux films les plus vus et lucratifs de l’histoire du cinéma, en balance avec Avatar de James Cameron. Depuis donc ce pic, les films Marvel ont connu un phénomène de lassitude et d’absence de renouvellement. Or les responsables du MCU, loin d’être stupides, ont peut-être écouté Martin Scorsese et enfin décidé de « transmettre des expériences émotionnelles et psychologiques à des spectateurs« . Thunderbolts * représente en tout cas une tentative courageuse d’aller dans ce sens.
À Kuala Lumpur en Malaisie, Yelana Belova fait exploser un laboratoire au sein d’un immeuble appartenant au groupe OXE sous les ordres de Valentina Allegra de Fontaine qui souhaite effacer les preuves de son implication dans des expériences illégales sur des individus afin de leur octroyer des pouvoirs surhumains dont le projet Sentry. Pendant la mission, Yelena parle de sa crise existentielle à ses adversaires et évoque la futilité de son quotidien. Alors que Valentina se trouve à Washington pour faire face à sa destitution imminente de son poste de directrice de la CIA pour son implication dans les activités d’OXE, elle est surveillée par Bucky Barnes, devenu membre du Congrès.
Transcendé par une vibrante Florence Pugh, Thunderbolts* annonce ainsi un futur prometteur, un nouveau matin plein d’espérance pour l’univers Marvel.
Il faut peut-être remonter aux Eternels de Chloé Zhao ou au dernier volet de la trilogie Spider-Man de Jon Watts pour ressentir l’étincelle d’une prise de risque dans cet univers Marvel si formaté. Dans Thunderbolts* (il faut voir le film pour comprendre le sens de cet astérique), le fan de comics retrouvera la thématique déjà utilisée du groupe de perdants qui deviennent plus forts grâce à la synergie du collectif (cf. Les Gardiens de la Galaxie), le sens de l’humour métafilmique semi-improvisé, parfois exténuant mais ici utilisé à bon escient, ainsi que les scènes de combats et de catastrophes toujours aussi dynamiques et impressionnantes. Pourtant, si ce n’était que cela, la plupart des films Marvel apportent les mêmes éléments. Quelle serait en fait la plus-value de Thunderbolts*?
Kevin Feige, le grand manitou du MCU, a sans doute entendu la critique acerbe de Martin Scorsese. Par conséquent, il s’est décidé à apporter davantage de profondeur aux films du MCU qui pouvaient en manquer assez fréquemment, hormis peut-être la trilogie Spider-Man. Thunderbolts* commence ainsi très fort par une simili-tentative de suicide. Yelena Belova, celle qui a succédé à sa soeur Natasha dans le costume de Black Widow, n’en peut plus, se trouve au bord du burn out et ne voit plus le sens de son activité. C’est donc une héroïne profondément dépressive que nous allons suivre au coeur de l’action, ce qui s’avère assez gonflé pour un film a priori principalement destiné aux adolescents, à moins que justement cette thématique ne rentre directement en résonance avec leurs préoccupations principales.
Ce choix pourrait s’avérer simplement accidentel mais lorsque Yelena croise le chemin de Bob, un ancien drogué au profil bipolaire, qui s’est inscrit à des expériences d’augmentation de capacités organisées par la directrice de la CIA, il ne fait plus aucun doute que Thunderbolts* traite en fait de la dépression et de la santé mentale, sous couvert de retracer les aventures de super-héros ayant plutôt l’air de super-perdants. Grâce à cette (ré)orientation stratégique du scénario, assez imprévisible au regard des précédents films du MCU, Florence Pugh, l’une des meilleures comédiennes actuelles, (on pourrait écrire un article entier sur les intonations rauques de sa voix grave), se réapproprie totalement le film, dans la lignée de Midsommar d’Ari Aster, et en fait un petit traité pour combattre la dépression et les idées noires. Bien secondée par Lewis Pullman (le fils de Bill, l’acteur de Lost Highway), surprenant dans le rôle de Bob, elle réussit à donner une densité psychologique à son personnage et à leur relation. Par moments, Thunderbolts*, quand il aborde le versant de la dépression, devient un vrai bon film, celui que Martin Scorsese appelait de ses voeux la transmission d’expériences émotionnelles et psychologiques, Cet aspect se trouve évidemment contrebalancé par les blagues faciles de David Harbour (Stranger things) et la performance de Julia Louis-Dreyfus en mini-Cruella manipulatrice. Mais il finit par subsister et à s’imposer dans l’esprit du spectateur, à la manière des taches d’encre représentant le néant qui engloutissent les passants de New York, belle idée graphique, superbement réalisée. Chaque protagoniste se voit retranché dans sa zone d’intimité (sauf peut-être Le Fantôme) et doit affronter ses peurs les plus profondes pour espérer s’en sortir. Certaines séquences se déroulant dans l’esprit de Bob n’ont pas grand’chose à envier au style labyrinthique de certaines oeuvres se situant dans un registre onirique. Par moments, Thunderbolts* ressemble ainsi davantage à un film de Michel Gondry ou de Charlie Kaufman, qu’à un banal et spectaculaire film Marvel de plus.
Jake Schreier vient du cinéma indépendant (le remarqué Robot et Frank) et cela se ressent par son découpage toujours extrêmement lisible et un recentrage louable autour d’enjeux psychologiques et émotionnels. Transcendé par une vibrante Florence Pugh, Thunderbolts* annonce ainsi un futur prometteur, un nouveau matin plein d’espérance pour l’univers Marvel.
RÉALISATEUR : Jake Schreier NATIONALITÉ : américaine GENRE : action, film de super-héros AVEC : Florence Pugh, Lewis Pullman, Julia Louis-Dreyfus, David Harbour, Sebastian Stan, Wyatt Russell, Hannah John-Kamen, Geraldine Viswanathan. DURÉE : 2h06 DISTRIBUTEUR : The Walt Disney Company France SORTIE LE 30 avril 2025