Richard Linklater est l’un des cinéastes américains les plus surprenants, imprévisibles et versatiles dans le bon sens du terme. Le grand public le connaît surtout pour ses films sur le temps qui passe (Boyhood, la trilogie des Before) mais il a également réalisé des films d’animation (A scanner darkly, Apollo 10½), des films de groupe (Génération rebelle, Fast food nation). Bernie fait plutôt partie de sa veine de comédies noires et sort en salle, suite au bon accueil critique de Hit Man, pourtant diffusé uniquement sur Netflix aux Etats-Unis et sur Canal Plus en France. Tourné en 2011, Bernie est ainsi une exploration du pays trumpiste avant la lettre, cocasse et drôle, s’ingéniant par la mise en scène à ne pas porter de jugement univoque sur ce personnage de fait divers, dont les motivations demeurent impénétrables. On doit à ExtraLucid Films cette formidable redécouverte d’un film qui serait sinon passé aux oubliettes de l’histoire du cinéma.
1996, dans la petite ville de Carthage, l’assistant du croque-mort, Bernie Tiede, un membre bien-aimé de la communauté, devient le seul ami de la riche Marjorie Nugent, récemment veuve. Les citadins la considèrent froide et désagréable. Tiede, bientôt 40 ans et la vieille Nugent deviennent rapidement inséparables, voyageant et déjeunant fréquemment ensemble. Puis l’irréparable survient.
Une satire savoureuse de la crédulité populaire qui se fait circonvenir par des apparences d’amabilité et d’empathie, sans vouloir identifier les basses motivations qui pourraient être à l’origine des actes.
Comme une grande partie des films de Richard Linklater, Bernie se passe au Texas, Etat dont le cinéaste est originaire. Cette localisation est ainsi un bon prétexte pour explorer l’Amérique profonde, celle où les habitants se font facilement abuser et manipuler, tant ils font preuve de bonne foi, dans tous les sens du terme, le personnage de Bernie n’hésitant pas à enrôler ses proies sous la bannière de la religion, pour mieux endormir leurs suspicions. Avec Hit Man, Bernie partage une même origine de fait divers, plus précisément tirés d’articles de Skip Hollandsworth publiés dans Texas Monthly. Il s’agit donc d’histoires vraies qui pourraient paraître invraisemblables, si elles ne s’avéraient rigoureusement exactes, un peu à la manière de Fargo des Coen (à la grande différence que le film des Coen est évidemment complètement imaginé).
Pour raconter cette étrange histoire, Linklater utilise la technique éprouvée du mockumentary (documentaire inventé) dont Woody Allen était particulièrement spécialiste (Prends l’oseille et tire-toi, Zelig, Accords et désaccords, entre autres brillantes réussites). Il en tire de brillants effets, alternant témoignages des habitants crédules du Texas et scènes de la vie de Bernie, cet assistant d’une entreprise de pompes funèbres dont tous célèbrent les qualités de sympathie et de cordialité. Ce personnage aimait bien jeter son dévolu sur de riches veuves plus ou moins éplorées, soit par esprit de miséricorde soit par appât du gain. Il est d’ailleurs possible de rapprocher la situation du film, le cynisme éventuel en moins, de celle de Carla et moi, où un chef de chorale s’éprend d’une dame qui affiche a minima trente ans de plus que lui.
Richard Linklater mène son film tambour battant, utilisant plans larges et plongées de manière judicieuse pour ramener les personnages à leur humaine condition. Mais il réussit surtout à ménager, ce qui ne paraissait pas évident, une certaine ambigüité dans le portrait de Bernie. Linklater s’évertue à ne pas porter de jugement sur son personnage, et à nous laisser seuls juges de son comportement, Jack Black jouant volontairement son personnage au premier degré sans la moindre once de cynisme.
Dans le rôle de la veuve acariâtre, nous avons plaisir à retrouver Shirley MacLaine, la fameuse actrice de Mais qui a tué Harry?, La Garçonnière ou encore Irma la douce. Elle interprète si bien son rôle de peste possessive et insupportable que l’on se met à comprendre le pauvre Bernie, soumis à une relation passive-agressive qui va progressivement dégénérer. Entre un Bernie bienveillant et généreux et une Marjorie parfaitement détestable, le film nous fait même vaciller sur nos fondations morales, avant que le procureur général, Danny Davidson (Matthew McConaughey) ne vienne nous rappeler à l’ordre. Le Mal permettrait-il en définitive de faire le Bien? Eradiquer la terre d’un être fondamentalement honni par la communauté, serait-ce au fond rendre service à la plupart des gens? Les habitants de Carthage, quant à eux, n’hésitent pas une seconde et cherchent les moindres circonstances atténuantes afin d’exonérer Bernie de la responsabilité de ses actes. Peut-on y voir par anticipation la manière dont un Donald Trump a su s’attirer les bonnes grâces de l’électorat populaire, afin de se faire élire et réélire à la Présidence des Etats-Unis?
Par conséquent, Bernie est une satire savoureuse de la crédulité populaire qui se fait circonvenir par des apparences d’amabilité et d’empathie, sans vouloir identifier les basses motivations qui pourraient être à l’origine des actes.
RÉALISATEUR : Richard Linklater NATIONALITÉ : américaine GENRE : comédie, comédie noire AVEC : Jack Black, Shirley MacLaine, Matthew McConaughey DURÉE : 1h36 DISTRIBUTEUR : ExtraLucid Films SORTIE LE 8 janvier 2025