Ibrahim : père et fils

On avait remarqué la tendresse comique ou le comique tendre de Samir Guesmi dans les jolis films de la regrettée Solveig Anspach, Queen of Montreuil ou L’Effet aquatique. Dans un contexte plus dramatique, après une carrière étendue et diverse comme comédien, il fait ses premiers pas derrière la caméra avec Ibrahim. Coup d’essai réussi avec cette histoire de relation entre un père et son fils, qui évoque les espoirs et les déceptions qu’un fils peut susciter chez son père et le mélange de honte et d’orgueil qu’un fils peut éprouver en tentant de se mettre à la hauteur des illusions de son père. Il ne fait guère de doute que beaucoup se reconnaîtront dans cette trame universelle.

Le jeune Ibrahim est partagé entre son père, écailler à la brasserie du Royal Opéra, et son ami Achille, petit délinquant, qui exerce une mauvaise influence sur lui. A la suite d’un mauvais coup échafaudé par Achille, Ibrahim perd l’occasion qu’il avait de restaurer la dignité de son père. Il n’aura de cesse de vouloir racheter sa dette envers lui.

Ibrahim, premier film de Samir Guesmi, coup d’essai réussi avec cette histoire de relation entre un père et son fils, qui évoque les espoirs et les déceptions qu’un fils peut susciter chez son père et le mélange de honte et d’orgueil qu’un fils peut éprouver en tentant de se mettre à la hauteur des illusions de son père

Même si Samir Guesmi a choisi davantage le drame que la comédie chère à Solveig Anspach, il a hérité des mêmes qualités, pudeur, dignité et humanité dans le regard sur ses personnages. Il a mis beaucoup de lui dans Ibrahim, transposant sa jeunesse mouvementée, plus ou moins délinquante, et choisissant d’interpréter le rôle de son père. Il a certainement fallu qu’il atteigne l’âge de son père face à lui adolescent, pour qu’il s’arroge enfin le droit de raconter une histoire aussi personnelle. Le fait qu’il endosse le rôle de son père implique et démontre aussi le changement de perspective qui s’est produit en lui. Ibrahim est certes raconté du point de vue du fils, mais avec une grande empathie de regard envers le père qui n’est traité ni par le mépris, la révolte ou la haine.

On peut juste regretter l’intrigue sentimentale obligatoire portée par une Luana Bajrami pourtant impeccable, qui fait pâle figure face à l’intensité de la relation entre Ibrahim et son père Ahmed. Du côté mise en scène, Samir Guesmi préfère faire profil bas et ne cherche pas à se signaler par une originalité révolutionnaire, son film rappelant parfois l’âpreté de Pialat. Néanmoins on remarquera une belle manière de montrer la circulation de l’argent, moteur de la société, qui ne cesse d’aller de main en main, dans le style, toutes proportions gardées, de L’Argent de Robert Bresson. Ibrahim est mis en scène de manière modeste, sans esbroufe, avec une grande justesse de ton, Samir Guesmi mettant avant tout l’accent sur ses personnages. Dans ce combat d’Ibrahim pour restaurer la dentition de son père afin qu’il puisse servir en restaurant, se cache une critique discrète de la partition du monde entre les sans-dents, cités parfois par certains hommes politiques, qui s’efforcent de survivre et ceux qui sont trop heureux de pouvoir les exploiter, sans jamais leur rendre justice.

3.5

RÉALISATEUR : Samir Guesmi 
NATIONALITÉ : française 
AVEC :  Abdel Bendaher, Samir Guesmi, Rabah Naït Oufella, Luana Bajrami 
GENRE : Drame 
DURÉE : 1h20 
DISTRIBUTEUR : Le Pacte 
SORTIE LE 23 juin 2021