Médecin de nuit : Tchao Pantin

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Médecin de nuit le film n’est pas directement inspiré par la fameuse série des années quatre-vingts, Médecins de nuit, cocréée par un certain Bernard Kouchner, qui avait pour but de radiographier la France de l’époque, en particulier ses aspects sociaux. Pourtant l’objectif d’Elie Wajeman, jeune metteur en scène (Alyah, Les Anarchistes), issu de la Fémis, se révèle quasiment identique, offrant avec son troisième film, une photographie d’un certain visage de Paris, loin de l’image préconçue par les touristes. En fait, Médecin de nuit navigue à vue entre un esprit russe plutôt rafraîchissant, de par sa cyclothymie (Platonov de Tchékhov ainsi que ses récits de médecin à la dérive) et une influence des polars des années 70 (Scorsese, Lumet) plus attendue et prévisible. Le résultat, plus qu’intéressant, prend surtout une dimension poignante grâce à un Vincent Macaigne transcendé, enfin sorti de son emploi habituel et prenant des risques comme son personnage avec l’amour et la mort.

Mikaël est médecin de nuit. Officiant surtout dans le Nord-Est parisien, il propose des consultations à des patients de quartiers difficiles mais également à ceux qui sont refusés par tous les autres médecins, les toxicomanes. Déchiré entre d’un côté son épouse et ses deux filles, et de l’autre, sa maîtresse, fiancée d’un cousin pharmacien qui le pousse à faire de fausses ordonnances de Subutex, Mikaël ne sait plus comment reprendre le contrôle de sa vie.

Médecin de nuit prend surtout une dimension poignante grâce à un Vincent Macaigne transcendé, enfin sorti de son emploi habituel et prenant des risques comme son personnage avec l’amour et la mort.

En trois films, Elia Wajeman possède déjà une oeuvre très diverse où aucun film ne ressemble à un autre. Une thématique commune semble néanmoins les unir : l’indécision face à un choix existentiel, la vente de drogue contre l’établissement en Israël dans Alyah, la police contre les anarchistes dans le film éponyme, enfin le trafic de fausses ordonnances versus une vie « normale ». Médecin de nuit commence ainsi de belle manière par un dialogue sur une personne qui a décidé de refuser les sentiments puis sur une diatribe de Mikaël sur l’universalité de toute chose en tant que fait politique. Dès les premières scènes, Elia Wajeman proclame sa déclaration d’intentions : il s’agit de traiter de sentiments, en examinant les situations sous un angle politique. On suit avec plaisir et une légère angoisse Mikaël dans ses pérégrinations nocturnes auprès de clients plus ou moins honnêtes et perturbés. C’est sans doute la meilleure partie du film, ces visites à des clients qui permettent au médecin de prendre le pouls d’une humanité qui s’avère de plus en plus défaillante. Parfois Mikaël ne se déplace même pas au domicile de ses clients mais propose ses consultations dans l’enceinte de sa voiture, simili-cabinet médical. Celui qui doit soigner est en fait celui qui a le plus besoin d’aide. Vincent Macaigne offre ainsi toute sa vulnérabilité à fleur de peau à ce personnage tourmenté, inspiré par les médecins de Tchékhov. On regrette même que cette partie ne soit pas plus développée en sorte de chronique avec clients récurrents, pour permettre au film de prendre toute son ampleur. Vincent Macaigne face à une humanité en proie au désespoir, c’était déjà un très beau sujet en soi.

En-dehors de cet aspect, le triangle amoureux ( Mikaël, Dimitri, Sophia) ne parvient pas à prendre une réelle consistance, en raison d’un défaut de caractérisation des deux derniers personnages qui n’échappent pas aux clichés, malgré le talent de Sara Giraudeau et de Pio Marmai. De plus, la violence héritée du cinéma américain paraît beaucoup trop stéréotypée dans Médecin de nuit, reproduisant les figures de style de Scorsese (la prostituée à sauver), Ferrara (le justicier rédempteur) ou James Gray (les cousins amis et rivaux), sans les incarner et les justifier suffisamment, le personnage de Mikaël passant de Saint-Bernard accueillant et bienveillant à un quasi-ange exterminateur prompt au coup de poing. Pour Elie Wajeman, il eût fallu choisir entre l’influence russe, plutôt fructueuse, et la cinéphilie américaine, relativement prévisible, empilant des clichés déjà mille fois vus. Se situant entre les deux, Médecin de nuit finit par atterrir à la fin du côté de Tchao Pantin de Claude Berri, autre histoire de Bon Samaritain se mettant en danger pour sauver des êtres en détresse, en y rajoutant un peu d’Impasse de Brian De Palma, sans que cela surprenne le spectateur assez érudit. Reste surtout du film une magnifique photographie nocturne, mettant en valeur la topographie parisienne et un Vincent Macaigne véritablement inattendu en séducteur-justicier et sorti avec succès de sa zone de confort.

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