Pendant que Ruben Östlund propose sa comédie politique, Sans filtre d’une (trop) longue durée (2h30), João Pedro Rodrigues nous offre, à travers sa fantaisie musicale, et comme l’annonce le générique, de parcourir les nœuds politiques actuels et à venir (racisme, écologie, lutte des classes) en 1h07, sans en rajouter, et en éclairant son projet d’une touche décalée qui fait aller le film du côté érotique pour ne pas dire pornographique… Film en boucle et retour en arrière puisqu’à la première scène viendra répondre la dernière.
Une fantaisie musicale parcourant des nœuds politiques actuels et à venir (racisme, écologie, lutte des classes) éclairée (et éclairante) par son érotisme.
2069, le prince Alfredo (Joël Branco) est en train de mourir pendant qu’un enfant (son petit-fils probablement) joue avec un camion de pompier Playmobil et se fait reprendre parce qu’il serait trop républicain. Flashback en 2011. Et retour sur l’enterrement du côté des vivants (et présents) : pendant que deux pleureuses en noir (et qui ne pleurent pas) font les pies, un chanteur de fado déclame « Je chante pour que se termine l’âge de la royauté et qu’advienne l’âge du phallus ». L’ambiance est baroque et le ton (rétrospectivement) est donné. Le lien ? La musique, précisément la chanson – il sera aussi question de danse à travers un ballet de pompier – puisque le défunt se met à repenser à une chanson dédiée aux arbres, en souvenir des incendies ayant pollué le Portugal et de sa fonction de… pompier. 2011 : une magnifique forêt d’arbres à la forme phallique. Le roi et père d’Alfredo en fait l’inventaire, s’auto-flatte de cette propriété, en qualité et quantité, son fils se met à bander, et il jette le mégot de sa cigarette au sol. Le ton est de nouveau donné : l’un parle, l’autre chante(ra), l’un est républicain (et monarque libéraliste), l’autre semble démocratique (et a un souhait d’égalité socialiste). Le ton est encore donné, et drôle (et non moins cynique), Alfredo souhaitera devenir pompier ne sachant pas encore qu’il devra… pomper. Alternent des scènes durant lesquelles la famille royale est vue de l‘autre côté d’une énorme porte à double battant : en train de dîner, les chiens (appelés les Marie-Pia) à sortir, des débats politiques dignes de nos débats actuels avec la reprise d’un discours de Greta Grunberg – excellent –, et un quatrième mur que la reine refermera, en regard caméra et avec des phrases aussi cyniques qu’elles semblent chercher la complicité du spectateur : du grand théâtre ! Enfin Alfredo chez les pompiers : une cheftaine obèse – du grand comique de par le jeu d’actrice – et des consignes de préparation à lutter contre les incendies dans un bâtiment en ruines pour lequel sont demandées des subventions, la bonne aubaine, le prince est là. Pour la formation première, ce seront des revisitations de poses de tableaux les plus célèbres – Alfredo fait des études d’histoire de l’art (!) mais ne saura reconnaître les Rubens, Velázquez, Caravage ou Bacon réactualisés par ces travailleurs du feu – avant qu’une histoire amoureuse et sexuelle ne s’installe entre Alfonso (André Cabral) et lui : le premier est blanc, cheveux bouclés blonds, frêle quand le second est noir, musclé, épais et charnel, et entre eux des échanges de corps quand ce ne seront pas des défilés de pénis sur grand écran revisitant cette fois-ci les lieux naturels du Portugal et les essences végétales qu’ils possèdent : grandiose !
« Je chante pour que se termine l’âge de la royauté et qu’advienne l’âge du phallus. » : tout est dit !
Tout cet assemblage, qui semble divers, n’est pourtant tenu que par un principal motif, partant du corps (des personnages, des acteurs) pour aller jusqu’à la verge, rigide, en érection ou éjaculant, ou plus molle mais digne de sa beauté ou de sa diversité. On pense au récent film du roumain Radu Jude, Bad luck banging or loony porn, qui faisait un état des lieux de son pays en passant par le biais de la pornographie pour exprimer où elle se situe vraiment, certainement pas dans le sexe, mais dans la politique et dans ce que les citoyen.ne.s deviennent pour coller à leur mauvais exemple… Feu follet semble fonctionner à l’identique à dénoncer où se situe le mal en utilisant la métaphore érotique, sans se prendre au sérieux parce qu’avec la distance comique (et cynique) nécessaire. En plus du mélange des genres – théâtre, danse, musique –, ce sont à la fois les dialogues, incisifs, le jeu d’acteurs et le montage qui joue avec les temporalités, se fend d’un prologue et d’un épilogue, et alterne des situations qui jamais ne pourraient se rencontrer, qui donnent ce ton, cette énergie au film. Le jeu de la répétition – visuelle comme sonore avec la reprise d’une seule et même chanson sur les arbres sous toutes les formes et avec une chorale d’enfants ou l’attention portée aux corps des pompiers – loin d’être ennuyeux, fonctionne comme une propagande inversée, à l’image des propagandes politiques dont les discours se répètent et se ressemblent sans aucun apport à la pensée ou au plaisir. C’est aussi le mélange du camp, du queer et précisément de l’homosexualité qui rend le film à la fois actuel et dissonant – ce qui représente une qualité. Quand les pompiers sont perçus comme des sauveurs et les arbres comme l’essence de notre bonheur, ce sont les notions de solidarité et de plaisir qui s’entremêlent jusqu’à la jouissance ; quand se répondent les dialogues entre Alfredo et Alfonso aux débats stériles du Roi en famille, ce sont des questions coloniales, écologiques ou identitaires qui sont abordées – noter l’omniprésence du tableau à tendance esclavagiste –, et l’air de ne pas y toucher. D’aucuns trouveront ça facile, rapide et superficiel, le film est baroque, drôle et surtout, contrairement à trop d’entre eux, ne se prend pas au sérieux, le tout déroulé en un temps record, quoi de mieux ? La traduction du titre indique « Feu follet », il ne fallait rien de mieux pour réanimer un Festival parfois trop guindé, et pas assez indé !
RÉALISATEUR : João Pedro Rodrigues NATIONALITÉ : Portugal AVEC : Mauro Costa, Margarida Vila-Nova, André Cabral, Miguel Loureiro, Jöel Branco, Oceano Cruz, Anabela Moreira, Ana Burstorff, Rachel Rocha Vieira GENRE : Comédie baroque (ou pompière) DURÉE : 1h07 DISTRIBUTEUR : JHR Films SORTIE LE Septembre 2022