Entretien avec Gaspar Noé pour Vortex : Je ne crois pas en la réincarnation

Projeté à la fin du Festival de Cannes 2021, Vortex a pris à revers la plupart des festivaliers qui étaient restés encore vaillants après dix jours de fiesta cinématographique. Alors que l’ensemble des cinéphiles s’attendaient à un film choc et provocateur dont seul Gaspar Noé a le secret, afin de réveiller les nuits moroses du retour cannois au cinéma, Vortex s’est imposé directement comme son plus beau film, le plus dénué d’effets gratuits, le plus dépouillé, le plus personnel, le plus simplement humain, touchant d’emblée à l’universel. La responsabilité en revient à des événements de la vie personnelle de l’auteur, que nous n’avons pas ou peu évoqués par pudeur dans cet entretien : la maladie et les derniers jours de sa mère, l’accident cérébral dont lui-même a réchappé en décembre 2019. Depuis Gaspar Noé va très bien, enchaînant les films comme à la parade et les interviews avec un débit qui rassure d’emblée sur son excellente santé intellectuelle. Quand on ne le connaît pas, Gaspar fait souvent peur à tort, surjouant parfois les grands méchants loups dans ses séances photo, alors qu’il est l’un des cinéastes les plus bienveillants, paisibles et accessibles en interview, s’exprimant d’une voix douce, précise et intarissable. Cette rencontre a permis d’évoquer à la vitesse d’un TGV ses impressions sur Terrence Malick, Dario Argento, Rainer Werner Fassbinder, Michael Haneke, etc., de revisiter en mode express son oeuvre rare et précieuse qui se trouve à part dans l’horizon du cinéma français contemporain, et de faire le point sur sa vision spirituelle de la vie.

Je suis ravi de vous rencontrer car je vous croise très souvent dans les festivals depuis quelques années comme Cannes ou l’Etrange Festival et même à des projections comme la projection de presse de Tenet de Christopher Nolan et l’avant-première de Black Swan de Darren Aronofsky, au MK2 Bibliothèque, où j’étais tout à côté de vous, au premier rang.

Black Swan.…ah oui, je me souviens, j’étais arrivé au dernier moment avec Darren….il était bien, ce film. Pour Tenet, j’étais à côté de Philippe Rouyer {journaliste et président du Syndicat français de la critique de cinéma, NDLR], c’était dans la salle du XVIIIème ou XIXème…

Avez-vous accéléré votre rythme depuis cinq à sept ans? C’est un peu l’impression qu’on peut avoir lorsque l’on parcourt votre filmographie.

Je n’ai pas accéléré le rythme. C’est juste que j’ai fait un film très compliqué qui m’a pris six ans entre la préparation, le tournage, le montage, les trucages, les finitions (Enter the void, Ndlr). Après cette expérience de longue durée, je me suis dit que je n’aurais pas la force de faire des films qui me bouffent quatre ou cinq ans, avec une réception unique. Du coup, depuis ce film-là, je me suis mis à faire des films vite, comme lorsque j’ai tourné Irréversible qui a été d’ailleurs mon seul grand succès commercial, au sens où le film était rentable. Donc j’ai essayé de partir sur des tournages rapides de cinq semaines, trois semaines, deux semaines, cinq jours….Mais je ne suis pas plus productif que lorsque j’ai fait Enter the void. Je passe autant de temps par semaine à préparer les tournages. Mais je fais des projets plus simples que j’arrive à tourner plus vite, des films parfois de 2h20, d’autres étant des moyens métrages de 50 minutes. Mais je ne suis pas comme Fassbinder, il faisait quatre films par an…ou bien comme Mizoguchi, idem, Moi si j’arrive à faire un film par an, je suis déjà content de moi.

Fassbinder, il a réalisé plus de quarante films en douze ans….Non je pensais plutôt à Terrence Malick qui a commencé à faire des films assez espacés, cinq en quarante ans et puis tout d’un coup, à partir de The Tree of life, il a réalisé un film par an ou tous les deux ans.

The Tree of life l’a peut-être remis au goût du jour. Il avait peut-être auparavant des problèmes de production ou de garantie financière, je ne sais pas, je ne suis pas dans la tête de Terrence Malick. Je n’ai pas vu un seul de ses films depuis The Tree of Life. Mais je sais qu’il a fait beaucoup de films. Ah non, si, j’en ai vu un autre, Voyage of time, qui était superbe, mais je n’ai pas vu ses derniers films narratifs. Les cinéastes ont parfois une mécanique interne ou externe très compliquée.. Les films se font avec de l’argent qui, parfois, est là ou pas, les acteurs parfois disparaissent aussi ou reviennent, ils sont à la mode ou non. C’est un travail collectif, le cinéma. Terrence Malick n’est pas un auteur de livres ou de B.D. Par exemple, quand je fais des films, je n’ai pas l’impression d’être un footballeur qui se bat tout seul. C’est tout un travail d’équipe. La production de films, c’est s’intégrer à une équipe. J’ai la chance d’appartenir à l’équipe Wild Bunch qui, via Vincent Maraval, finance mes films.

On a l’impression que chaque année, vous appartenez aussi à l’équipe de France du Festival de Cannes, vous y avez présenté quasiment tous vos films.

Malheureusement, cette année, je ne serai pas prêt!

Vous êtes sûr? Parce que pour Love ou Vortex, vous n’étiez pas prêt non plus a priori….

Non, s’ils pouvaient décaler le Festival de Cannes en juillet comme l’année dernière ou en septembre, ce serait possible. Mais là, les délais sont trop courts. Je ne présenterai pas de film cette année.

Pourquoi Vortex comme titre?

Vortex, c’est un tourbillon marin, cela fait penser à un sous-marin de l’espace, c’est comme une spirale qui emmène vers un puits. C’est comme un vaisseau qui avance de manière spiralée et finir par s’écraser contre un mur. Le mur, ici, c’est la mort. Il existe donc un côté existentialiste à appeler ce film Vortex. J’aurais pu l’appeler Existence….A un moment, on tire la chasse d’eau des toilettes et comme dans une baignoire, lorsqu’on la vide, cela fait une spirale. Donc cela ressemble à un vortex. A un autre moment, on aperçoit un vortex marin dans un extrait du film Solaris de Tarkovski.

Quand avez-vous trouvé le titre?

J’ai trouvé le titre assez vite. On avait un titre de tournage qui était Dementia, qui avait déjà été utilisé auparavant, mais qui fait un peu film d’horreur, qui fait un peu trop penser à la folie, à Suspiria. Dementia avec Dario Argento, dans un film de Gaspar Noé, tout le monde va penser que c’est un film d’horreur. Il existe aussi le premier film de Coppola qui s’appelle Dementia 13. En français, le phénomène est la démence sénile et en anglais, on appelle cela Dementia. Mais je trouve maintenant que Vortex est un meilleur titre. J’ai halluciné car j’ai revu la semaine dernière Enter the void, que je n’avais pas revu depuis que je l’avais terminé, parce qu’on me proposait de faire un commentaire audio pour les Anglais, que je ne voulais pas faire. Et en regardant le Blu-ray, un bonus s’appelait Vortex!

Oui, c’est vrai, je m’en suis aperçu aussi, en regardant Enter the void, pour préparer l’interview.

C’est un bonus où on avait rassemblé tous les plans d’effets spéciaux qui n’avaient pas été montés dans le film, des plans que je trouvais beaux, qu’on avait mis à la queue leu leu, cela faisait comme des spirales numériques, extrêmement jolies. Mais je ne me souvenais pas qu’on avait donné à tous ces plans non montés le nom de Vortex. Donc c’est la deuxième fois que j’utilise ce titre, en fait. J’avais complètement oublié. Lorsque pendant le tournage, j’ai pensé appeler le film Vortex, je pensais que c’était une idée de première main que je n’ai jamais eue avant. Mais je l’avais déjà eue! Et c’est troublant que cela fasse écho à mes propres troubles de mémoire car j’avais déjà utilisé le titre dix ans plus tôt.

Oui, j’ai pensé aussi que Vortex était un titre qui aurait pu servir pour Enter the void.

Oui d’ailleurs, je l’ai donc utilisé d’une certaine manière pour ce film. De toute façon, il existe plein d’autres films indépendants, de science-fiction, etc. qui s’appellent Vortex. De même, j’ai vu qu’il y en avait qui s’appelaient Climax, bien avant le mien. On ne peut pas « copyrighter » un mot. De même pour Love qui a été utilisé plein de fois.

Vous avez trouvé le titre assez vite mais cela n’a pas inspiré la forme du film.

Non, en effet, cela n’a pas inspiré la forme du film, hormis le plan des toilettes ou celui de l’extrait de Solaris.

Dario Argento, j’ai vérifié, c’est le premier metteur en scène que vous citez dans votre liste de remerciements au générique de fin de Seul contre tous.

Wouah! (rires). Tout se recoupe.

Mais comment avez-vous pensé à Dario Argento en tant qu’acteur?

Dario Argento, je l’ai rencontré au Festival de Toronto, il y a trente ans, lorsque j’ai montré mon film Carne, et lui, sans doute Trauma. On avait dîné ensemble, je lui avais parlé de mon projet de faire une suite en long métrage. Il avait vu Carne, il m’a proposé de me produire. On était resté en contact, il était tellement sympathique. Il est ensuite passé à Paris bien des années plus tard, lorsque je me trouvais sur le montage d’Irréversible. On est resté amis. Je suis ensuite devenu très ami avec Asia Argento qui me disait parfois « ah mon père est à Paris, appelle-le« . On a déjeuné, dîné plein de fois ensemble. C’est quelqu’un avec qui j’ai un rapport presque familial, on s’appelle pour Noel ou le Nouvel An. Quand j’ai eu l’idée de ce film, en janvier 2021, en écrivant le texte, et en trouvant le financement du tournage via Wild Bunch ou Studio Canal, personne ne m’a demandé au départ qui allait tenir le rôle principal masculin. Et quand on m’a demandé, j’ai répondu que j’adorerais avoir « quelqu’un comme Dario Argento« . Et j’avais la référence de Françoise Lebrun pour le rôle de la mère qui m’avait dit oui, à condition qu’elle s’entende bien avec l’homme qui jouait le rôle du mari. J’ai ensuite essayé de convaincre Dario qui, avant le tournage de son film en tant que réalisateur, avait un peu de temps libre. Et quand il a dit oui, je me suis dit, bingo, j’ai le couple parfait, une idéale conjonction de deux individus. Ils sont tous les deux tellement touchants qu’on a envie de les prendre tous les deux dans ses bras. Et puis j’étais content de faire un film avec quelqu’un, Dario avec qui je savais que j’allais m’amuser à la pause midi car il est adorablement sympathique. En-dehors du fait que ses films créent toujours le frisson d’horreur, le frisson sexuel chez les spectateurs, lui est tellement sympathique et drôle que les gens aiment Dario Argento pour ce qu’il est. D’ailleurs son charisme, on le voit très bien dans mon film.

Mais vous n’avez pas pensé à un autre acteur?

Non, je n’ai pas pensé à un autre acteur. J’ai pensé que je devais trouver un autre acteur mais toutes les autres idées étaient vraiment très en-dessous. Pour en revenir à Seul contre tous, j’avais remercié tous les réalisateurs qui m’avaient convaincu de faire le film. J’avais fait un chapitre de Remerciements à….Il y en a beaucoup, je crois qu’il y a Jacques Audiard, Tsukamoto, Christophe Gans….Et Jan Kounen m’a conseillé de les citer par ordre alphabétique. Et du coup, le premier qui apparaît, c’est Dario Argento. Alain Cavalier m’a aussi beaucoup aidé pour le montage mais comme il a participé de manière active, je l’ai cité à part.

Le travail de montage, justement, dans Vortex, est assez hallucinant. Il fallait vraiment que les deux parties du split-screen soient parfaitement raccord à chaque fois.

En fait, le montage s’est fait assez vite car il fallait que le film que j’ai terminé vers la mi-avril passe à Cannes. Le Festival l’année dernière n’était pas en mai, heureusement. Donc j’y croyais, je travaillais 24h sur 24. On n’avait pas fait tellement de prises de chaque plan parce qu’on a essayé de respecter les horaires de huit heures par jour. Tu ne tournes pas quatorze heures par jour ce genre de film avec des gens plus âgés comme tu tournes Climax avec des post-adolescents de 18-19 ans qui dansent, boivent….On tournait cinq jours par semaine, huit heures par jour. On faisait des prises très longues que je montais plus tard mais on n’en faisait pas beaucoup, on en faisait deux, trois, quatre. C’était assez fatigant, vu la nature du sujet qui est assez triste. Le décor était asphyxiant, tout le monde portait des masques, comme on se trouvait en période Covid, l’inspecteur Covid surveillait tout le monde. Du coup, une fois qu’on a fini de tourner, on était tellement soulagés car cela équivalait à passer des jours dans un sous-marin au fond de l’océan, et enfin on voyait la lumière du jour. Néanmoins le film s’est fait dans la joie, sans doute pas dans des conditions euphoriques, mais dans la joie et la bonne humeur mutuelle. Le film est étouffant en soi. Cette idée de faire le film en split-screen rend le film plus riche. On va par le regard de droite à gauche et inversement, et même si je n’étais pas sûr de faire tout le film en split-screen, je me suis rendu compte qu’il fallait que je tourne tout le film en split-screen. Quand les gens se séparent, on tournait d’abord un côté, on le montait d’urgence, pour savoir combien de temps après, il fallait que l’autre personnage revienne dans la pièce et qu’on puisse raccorder à nouveau. Donc il y avait des parties qu’on tournait à deux caméras, d’autres à une caméra. Mais il fallait bien monter ce passage-là, pour savoir comment on occupait l’autre personnage pendant la minute où les deux minutes où ils étaient séparés. Par conséquent, le montage se faisait en même temps que le film lui-même.

Le split-screen, c’est un procédé que vous utilisez de plus en plus. On a l’impression que depuis Love qui sert un peu de ligne de démarcation dans votre oeuvre, – où vous n’utilisez pas le split-screen, – dans les autres films postérieurs, Climax, Lux Aeterna et Vortex, cela devient un procédé récurrent, par opposition aux films précédents, Irréversible et Enter the void qui fonctionnaient surtout par plans-séquences.

Love, c’était en 3D. Oui, en fait, c’est surtout comment le montage est effectué et comment cela montre le langage cinématographique. Pour Irréversible, en effet, c’était raconté à l’envers et fait de longs plans avec une caméra en mouvement. Il s’agissait de faire le contraire de ce que je faisais dans Seul contre tous. Je me suis dit, il faut que je change et que je m’amuse avec le nouveau film. C’était donc l’opposé de Seul contre tous, à part qu’il avait aussi beaucoup de couleur rouge et qu’il était interdit aux moins de dix-huit ans. Après Irréversible, j’ai fait Enter the void, et il y avait beaucoup plus de couleurs, c’était un montage beaucoup plus rapide. Formellement, je me suis amusé avec beaucoup de choses que je n’ai jamais faites, comme les trucages de Pierre Buffin. La somme d’effets spéciaux faisait presque que j’avais l’impression de coréaliser le film avec le chef des effets spéciaux. C’était un film comme je n’en avais jamais fait avant. Ensuite, je me suis dit, je vais faire un film sentimental, érotique en 3D, car voilà un langage que je n’ai jamais utilisé. On essaie à chaque fois de changer, de faire quelque chose qu’on n’a jamais fait précédemment. Pour Lux Aeterna, c’est un peu accidentel que le film se soit retrouvé en split-screen. Je voulais le faire en plans-séquences et puis je me suis dit que je n’allais pas y arriver donc j’ai shooté avec deux caméras et je me suis retrouvé avec plein de matériel à monter. J’ai pris plaisir à monter ce film pendant cinq jours avec des écrans partagés. Ensuite j’ai réalisé un mini-court métrage inspiré par Dario Argento, avec beaucoup de rouge, le côté opératique….J’avais donc bien Dario Argento en tête. Au moment des fêtes 2020, je me retrouve avec mon père [Luis Felipe Noé, artiste peintre, NDLR] qui me sort une bouteille de vin Argento (rires)! En plus, Asia était là. En janvier 2021, j’avais des dettes à régler. Vincent Maraval et Edouard Weil me demandent si je n’ai pas l’idée d’un film en huis clos, qu’on pourrait faire très vite, dans un appartement. J’ai répondu oui, une idée proche de ce qui m’est réellement arrivé, et qui pourrait arriver à tout le monde, c’est-à-dire ma mère qui perd la tête. Du coup, c’est un projet que je pouvais réaliser si je trouvais de bons acteurs. J’en parlais avec Dario Argento mais je me disais que c’était impossible. Or le tournage de son film a été décalé et il devenait alors disponible. Il ne restait plus qu’à le convaincre. Le film n’était pas écrit, il y avait juste dix pages. Et je suis donc allé voir Françoise Lebrun que j’idolâtrais depuis La Maman et la putain.

C’est votre film a priori le moins provocateur et au fond, par rapport au reste de votre oeuvre, c’est peut-être votre film le plus provocateur.

C’est ce que dit mon père, il dit que c’est mon film le plus violent. Le film est tous publics mais je pense qu’il est très violent pour quelqu’un d’un certain âge. Pour quelqu’un de dix-quinze ans, c’est un film éducatif, montrant que la vieillesse, cela va être ça. Les jeunes gens qui sortent de la projection me disent « oui, cela m’a touché, parce que j’ai vécu la même chose avec mon grand-père ou ma grand-mère « . Moi qui ai vécu la même chose avec ma grand-mère, puis ensuite avec ma mère, ce n’est pas du tout le même degré d’intimité. Lorsque c’est ta mère, c’est comme si c’était une partie de ton corps qui disparaissait, qui tombe malade. C’est comme ton Moi profond. Alors que la maladie de ma grand-mère pouvait m’amuser, sans être méchant, en revanche, quand c’est ta mère qui ne te reconnaît plus, là tu te dis, ah ouais, c’est beaucoup plus dramatique. C’est vrai que la vieillesse, ça remue et concerne tout le monde, hormis ceux qui vont mourir jeunes. C’est un sujet totalement universel et du coup la dureté concrète de la vieillesse, les effets secondaires apparaissent très violents. Et pourtant des gens me disent « tu as été hyper pudique, Ma mère en EHPAD, c’est tellement pire ; mon père, on doit lui changer les couches, etc« . Ce sont souvent des gens qui ont été des idoles de ton enfance qui s’écroulent. Ils n’ont plus d’avenir, contrairement aux bébés. Ils se retrouvent en état de dépendance totale, même pour les besoins les plus organiques.

Comment avez-vous pensé traiter ce sujet par rapport à un Michael Haneke?

Ce n’est pas Michael Haneke qui a inventé la vieillesse! Ce ne sont pas non plus De Sica dans Umberto D. ou McCarey dans Place aux jeunes. C’est un sujet universel. Le film d’Haneke que j’aime beaucoup, je l’ai vu au moment où ma mère allait très mal, où elle était sur le point de mourir. Quand je l’ai vu à Cannes, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Ce film-là a sans doute permis que mon film se finance facilement car il a obtenu la Palme d’or, a eu des prix partout et a très bien marché en salles. Du coup, a priori le film d’Haneke a montré que ce sujet qui terrifie les producteurs beaucoup plus que l’inceste, la guerre ou le viol peut être représenté. Il existe une place pour ce tabou collectif qu’est la vieillesse. Plein de gens me disent que mon film pourrait se résumer par la grande phrase de Bette Davis, « le grand âge n’est pas fait pour les mauviettes« . Mon père le dit aussi et il rajoute : mais il faut déjà avoir le coeur solide pour rentrer dans l’âge adulte.

Le film d’Haneke a peut-être eu aussi du succès grâce à son titre car il porte le même que votre film Love.

Ah oui c’est vrai, je voulais appeler mon film Love depuis un bon moment. J’hésitais avec Danger. Lorsque le film d’Haneke, Amour, est sorti, je me suis dit que c’était fichu, quelqu’un m’avait volé mon titre! En fait c’est juste un mot, or un mot, on ne peut le « copyrighter ». Ma chance à l’époque, c’est que dans la plupart des pays, Amour a gardé son titre d’origine qui n’a pas été traduit. C’est seulement en Hongrie où les deux titres ont été traduits en hongrois et c’est donc le seul territoire où les deux films portent le même titre.

Une dernière question, Vortex donne une vision très réaliste et pessimiste de la vie et surtout de la mort. Avez-vous changé de vision de la vie par rapport à Enter the void qui donnait une espérance pour une possible vie après la mort?

Enter the void, en réalité, contrairement aux apparences, ce n’est pas du tout un film sur la réincarnation. Quand l’enfant naît, il sort du ventre de sa propre mère. La dernière séquence, ce n’est pas la soeur qui accouche, ce n’est pas Linda. C’est la mère qui accouche et donc le personnage principal se souvient de sa propre naissance. Ce n’est pas un film sur la réincarnation. C’est un film sur l’hallucination de quelqu’un qui s’est pris une balle dans un bar. Il n’y a pas de réincarnation. Je ne crois pas du tout en la réincarnation ou au voyage astral. A la fin du film, le visage est un peu flou, mais c’est en fait le visage de la mère d’Oscar qu’on voit.

Entretien réalisé à Paris le 5 avril 2022.