Borgo : innocence ou culpabilité?

Les films de Stéphane Demoustier marchent par paire. Après l’exploration des relations parents-enfants avec Terre battue et Allons enfants, celle des vérités et mensonges, de l’innocence et de la culpabilité à travers le film de genre, avec le très intéressant La Fille au bracelet et Borgo, encore plus réussi. Vraiment révélé par son précédent film, La Fille au bracelet, qui, datant de 2019, a peut-être lancé la vogue récente des films de procès en France (Saint Omer, Mon Crime, Toi non plus tu n’as rien vu, Anatomie d’une chute, Le Procès Goldman), Stéphane Demoustier confirme avec ce drame carcéral, adossé à une enquête policière, qui donne l’opportunité à Hafsia Herzi de continuer sur sa lancée de portraits nuancés de femmes complexes, dans le prolongement du Ravissement.

Melissa, 32 ans, surveillante pénitentiaire expérimentée, s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. L’occasion d’un nouveau départ. Elle intègre les équipes d’un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres. Ici, on dit que ce sont les prisonniers
qui surveillent les gardiens. L’intégration de Melissa est facilitée par Saveriu, un jeune
détenu qui semble influent et la place sous sa protection.

Le film commence par deux corps allongés de malfrats devant un aéroport. Puis enchaîne avec le quotidien de Mélissa, une surveillante de prison qui vient de débarquer en Corse, au centre pénitentiaire de Borgo, après une expérience en métropole. C’est l’occasion pour elle et son mari, un homme désoeuvré, et leurs enfants, de prendre un nouveau départ. Alterneront alors des scènes de sa vie de matonne, où elle se familiarise avec les détenus, peut-être parfois un peu trop. et des séquences d’enquête policière sur les morts du début, menée par un tandem presque comique (Michel Fau qu’on ne présente plus et Pablo Pauly remarqué dans Et plus si affinités), vu que l’enquête stagnera pendant un certain temps. Il faudra quelques séquences pour s’apercevoir que les lignes temporelles sont savamment disjointes, à la manière d’un Christopher Nolan ou pour prendre une référence plus proche de nous, de Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard. Ceci explique qu’un revisionnage du film ne pourra que le faire encore apprécier davantage, Stéphane Demoustier jouant habilement entre les images des écrans de contrôle et les situations vécues par Mélissa.

Mais ce qui intéresse Stéphane Demoustier, ce n’est pas tant la résolution de l’enquête policière que le jeu de bascule de Mélissa entre innocence et culpabilité, à travers les relations presque amicales qu’elle entretient avec certains détenus qui vont jusqu’à préserver par des menaces son bon voisinage au sein de son immeuble. Mélissa, est-elle innocente ou coupable? On ne le saura pas plus que pour Sandra Voyter ou la fille au bracelet. Le doute reste permis à tous les niveaux. A-t-elle eu conscience de ce qu’elle faisait ou s’est-elle laissée embarquer dans un échange de bons procédés qui, pour elle, ne prêtait pas à conséquence? C’est ici que Hafsia Herzi s’avère totalement fantastique, laissant à peine deviner derrière un regard opaque une lassitude et d’éventuelles motivations, et confirmant tout son potentiel dramatique exposé dans Le Ravissement..

Dans Borgo, Stéphane Demoustier a à l’évidence accompli des progrès impressionnants dans la mise en scène et la construction narrative, laissant planer toute l’ambiguïté possible sur les secrets et les mensonges d’une femme.

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RÉALISATEUR : Stéphane Demoustier 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : Drame 
AVEC : Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi, Florence Loiret-Caille, Michel Fau, Pablo Pauly 
DURÉE : 1h57 
DISTRIBUTEUR : Le Pacte 
SORTIE LE 17 avril 2024