Toi non plus, tu n’as rien vu : le cas d’un infanticide déguisé

Ce deuxième long-métrage de Béatrice Pollet (Le Jour de la grenouille) analyse une affaire judiciaire unique, un dossier particulier où la justice fait face à un problème épineux, le déni de grossesse. Considéré comme un trouble psychique, ce sujet bénéficie d’un vide juridique et de différentes controverses autour de son traitement. Légalement, le déni devient une préoccupation pour la justice lorsque celui-ci s’accompagne d’une véritable volonté de porter atteinte au fœtus. Toi non plus, tu n’as rien vu concentre toutes les interrogations, tous les questionnements, et épaissit le mystère entourant le déni. La cinéaste ne réalise pas un film de procès, à charge, mais le combat d’une femme contre cette machine judiciaire déterminée à prouver sa culpabilité. Cette jeune femme avait-elle l’intention de nuire à son enfant ? Cette question jalonne le film. En choisissant de traiter ce thème, la cinéaste évoque en filigrane la notion d’infanticide, apporte des arguments clairs écartant cette possibilité. Ainsi, ses réponses permettent de débroussailler les moindres éléments confus pouvant créer le lien entre déni et meurtre, de mettre en avant des mécanismes psychologiques déclencheurs de ce trouble.

Claire se retrouve allongée par terre, dans sa maison, baignant dans son sang, un fœtus à l’extérieur. La jeune femme se retrouve accusée de tentative d’homicide. Comment a-t-elle fait pour ignorer cette grossesse ?

Toi non plus, tu n’as rien vu montre une famille soudée, unie, stable, en apparence normale, mais se retrouvant ébranlée par cette femme trouvée gisante dans une mare de sang, dans sa cuisine. L’annonce de sa troisième grossesse engendre une bascule, dans un film qui prend inévitablement la voie du thriller judiciaire. De suite, nous comprenons la gravité du sujet, avec la révélation d’un problème bien plus mystérieux qu’il n’y paraît, entre désordres psychiques et vérités judiciaires.

La justice se trouve ainsi confrontée à un cas spécial, contraire aux affaires d’infanticides (comme celle de Fabienne Kabou dans Saint-Omer), avec, cette fois-ci, cette jeune femme accusée de tentative d’homicide sur enfant de moins de quinze ans, En voulant poser la question de la responsabilité pénale, le film de Béatrice Pollet se lance dans une exploration analytique du déni de grossesse, tentant alors de comprendre quelles en sont les causes et les conséquences. Dans l’objectif de dresser le portrait d’une femme perturbée par un mal-être permanent, tout le film expose la vision suivante, celle d’une personne innocente n’ayant jamais eu la moindre volonté de tuer. L’ensemble du film va dans ce sens, avec fureur et réalisme, essayant de démêler le vrai du faux, mais peignant au contraire le tableau d’un être humain victime d’un passé rebondissant violemment dans le présent, et dont les facultés de discernement sont intactes. Cependant, loin de militer en faveur d’une législation souple sur ce sujet, Toi non plus, tu n’as rien vu raconte un long processus judiciaire opposant Claire (Maud Wyler) à un mastodonte judiciaire, composé de magistrats et d’enquêteurs, certains de son entière culpabilité. Pour eux, l’évidence d’une tentative de meurtre semble limpide. Pour le spectateur, le doute s’installe puis se dissipe, la passerelle entre déni et homicide disparaissant totalement grâce à un scénario détaillant précisément l’état psychique de la principale intéressée, rongée sévèrement par des problématiques latentes depuis l’enfance. Film poignant, troublant, ce film pointant du doigt une affaire si délicate parle également du sens du mot maternité, de ce qu’est la naissance d’un enfant, le fait d’enfanter, mais également du rapport à un corps féminin se trouvant chamboulé par l’arrivée d’un nourrisson. La place d’une femme dans l’échiquier familial est aussi représentée, avec son lot de responsabilités et de surcharges mentales. Toutefois, le déni de grossesse résulte aussi d’une possible altération de la pensée, d’une inconscience meurtrière, d’un schéma tourmenté, ce qu’explique assez bien ce long-métrage.

Sur la forme, Toi non plus, tu n’as rien vu ne propose pas un film de procès, avec l’ambiance récurrente et suffocante d’un tribunal, où l’accusée se retrouve prise au piège d’un engrenage. Béatrice Pollet choisit judicieusement de se détourner de l’atmosphère d’une salle d’audience, pour ainsi pénétrer en profondeur dans la psychologie de Claire. Aidée par son amie Sophie (Géraldine Nakache), celle-ci se dévoile, apparaissant aussi attachante que troublante. Interprétée par une Maud Wyler insufflant à son personnage un aspect aussi triste qu’énigmatique, cette Claire au double visage reflète un peu la gravité de son acte. Cependant, cette lutte déséquilibrée contre le système révèle une face humaine, celle d’une femme perdue dans les doutes, les remords, les diverses inquiétudes. Géraldine Nakache incarne une avocate dévouée à cette cause unique, se dressant courageusement contre l’ensemble de ses confrères et consœurs dont la sentence se devine tout du long dans leurs esprits. Le film décrit l’image d’une justice dure, d’une violence sans équivoque dans un dossier d’homicide qui n’en est pas un, restant sourde face aux différentes raisons psychiques expliquant les contours et le contexte du geste désespéré de cette femme. Rien d’étonnant, cela dit. Toi non plus, tu n’as rien vu, et ce titre le confirme bien, met à jour un mal invisible, pouvant mener jusqu’à l’infanticide. Il est ici question d’un infanticide déguisé. Comment cacher sa grossesse ? Éviter les regards sur un ventre arrondi ? Comment dissimuler les souffrances physiques ? Telles sont les questions que pose cette œuvre.

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RÉALISATEUR :  Béatrice Pollet
NATIONALITÉ : France
GENRE : Drame
AVEC : Geraldine Nakache, Maud Wyler, Grégoire Colin
DURÉE : 1 h 33
DISTRIBUTEUR : Jour2Fête
SORTIE LE 8 mars 2023