Présenté à la Quinzaine des Cinéastes, le nouveau film de Cédric Kahn pénètre le climat austère et agité d’un procès, celui de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche accusé d’un double meurtre de pharmaciennes, dont il clame véhément son innocence. Avec une mise en scène belle et théâtrale montrant les joutes verbales et les invectives de la défense, le cinéaste livre un film de procès édifiant, avec cet homme se trouvant dans le box des accusés, devant affronter une foule partagée entre les doutes et la conviction de la culpabilité. Dans une ambiance de tribunal véridique et impartial, les moindres détails de cette affaire sont exposés à la barre, livrant alors une partie de l’histoire du militantisme français d’extrême gauche, et ainsi le parcours de Pierre Goldman, un homme motivé par des idées, des certitudes, animées par un esprit révolutionnaire. Spectateurs d’un affrontement, visant à prouver la véracité des faits, nous entrons dans cette salle de justice avec un regard inquisiteur, assistant à un film de procès tout à fait convaincant, dont la réussite technique s’accompagne d’acteurs au sommet de leur art.
Accusé d’agressions et du meurtre de deux pharmaciennes, Pierre Goldman comparaît, attendant la sentence des jurés.
Réaliser un film narrant un procès reste un exercice difficile pour beaucoup de cinéastes, la simplicité de la mise en scène devant exprimer du mieux possible les émotions des accusés et l’investissement sans faille des magistrats, désireux d’obtenir la vérité à la suite des audiences. Cédric Kahn signe un huis clos d’excellente facture, saisissant de la manière la plus réaliste l’intensité d’un jugement et les pressions qui en découlent, recréant également cette forme de claustrophobie palpable et l’appréhension de la sentence. Dans son box, Pierre Goldman parle, hurle, s’exprime, face à un auditoire attentif aux déclarations des témoins.
Le Procès Goldman raconte le parcours de cet accusé, un homme prônant des messages révolutionnaires, le communisme chevillé au corps, des opinions politiques faisant de lui ce que l’on appelle désormais un insoumis, ne voulant aucunement se soumettre aux lois de la République, contestant toutes formes de règles sociétales, en bref un militant déterminé à diffuser ses idées puis à adopter un mode de vie à la limite de la marginalité, quitte à commettre des délits. L’homme représente alors la véritable définition du militantisme, motivé par des ambitions extrêmes, souhaitant inventer un nouveau modèle de société, dédaignant explicitement les forces de l’ordre. Ce Pierre Goldman devient donc un exemple du militant pur et dur, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cédric Kahn place logiquement son personnage au centre des débats, au cœur des questions fusant dans tous les sens, de toutes les interrogations et des témoignages successifs. Grande démonstration de l’organisation d’une audience dans un tribunal, la minutieuse description des faits, extrêmement détaillés, livre une impression hautement satisfaisante, puis surtout la mise en valeur d’une écriture bien soucieuse de retranscrire la réalité. Ainsi, cette affaire se dévoile pour ceux n’en connaissant pas les tenants et les aboutissants, avec un scénario respectant à la lettre la chronologie des événements. Sans aucune omission, Le Procès Goldman colle à la vérité, dans un film qui se veut descriptif, informatif, passionnant, s’attelant à une quasi-reconstitution, procurant l’occasion de participer concrètement à ces longues et pénibles journées de jugement. Sans temps mort, ce récit se transforme en réquisitoire, explore le fonctionnement d’un tribunal, avec ces témoins assaillis par les différentes questions, ces avocats s’amusant de leurs rivalités et jouant parfaitement de leurs capacités d’orateurs hors pair prêts à défendre leurs clients. Ces logorrhées verbales, ces duels dans les gestes, les mots, les intentions, captivent, mettant progressivement les doutes dans l’esprit du spectateur, écoutant attentivement les magistrats, leurs plaidoiries, malmenant des témoins face à leurs contradictions.
Le Procès Goldman révèle encore un peu plus un acteur formidable, Arieh Worthalter, qui, par sa prestation complète, livre une composition d’homme acharné à prouver son innocence, tout en donnant une profonde épaisseur à ce personnage dévoreur d’espaces. Dans son box, l’accusé se défend, de façon virulente, souvent exagérée, franchissant souvent les barrières du raisonnable, n’hésitant pas à invectiver la foule. L’acteur propose une autre palette de son jeu, plus performante, saisissante, dans un rôle bien difficile au départ, dans la peau de ce Pierre Goldman insaisissable, ingérable, imprévisible, dépensant une folle énergie durant ce procès. La mise en scène se fixe évidemment sur ce regard, démontrant une personnalité affirmée, pleine d’assurance, de sang-froid. Cette attitude d’accusé se dressant contre une justice qu’il méprise expose la vision d’un insoumis, d’un communiste vouant un attachement particulier à ses parents, mais également celle d’un homme se perdant sans doute dans ces convictions, une folie dont il a de cesse d’atteindre la limite. Sur ce sujet, le scénario ne crée aucune ambiguïté, l’énoncé de sa biographie confirmant point par point sa psychologie, et ce parcours aux motivations extrêmes et troubles. Cependant, et ce malgré ce qu’on lui impute, sa verve et son optimisme débordant provoque empathie et compréhension, suscitant une certaine partialité au fur et à mesure des débats. Cinéaste bien sûr déjà confirmé, Cedric Kahn ouvre brillamment la Quinzaine des Cinéastes.
RÉALISATEUR : Cédric Kahn NATIONALITÉ : France GENRE : Drame AVEC : Arieh Worthalter, Arthur Harari DURÉE : 1h55 DISTRIBUTEUR : Le Pacte SORTIE LE 27 septembre 2023