Saltburn : le charme (pas si) discret de la bourgeoisie

Avec un premier film, Promising Young Woman, salué par la critique et auréolé de l’Oscar 2021 du meilleur scénario original, l’attente était grande pour le deuxième long métrage de l’actrice-réalisatrice Emerald Fennell (aperçue récemment sous les traits de la poupée Midge dans Barbie). Après une sortie au cinéma sur le territoire américain fin novembre, Saltburn débarque sur la plateforme de streaming Prime Video. Une plongée dans l’aristocratie britannique qui met en vedette deux stars en pleine ascension : Barry Keoghan (Dunkerque, Les Éternels, Les Banshees d’Inisherin) et Jacob Elordi (révélé par la série Euphoria et bientôt à l’affiche du Priscilla de Sofia Coppola).

Barry Keoghan incarne Oliver Quick, un boursier d’Oxford au milieu des années 2000, qui tente de se faire une place parmi l’élite universitaire. Il y rencontre Felix Catton, incarné par Jacob Elordi, un riche étudiant avec qui il noue rapidement des liens d’amitié. Ce dernier lui propose de venir séjourner à Saltburn, sa luxueuse propriété familiale, pour l’été. C’est dans cet univers hors nomes où se mêlent fêtes, sexe, drogue et jeux de dupes que le discret Oliver va se révéler.

Outre une satire drolatique de la bourgeoisie, Fennell nous donne à voir un récit empreint d’érotisme où le female gaze est roi (ou plutôt reine).

Dans Saltburn, l’intention première de Fennell semble être de dénoncer l’hypocrisie et l’indifférence des ultra-riches, à la manière d’un Parasite (Bong Joon-ho, 2019). Tout comme son prédécesseur, cette critique acerbe d’une élite décadente ne se fait pas sans une pointe d’humour. Un volet comique pris en charge en grande partie par Rosamund Pike (Meurs un autre jour, Gone Girl, I Care a Lot), désopilante en matriarche glaciale d’un égoïsme monstrueux. Outre cette satire drolatique de la bourgeoisie, Fennell nous donne à voir un récit empreint d’érotisme où le female gaze est roi (ou plutôt reine). La cinéaste filme avec virtuosité les corps masculins dénudés jusqu’au final grandiose au son de Murder on the Dancefloor de Sophie Ellis-Bextor. Au-delà du thriller sulfureux, Saltburn est un long métrage qui multiplie les plans d’une rare beauté, sublimés par la photographie de Linus Sandgren.

Dans cette représentation de la lutte des classes, la dichotomie habituelle entre les gentils pauvres et les méchants riches s’efface progressivement pour laisser place à un récit plus ambigu sur l’ambition personnelle. Alors que l’on s’attendait simplement à découvrir une nouvelle adaptation du roman culte Le Talentueux Mr. Ripley (Patricia Highsmith, 1955) – une romance homo-érotique au dénouement funeste – Fennell se joue de nos prédictions et opère un virage à 180 degrés dans son épilogue. Une pirouette scénaristique comme on en voit peu et qui témoigne des talents d’écriture de la cinéaste. Un jeu de pouvoir et de de manipulation qui hypnotise et tient en haleine le spectateur jusqu’à la toute dernière seconde. Tout comme son premier film, Saltburn parle d’une obsession, d’une soif inextinguible de justice pour laquelle le héros/l’héroïne est prêt à faire fi de toute morale.

Plus singulier et sans doute moins fédérateur que Promising Young Woman, Saltburn est une explosion d’érotisme, d’horreur et de comédie satirique, une relecture moderne du mythe du vampire qui déroute autant qu’elle fascine. Une expérience cinématographique inoubliable qui confirme le talent exceptionnel d’Emerald Fennell mais qui ne serait rien sans l’incroyable performance de son interprète principal Barry Keoghan nommé pour le Golden Globe 2024 du meilleur acteur dans un film dramatique.

4.5

RÉALISATRICE : Emerald Fennell
NATIONALITÉ : Américano-britannique
GENRE : Drame psychologique, Thriller, Comédie
AVEC : Barry Keoghan, Jacob Elordi, Rosamund Pike, Richard E. Grant, Alison Oliver, Archie Madekwe et Carey Mulligan
DURÉE : 2h07
DIFFUSEUR : Prime Video
SORTIE LE 22 décembre 2023