Au cours de cette 96ème cérémonie des Oscars, on a espéré jusqu’à la fin, c’est-à-dire la remise des trois dernières récompenses (meilleure réalisation, meilleure actrice et meilleur film). Mais le miracle Parasite ne ‘est pas reproduit pour Anatomie d’une chute. Les deux films palmés partageaient pourtant le même distributeur aux Etats-Unis, Neon, mais il faut signaler que battre 1917 qui, bien que favori, n’était pas un très bon film, s’est avéré bien plus facile que de terrasser la dernière création de Christopher Nolan. C’était donc une année favorable aux favoris. Pourtant l’audience n’en a pas pâti : 19,5 millions de foyers avaient choisi de regarder la soirée-phare du cinéma et du glamour hollywoodien, quasiment le double de l’audience des années Covid, qui stagnait vers les 10 millions, même si nous nous trouvons encore loin des sommets de 2010-2014 qui se situaient vers les 40 millions, bien avant l’ère des plateformes, séries et réseaux sociaux.
Car Christopher Nolan n’est pas vraiment n’importe qui. Cette cérémonie le fait même changer de catégorie : d’espoir prometteur à ses débuts (Following, Memento, Insomnia) à réalisateur brillant ces dernières années (Interstellar, Dunkerque, Tenet), il accède dorénavant à un autre niveau, se situant désormais dans la même mouvance assez rare des super-auteurs capables d’engendrer des blockbusters, tels Spielberg, Scorsese ou Cameron. Il réussit cette prouesse sans perdre une once d’originalité, sans renier son style très travaillé, et en choisissant un projet risqué. Qui eût cru que le public se précipiterait pour voir un film assez austère sur le père de la bombe atomique? Barbie a certes rameuté les foules dans les salles mais Oppenheimer a bien davantage marqué les esprits. Grâce à Billie Eilish (double lauréate d’Oscars de la meilleure chanson originale à 22 ans), Barbie ne repart pas complètement les mains vides. Qu’on l’aime ou pas (ses détracteurs ne désarment pas pour autant), Nolan existe, avec un univers thématique et stylistique très fort, qu’il est difficile de négliger, et encore moins de mépriser. Dans ses propos consécutifs à la remise de son Oscar du meilleur réalisateur, il a avoué être impressionné par le fait que les votants aient considéré qu’il participait ainsi à la suite de l’aventure cinématographique, quelques cent ans après la naissance du Septième Art. Un sentiment de fierté et d’humilité mêlées par rapport à la toute jeune histoire du cinéma, devait-il sans doute ressentir. « Juste pour rappel, les films ont un peu plus de 100 ans. Je veux dire, imaginez être là 100 ans après la peinture ou le théâtre. Nous ne savons pas où cette grande aventure nous mènera mais le fait de savoir que vous pensez que j’en fais grandement partie me touche au plus profond de mon coeur« , a-t-il déclaré.
Face à ce phénomène, Justine Triet a rempli son contrat en ramenant un Oscar d’Hollywood, celui précieux du meilleur scénario original, pour Anatomie d’une chute, coécrit avec son complice Arthur Harari. Justine Triet en aurait même pu en avoir un deuxième (l’Oscar du meilleur film international, dévolu finalement à La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer), si un comité de sélection un peu défaillant du CNC n’en avait décidé autrement. Elle aussi a changé de catégorie, mais pas exactement la même. Elle accède à la grande communauté des auteurs internationaux, jouissant désormais d’une reconnaissance publique et critique mondiale. Les projets lui arrivent maintenant, presque sans effort : une collaboration avec Cate Blanchett, un scénario à écrire pour Steven Spielberg, etc. Il serait même possible que la France soit devenue trop petite pour un tel talent. On est évidemment très curieux de voir quel film pourra succéder à un tel succès. Nous serons heureux en tous cas de pouvoir voir ses films suivants.
Quant à Lanthimos, il paraît plutôt bien sortir (4 Oscars) surtout par rapport au zéro pointé de Martin Scorsese (troisième record d’absence totale de récompenses pour Killers of the flower moon, après Gangs of New York et The Irishman). Comme pour Spielberg (The Fabelmans) l’année dernière, les temps sont durs pour les vétérans. En revanche, il n’aura échappé à personne que, de la même manière que pour La Favorite, l’Académie des Oscars a préféré récompenser dans Pauvres créatures l’interprétation (doublé pour Emma Stone, quelques années seulement après La La Land) et les prestations techniques, négligeant l’écriture et la réalisation de Lanthimos considérées comme clivantes. Mais, avec un peu de persévérance, il pourra peut-être suivre à l’avenir l’exemple de Christopher Nolan qui, avant cette 96ème cérémonie, n’avait jamais été récompensé pour le moindre Oscar de scénario ou de réalisation. C’est en délaissant les films de super-héros (la trilogie Dark Knight) qui mènent à tout à condition d’en sortir, et en se rapprochant de l’Histoire (Dunkerque, Oppenheimer) que Christopher Nolan a conquis le Saint Graal. Vu le sujet de son dernier film, l’heure était à la gravité. L’hommage de Cillian Murphy aux artisans de la paix, ainsi que l’appel de Jonathan Glazer à cesser le feu à Gaza, en témoignaient. Les sept Oscars d’Oppenheimer, montrant qu’un cinéma exigeant et accessible peut triompher, sont également un signe que l’Académie a voulu envoyer aux grandes compagnies de cinéma, afin de promouvoir le cinéma en salle.
- Meilleur film :
American Fiction
Anatomie d’une chute
Barbie
Winter Break
Killers of the Flower Moon
Maestro
Oppenheimer VAINQUEUR
Past Lives
Pauvres Créatures
La Zone d’intérêt
- Meilleur réalisateur :
Yorgos Lanthimos (Pauvres Créatures)
Christopher Nolan (Oppenheimer) VAINQUEUR
Martin Scorsese (Killers of the Flower Moon)
Justine Triet (Anatomie d’une chute)
Jonathan Glazer (La Zone d’intérêt)
- Meilleure actrice :
Emma Stone (Pauvres Créatures) VAINQUEURE
Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon)
Sandra Hüller (Anatomie d’une chute)
Carey Mulligan (Maestro)
Annette Bening (Insubmersible)
- Meilleur acteur :
Cillian Murphy (Oppenheimer) VAINQUEUR
Paul Giamatti (Winter Break)
Bradley Cooper (Maestro)
Colman Domingo (Rustin)
Jeffrey Wright (American Fiction)
• Meilleur scénario adapté :
Cord Jefferson, American Fiction VAINQUEUR
Greta Gerwig et Noah Baumbach, Barbie
Christopher Nolan, Oppenheimer
Tony McNamara, Pauvres créatures
Jonathan Glazer, La Zone d’intérêt
• Meilleur scénario original :
Justine Triet et Arthur Harari, Anatomie d’une chute VAINQUEUR
David Hemingson, Winter Break
Bradley Cooper et Josh Singer, Maestro
Samy Burch (scénario), Samy Burch et Alex Mechanik (histoire), May December
Celine Song, Past Lives
• Meilleur acteur dans un second rôle :
Robert de Niro (Killers of the Flower Moon)
Robert Downey Jr. (Oppenheimer) VAINQUEUR
Mark Ruffalo (Pauvres Créatures)
Sterling K. Brown (American Fiction )
Ryan Gosling (Barbie)
• Meilleure actrice dans un second rôle :
Emily Blunt, (Oppenheimer)
Danielle Brooks, (La Couleur Pourpre)
America Ferrera, (Barbie)
Jodie Foster, (Nyad)
Da’Vine Joy Randolph, (Winter Break) VAINQUEURE
• Meilleur film étranger :
Io Capitano (Italie)
Perfect Days (Japon)
Le Cercle des Neiges (Espagne)
La Salle des profs (Allemagne)
La Zone d’intérêt (Royaume-Uni) VAINQUEUR
• Meilleur film d’animation :
Le Garçon et le Héron VAINQUEUR
Elementaire
Nimona
Mon ami robot
Spider-Man : Across the Spider-Verse
• Meilleur court-métrage (animation) :
Letter to a Pig
Ninety-Five Senses
Our Uniform
Pachyderme
War Is Over ! Inspired by the Music of John & Yoko VAINQUEUR
- Meilleur documentaire :
Bobi Wine : The People’s President
The Eternal Memory
Les Filles d’Olfa
To kill a Tiger
20 jours à Marioupol VAINQUEUR
- Meilleur court métrage documentaire :
Petite histoire de la censure littéraire
The Barber of Little Rock
Island in Between
The Last repair shop VAINQUEUR
Nǎi Nai & Wài Pó
- Meilleur court-métrage (prises de vues réelles) :
The After
Invincible
Knight of Fortune
Red, White and Blue
La merveilleuse histoire d’Henry Sugar VAINQUEUR
- Meilleure musique de film :
American Fiction
Indiana Jones 5
Killers of the Flower Moon
Oppenheimer VAINQUEUR
Pauvres Créatures
- Meilleure chanson originale :
American Symphony : It Never Went Away de Jon Batiste, Dan Wilson
Barbie : I’m Just Ken de Mark Ronson et Andrew Wyatt
Barbie : What Was I Made For ? de Billie Eilish et Finneas O’Connell VAINQUEUR
Flamin’ Hot : The Fire Inside de Diane Warren
Wahzhazhe : A song for my people : Killers of the Flower Moon
• Meilleur mixage de son :
The Creator
Maestro
Mission : Impossible – Dead Reckoning Partie 1
Oppenheimer
La Zone d’intérêt VAINQUEUR
• Meilleurs maquillages et coiffures :
Karen Hartley Thomas, Suzi Battersby et Ashra Kelly-Blue, Golda
Kazu Hiro, Kay Georgiou et Lori McCoy-Bell, Maestro
Luisa Abel, Oppenheimer
Nadia Stacey, Mark Coulier et Josh Weston, Pauvres créatures VAINQUEUR
Ana López-Puigcerver, David Marti et Montse Ribé, Le Cercle des neiges
• Meilleurs décors :
Sarah Greenwood et Katie Spencer, Barbie
Jack Fisk et Adam Willis, Killers of the Flower Moon
Arthur Max et Elli Griff, Napoléon
Ruth De Jong et Claire Kaufman, Oppenheimer
James Price, Shona Heath et Zsuzsa Mihalek, Pauvres créatures VAINQUEUR
• Meilleurs costumes :
Jacqueline Durran, Barbie
Jacqueline West, Killers of the Flower Moon
Janty Yates et Dave Crossman, Napoléon
Ellen Mirojnick, Oppenheimer
Holly Waddington, Pauvres créatures VAINQUEUR
- Meilleurs effets visuels :
The Creator
Godzilla : Minus One VAINQUEUR
Mission : Impossible – Dead Reckoning Partie 1
Napoleon
Les Gardiens de la galaxie 3
- Meilleur montage :
Anatomie d’une chute
Winter Break
Killers of the Flower Moon
Oppenheimer VAINQUEUR
Pauvres Créatures
- Meilleure photographie :
El Conde
Killers of the Flower Moon
Maestro
Oppenheimer VAINQUEUR
Pauvres Créatures