La chronique d'Ana : A la recherche de la vérité intérieure
Paye ton titre VF à la noix, ça me rappelle le dernier Kurosawa — du reste scénarisé par le décidément omniprésent Hamaguchi —, le plus qu’excellent Amants sacrifiés, dont la traduction était de la même eau cinéphilo-approximative. Ici, d’après les sous-titres, l’intitulé original semble être quelque chose comme Trois contes, alors je pose la question, les distributeurs souhaitèrent-ils éviter les nombreuses demandes de remboursement, voire les arrachages de fauteuils en masse par des spectateurs s’apercevant qu’il ne s’agit nullement d’une adaptation de Flaubert ? Calmez-vous et laissez ce fauteuil tranquille, me rétorquerez-vous plus que probablement, c’est pour mettre l’accent sur le caractère, primo, à épisodes, et secundo, rohmérien, de la chose. Je veux bien me rasseoir puisque vous insistez, mais expliquez-moi à quoi servent ces ’’autres fantaisies’’ ? Contes du hasard était suffisant, ou à la rigueur Trois contes du hasard, si on voulait être plus précis.
Tout ça pour vous dire que j’y allais du mauvais pied et en ronchonnant, car souvenez-vous, je n’avais pas tellement goûté Drive My Car, le précédent hit de Hamaguchi. La critique semble encore une fois unanimement sous le charme, et halte au suspense, je dois avouer que j’ai trouvé ça pas mal. Déjà, c’est nettement moins long, les trois sketches pliés en tout juste deux heures. Et surtout, je mentionnais Rohmer, on y plus que pense, ainsi qu’à Hong Sang-soo, le chouchou de votre humble serviteur. On pense aussi à l’un des premiers films de Hamaguchi, Passion, où les turpitudes sentimentales des personnages n’étaient pas sans évoquer Bergman. Cependant, même si j’ai passé un moment agréable — et pour ne rien gâcher, le film ne manque pas d’humour, ce qui change de la morosité de DMC —, je crains que ces références ne taillent un costume encore trop grand pour Hamaguchi. Car chez Bergman, lesdites turpitudes sentimentales ne sont qu’un prétexte pour nous faire communier avec des êtres, qui nous sont soudain révélés dans toute leur nudité. Chez Rohmer et HSS, les jeux de l’amour et du hasard nous font accéder à un monde beaucoup plus vaste que prévu, par le biais de l’intelligence, du questionnement moral, ainsi que celui de la forme.
Ces considérations sont peut-être injustes. Me vient d’ailleurs à l’esprit l’amusant professeur neurasthénique du deuxième sketch, personnage pour qui toute œuvre semble avant tout être pure forme. Mais je n’ai pas vraiment ressenti ça devant le film lui-même. Même si les épisodes et leurs protagonistes finissent par résonner entre eux — par exemple, ledit professeur pourrait être une version vieillie du personnage masculin de la première histoire —, l’écho est ténu, et les situations, très écrites, ne possèdent ni le naturel confinant à l’évidence de HSS — naturel qui contraste idéalement avec la rigueur formelle du Maître coréen —, ni l’artificialité, capable de recomposer le réel tout entier, de Rohmer. Je suis resté devant un film peuplé d’êtres de celluloïd et non de chair et de sang, et si j’ai été ému, je l’ai été en me disant que c’était mignon, sans me sentir élevé à des altitudes métaphysiques insoupçonnées. Mais que ces réflexions ne vous empêchent ni d’aller voir le film, ni de me pardonner de paraître si sévère, car peut-être ne faut-il pas trop attendre d’une séance de cinoche, même après un sevrage de quelques semaines.