Contes du hasard et autres fantaisies : l’amour n’est pas gai

Depuis Senses (2015), sa fresque chorale en cinq parties, l’oeuvre de Ryusuke Hamaguchi paraît avoir pris son envol, se déployant sous toutes les formes et l’imposant comme l’un des metteurs en scène japonais les plus importants du moment. Avant le triomphe de Drive my car, Prix du scénario cannois, Golden Globe, BAFTA et finalement Oscar du meilleur film étranger, était déjà survenu Contes du hasard et autres fantaisies, Grand Prix du festival de Berlin, jalon intermédiaire entre Asako I et II et Drive my car, mais ne sortant que bien après ces deux films. Le désordre des sorties oblige ainsi à réorganiser mentalement l’appréciation des films d’Hamaguchi : Contes du hasard et autres fantaisies représente donc la première véritable incursion de la forme littéraire chez Hamaguchi qui, avec ce film, se situe dans la lignée directe d’un Eric Rohmer ou le cousinage de Hong Sang-soo ou Emmanuel Mouret, c’est-à-dire un classicisme cinématographique discret au service d’intrigues subtiles et décalées.

Un triangle amoureux inattendu, une tentative de séduction qui tourne mal et une rencontre née d’un malentendu. La trajectoire de trois femmes qui vont devoir faire un choix…

Contes du hasard et autres fantaisies représente donc la première véritable incursion de la forme littéraire chez Hamaguchi qui, avec ce film, se situe dans la lignée directe d’un Eric Rohmer ou le cousinage de Hong Sang-soo ou Emmanuel Mouret, c’est-à-dire un classicisme cinématographique discret au service d’intrigues subtiles et décalées.

S’intitulant Contes du hasard et autres fantaisies, ce nouveau film d’Hamaguchi se place d’emblée sous le parrainage bienveillant d’Eric Rohmer et de ses Contes moraux ou des quatre saisons, dont le cinéaste japonais ne cherche nullement à dissimuler l’influence considérable. Comme chez Rohmer, Hamaguchi filme essentiellement le sentiment amoureux distillé à travers de copieux dialogues où les personnages s’affrontent à fleurets mouchetés. Comme Rohmer, Hamaguchi pratique un cinéma du texte, voire du verbe. C’était déjà le cas depuis Passion, le remarquable film de fin d’études qui l’a révélé, développant d’incroyables séquences dialoguées de jeu de la vérité. Bien avant Oncle Vania de Tchékhov, abondamment cité dans Drive my car, adapté de Murakami, on retrouvera dans Contes du hasard et autres fantaisies, un parfum indéniablement littéraire, presque libertin, à la manière d’un Laclos (Les Liaisons dangereuses) ou évoquant déjà Tchékhov, Maupassant ou Musset. La structure ternaire du film d’Hamaguchi pourrait s’apparenter à un film à sketches, si cette dénomination n’avait pas pris un tour légèrement dévalorisant, réservé aux saynètes comiques, en particulier les comédies italiennes. On se trouve ici en fait bien plus proche de l’esprit du genre littéraire des nouvelles, en particulier d’un film comme Le Plaisir de Max Ophuls, rassemblant trois histoires en apparence dissemblables qui poursuivent néanmoins la même finalité. Il est possible de penser aussi au Diable n’existe pas, précédent Ours d’or de Berlin, creusant la même thématique au fil de plusieurs histoires différentes.

Car les histoires de Contes du hasard et autres fantaisies ne sont reliées par aucun fil narratif ou temporel. Mais elles partagent des similitudes frappantes, en traitant à chaque fois d’un amour passé, de secret et de vengeance implicite, de passage du temps (trois jours, trois ans, voire vingt ans) et de méprise et de malentendus. Ce que Drive my car , en raison de son protagoniste masculin, avait un peu laissé à l’arrière-plan, l’aspect éminemment féminin du cinéma d’Hamaguchi, déjà très perceptible dans Senses ou Asako I et II, apparaît ici en pleine lumière. Dans la première histoire, Magie?, Meiko et Tsugami racontent leur vie sentimentale à l’arrière d’un taxi, jusqu’à ce qu’on découvre que le nouvel petit ami de Tsugami n’est autre que l’ex de Meiko, ce que cette dernière s’est bien gardé de révéler à son amie. Dans la troisième, Encore une fois, deux femmes paraissent se reconnaître plus de vingt ans plus tard comme des anciennes amies d’adolescence et de lycée. Mais est-ce la vérité ou un fantasme que chacune des deux souhaite croire? Dans la deuxième, Porte ouverte, la plus troublante, centre névralgique du film, Nao, jeune épouse et mère, tente de venger son amant qui s’est fait recaler par son professeur de lettres, auteur de romans à succès, en allant le provoquer par une lecture de la scène érotique de son ouvrage. C’est le climax orgasmique, si l’on peut dire, du film, séquence où l’érotisme verbal, absolument torride, se substitue avec élégance et tension à la sobriété du filmage. Mais cette vengeance tourne bien autrement que ce qui avait été prévu… Si les trois moyens métrages s’enchaînent dans cet ordre, c’est qu’il s’agit en l’occurrence, comme dans Pulp Fiction, d’un apprentissage du pardon et de la lucidité.

Si Hamaguchi ne se départit pas d’un style cinématographique faussement simple, à la manière d’un Ozu, et d’un rythme méditatif qui pourra paraître languissant à certains, il parvient à mettre en place un suspense à l’intérieur de chaque histoire, en confrontant les points de vue et en intervertissant les rôles, avec une économie confondante de moyens. Une véritable gageure qui illustre la maîtrise actuelle qu’il possède de son univers cinématographique, en bon élève doué et appliqué qui connaît parfaitement les codes du film d’auteur (musique classique de bon goût, inspiration littéraire, découpage sobre). Peut-être faudra-t-il par la suite qu’il se mette davantage en danger pour passer une étape supérieure, et devenir un grand inventeur de formes.

3.5

RÉALISATEUR :  Ryusuke Hamaguchi 
NATIONALITÉ : japonaise 
AVEC :  Kotone Furukawa , Ayumu Nakajima , Hyunri
GENRE : Drame, romance
DURÉE : 2h01 
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution 
SORTIE LE 6 avril 2022