La Disparition de Josef Mengele : nazi un jour, nazi toujours

Adaptation du roman éponyme d’Olivier Guez, prix Renaudot 2017, La Disparition de Josef Mengele est le nouveau long métrage du cinéaste russe Kirill Serebrennikov, désormais exilé à Berlin, et habitué de la Croisette (Leto, La Fièvre de Petrov, La Femme de Tchaïkovski ou Limonov, la ballade avaient été sélectionnés en compétition). Présenté dans la section Cannes Première, cet opus s’intéresse au destin d’un personnage monstrueux, criminel de guerre, responsables d’assassinats et d’expérimentations médicales ignobles.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Josef Mengele, le médecin nazi du camp d’Auschwitz parvient à s’enfuir en Amérique du Sud pour refaire sa vie dans la clandestinité. De Buenos Aires au Paraguay, en passant par le Brésil (où il meurt en 1979), celui qu’on a baptisé « l’Ange de la Mort » va organiser sa méthodique disparition pour échapper à toute forme de procès.

Serebrennikov choisit de raconter cette histoire glaçante dans un style très marqué, comme en témoigne le recours quasi systématique au noir et blanc très travaillé

Serebrennikov choisit de raconter cette histoire glaçante dans un style très marqué, comme en témoigne le recours quasi systématique au noir et blanc très travaillé, choix judicieux s’il en est en ce sens où il apporte une certaine distance avec ce qui nous est montré à l’écran. Par un récit assez frénétique et très morcelé (le travail sur le montage est remarquable), par une utilisation d’une musique très jazzy, il lorgne du côté du thriller politique en donnant du rythme à cette fuite en avant, cette traque quasi permanente. L’ouverture du long métrage, qui aurait eu sa place dans un film noir ou d’espionnage américain des années 50, illustre parfaitement cette idée : dans la capitale argentine, en 1956, on suit un homme qui cherche à se faire discret, baisse la tête et ne veut surtout pas se faire reconnaître, alors que son vrai nom circule un peu partout ; il s’agit bien de Josef Mengele. A mesure que ce dernier change d’identité et d’apparence, le film mute lui aussi, Serebrennikov jouant avec les lieux et les époques au sein d’un récit qui n’a plus rien de linéaire. Ce qui glace le sang dans La Disparition de Josef Mengele c’est la manière dont le cinéaste (dans les pas du romancier) met en scène ce qu’Hannah Arendt avait nommé « la banalité du mal », c’est-à-dire la capacité d’un homme ordinaire à commettre des crimes abominables. Or, Mengele, sa famille et même ses amis semblent correspondre à cette définition. Le spectateur découvre dans le même temps que l’ancien médecin d’Auschwitz et son entourage n’ont jamais renié leurs convictions, bien au contraire, ils les assument et maintiennent à qui veut l’entendre la supériorité de l’idéologie nazie, proférant à de nombreuses reprises (notamment lors du mariage de Mengele), insultes racistes et antisémites.

Ce qui glace le sang dans La Disparition de Josef Mengele c’est la manière dont le cinéaste (dans les pas du romancier) met en scène ce qu’Hannah Arendt avait nommé « la banalité du mal »

Si le cinéaste fleurte avec la complaisance (on est en droit d’être mal à l’aise devant ces passages), il réussit toutefois à ne pas y tomber pleinement. L’intervention du fils de Mengele, Rolf, qui vient rendre visite à son père en Amérique du Sud offre alors un contrepoint essentiel : celui-ci souhaite connaître la vérité et le questionne à longueur de journée, ce qui donne lieu à des échanges intenses, voire violents entre les deux, dans des scènes très verbales (Mengele semblant détester son fils, lui reprochant d’être tiède et trop sensible). Ce personnage incarne à lui tout seul toute une génération allemande, celle de l’après-guerre, partagée entre le désir de comprendre et celui de ne pas plonger dans cette histoire sordide. Cette confrontation est l’un des fils conducteurs de La Disparition de Josef Mengele.

Si le cinéaste fleurte avec la complaisance (on est en droit d’être mal à l’aise devant ces passages), il réussit toutefois à ne pas y tomber pleinement

Si le noir et blanc domine l’ensemble, la couleur est bien présente à quelques moments précis. Elle est notamment utilisée pour les souvenirs et les activités liés au camp d’Auschwitz. Il est toujours intéressant d’analyser la façon dont les cinéastes choisissent de représenter la Shoah, cela a occasionné, par le passé, de nombreux débats entre les tenants d’une impossibilité de « mettre en fiction » cet événement et ceux qui considèrent qu’il est louable de le montrer, quelle qu’en soit la forme. Dans ce long métrage, où les expérimentations médicales apparaissent frontalement, à n’en pas douter, cela suscitera des commentaires. Néanmoins, il convient de rappeler que cette séquence, aussi douloureuse soit-elle, semble nécessaire, agissant comme une piqure de rappel utile et mettant en perspective les horreurs commises sur les déportés et le discours de Mengele d’après-guerre qui s’éloigne de toute forme de repentance ou de regret. Il faut également préciser, et c’est peut-être un tour de passe-passe ou un simple « gadget » que ces prises de vue sont effectuées par un officier SS (dans le style caméra Super 8), qui documente le travail effectué : c’est donc filmé par un nazi. Probablement, on accusera le cinéaste russe de complaisance vis-à-vis du personnage de Mengele, joué avec une intensité incroyable par August Diehl (vu notamment chez Terrence Malick, dans Une Vie cachée). Un leitmotiv malheureux puisque l’an passé, d’aucuns avaient énoncé la même critique à propos du portrait de Limonov, accusant Serebrennikov d’être fasciné par son protagoniste. A la vision de ce nouveau long métrage, il paraît bien peu sérieux de pouvoir affirmer cela. D’autant plus que Mengele n’est jamais décrit de manière sympathique, surtout dans la dernière partie, où tout semble se mélanger dans un aspect protéiforme, le trop-plein menaçant même d’engloutir le film.

En définitive, La Disparition de Josef Mengele aurait eu sa place en compétition tant il aurait fait parler de lui, ce qui finalement est aussi ce que l’on attend d’un Festival : ne pas se contenter de sélectionner des œuvres consensuelles. L’œuvre est en effet exigeante, parfois peu aimable (son objectif n’est pas de caresser le spectateur dans le sens du poil), dérangeante, mais elle réussit à révéler la déshumanisation totale à l’œuvre, sans l’expliquer, la façon de penser et d’agir en nazi d’un criminel de guerre qui mourut noyé sur une plage de Sao Paulo en 1979, échappant ainsi à toute forme de procès.

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RÉALISATEUR : Kirill Serebrennikov
NATIONALITÉ : France, Russie, Mexique, Allemagne
GENRE : Biopic, Drame historique
AVEC :  August Diehl, Dana Herfurth, Burghart Klaußner
DURÉE : 2h15
DISTRIBUTEUR : Bac Films
SORTIE LE 22 octobre 2025