French director Jacques Audiard (L) leaves with French film director and Misstress of Ceremony Justine Triet after winning the Best Directing award for the film "Emilia Perez" during the 50th edition of the Cesar Film Awards ceremony at the Olympia venue in Paris on February 28, 2025. (Photo by Bertrand GUAY / AFP)

César 2025 : analyse et décryptage. Le cinéma, reflet et antidote du fracas du monde

C’était la 50ème cérémonie des César. Cinquante ans, cela se fête! Pour l’occasion, Catherine Deneuve, l’une des plus grandes actrices du cinéma français, qui ne se déplace pas beaucoup, avait accepté le rôle éminemment honorifique de Présidente ; Julia Roberts, immense star hollywoodienne, jouait celui de la vedette américaine ; et cerise sur le gâteau, c’est Cédric Klapisch, soit un vrai metteur en scène de cinéma, qui a assuré et conçu la scénographie et la réalisation de l’émission. Autant le dire tout de suite, ce fut une grande réussite, surclassant facilement les quatre dernières éditions, qui a fait honneur à ce glorieux anniversaire. Certes, c’était non exempt de longueurs inhérentes à l’exercice mais globalement l’émission fut rythmée, drôle, surprenante, et faisait montre d’un bel esprit dans la droite ligne du sourire éblouissant et inaltérable de l’invitée d’honneur, Julia Roberts qui donnait à nouveau des raisons d’espérer dans un contexte mondial plus que troublé.

La bonne idée fut déjà de commencer tôt, avec un quart d’heure d’avance sur l’horaire habituel. En entrant à travers le public de l’Olympia, Jean-Pascal Zadi donna le ton convivial, humoristique et néanmoins engagé de la soirée, stigmatisant du côté de l’équipe d’Emilia Pérez qui collectionnait le meilleur en tout, « les meilleurs tweets » de Karla Sofía Gascón ou saluant Catherine Deneuve en affirmant que si on l’élisait présidente, le monde irait certainement beaucoup mieux. Deneuve, royale, telle la regrettée Elisabeth II, n’était pas en reste en dédiant cette soirée à l’Ukraine. Le ton était donné, le cinéma ne comptait pas oublier les fracas du monde mais allait bien plutôt les refléter.

L’ensemble des prix allait ainsi dans ce sens : à commencer par Abou Sangaré qui, en recevant son César de la meilleure révélation masculine, pour L’Histoire de Souleymane, a remercié le cinéma et la France pour lui avoir redonné sa dignité d’être humain. Deux films allaient d’ailleurs dominer largement la cérémonie, sur fond de sujets sociétaux : Emilia Pérez (la transsexualité, la différence, le genre) et L’Histoire de Souleymane (les sans-papiers et leur exploitation injuste). Les autres films allaient hériter de la part congrue : les blockbusters Le Comte de Monte-Cristo (meilleurs costumes et décors) et L’Amour ouf (meilleur second rôle pour Alain Chabat). Certains autres sont repartis tout simplement bredouille, En Fanfare et Miséricorde (le grand favori de la critique). Le film de Boris Lojkine alla même si loin dans sa récolte de récompenses, quatre César dont ceux du meilleur montage, du meilleur scénario original et du meilleur second rôle féminin pour la formidable Nina Meurisse, inoubliable en enquêtrice de l’OFPRA, que l’on crut un instant qu’il allait pouvoir souffler sur le fil la victoire finale. Mais l’élan du film se brisa face aux durs pépins de la réalité, comme Souleymane confessant sa véritable histoire à l’enquêtrice, à partir de la remise du César de la meilleure photographie. A partir de là, Jacques Audiard n’avait plus qu’à dérouler pour remporter, après celui de la meilleure adaptation, devant les scénaristes du Comte de Monte-Cristo, les César les plus importants (meilleure réalisation et film) et devenir le détenteur du record du plus grand nombre de César (13) depuis l’invention de la cérémonie. Il efface ainsi définitivement des tablettes un certain Roman Polanski qui en était resté à dix. Emilia Pérez, en dépit des polémiques, affiche finalement un total de 7 César, après sa moisson aux European Film Awards et aux Golden Globes, paraissant réenclencher sa marche triomphale.

La gravité était pourtant de mise ce soir, comme en témoigne le discours lu de Jonathan Glazer, victorieux dans la catégorie du meilleur film étranger avec La Zone d’intérêt, discours qu’il est important de citer en intégralité : « Le fait que tant de personnes soient venues voir le film est extraordinaire. Le fait qu’il soit autant d’actualité est alarmant.  Aujourd’hui la Shoah et la sécurité juive sont utilisées pour justifier les massacres et les nettoyages ethniques à Gaza. Les massacres du 7 octobre et la prise d’otages en Israël – il s’agit dans un cas comme dans l’autre d’actes de terreur contre des innocents  – ont été rendus possibles par la déshumanisation des personnes qui se trouvent de l’autre côté de nos murs. C’est la zone d’intérêt », Le témoignage engagé de Costa-Gavras, César d’honneur, bien plus à l’aise qu’aux côtés de Bonnaud et Rauger, sur sa réalité de cinéaste immigré et les migrants, était du même ressort. Les fracas et la violence du monde s’invitaient à la table des César et rendaient extrêmement humbles.

Pourtant il y eut des moments authentiques de légèreté : les remerciements lunaires d’Alain Chabat, le triomphe dans les catégories du meilleur premier film et de la meilleure révélation féminine de Vingt Dieux, l’épatant film de Louise Courvoisier, Camille perdant ses escarpins sur la scène des César, le fantastique numéro de Franck Dubosc, vainqueur dans la catégorie de ceux qui n’ont jamais gagné un seul César, faisant éclater de rire Julia Roberts, cette même Julia remerciant Catherine Deneuve d’exister et d’avoir rendu le monde meilleur, Justine Triet rendant un bel hommage ressenti à l’infiniment regretté David Lynch, l’éloge de la gentillesse par un Karim Leklou tout chamboulé d’avoir reçu le César du meilleur acteur pour Le Roman de Jim, ou encore le ravissement contenu de Hafsia Herzi, l’une de nos comédiennes préférées, devant son César très mérité de la meilleure actrice (Borgo).

Tout cela était bien résumé par l’exhortation de Vincent Macaigne à crier et applaudir pour apporter un peu de légèreté à ce monde déchiré, une insoutenable légèreté qui constitue toute la noblesse infinie des artistes, petits ou grands.

Palmarès :

Meilleur film : Emilia Pérez de Jacques Audiard

Meilleure actrice : Hafsia Herzi (Borgo)

Meilleur acteur : Karim Leklou (Le Roman de Jim)

Meilleure réalisation : Jacques Audiard (Emilia Pérez)

Meilleure actrice dans un second rôle : Nina Meurisse (L’Histoire de Souleymane

Meilleur acteur dans un second rôle : Alain Chabat (L’Amour ouf

Meilleure révélation féminine : Maïwene Barthèlemy (Vingt Dieux)

Meilleure révélation masculine : Abou Sangaré (L’Histoire de Souleymane)

Meilleur premier film : Vingt Dieux, de Louise Courvoisier 

Meilleur film étranger : La Zone d’intérêt, de Jonathan Glazer

Meilleur montage : Xavier Sirven (L’Histoire de Souleymane

Meilleure photographie : Paul Guilhaume (Emilia Pérez)

Meilleur scénario original : Boris Lojkine et Delphine Agut (L’Histoire de Souleymane)

Meilleure adaptation : Jacques Audiard (Emilia Pérez

Meilleure musique originale : Clément Ducol et Camille (Emilia Pérez)

Meilleur son : Erwan Kerzanet, Aymeric Devoldère, Cyril Holtz et Niels Barletta (Emilia Pérez)

Meilleurs costumes : Thierry Delettre (Le Comte de Monte-Cristo

Meilleurs décors : Stéphane Taillasson (Le Comte de Monte-Cristo)

Meilleurs effets visuels : Cédric Fayolle (Emilia Pérez

Meilleur film de court métrage d’animation : Beurk !, de Loïc Espuche

Meilleur film de court métrage documentaire : Les Fiancées du Sud, d’Elena Lopez Riera

Meilleur film de court métrage de fiction : L’homme qui ne se taisait pas, de Nebojša Slijepčević 

Meilleur film d’animation : Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, de Gints Zilbalodis

Meilleur film documentaire : La Ferme des Bertrand, de Gilles Perret