Les Films du Losange

Miséricorde : règlements de corps

L’auteur et réalisateur Alain Guiraudie assume totalement la désuétude du titre de son nouveau long-métrage. “Il y a une atemporalité de mon cinéma. J’essaye toujours de faire des choses nouvelles avec ma nostalgie du passé.” C’est à côté de là où il est né, dans les contrées de l’Aveyron, qu’Alain Guiraudie développe l’action de son film, une occasion nouvelle de mêler surprenamment les thèmes qui lui sont chers avec une figure tutélaire du christianisme éprise de miséricorde.

Jérémie revient dans un petit village du Massif Central pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Accueilli par sa veuve, il décide de s’installer plus durablement sur ses anciennes terres, mais sa présence chamboule l’écosystème du village.

Dans Miséricorde, Guiraudie atteste une nouvelle fois son talent à croquer des dialogues et des situations rocambolesques en mêlant un trouble, indéfini et infini avec des questions morales posées par l’Église depuis des siècles.

En caméra subjective, une voiture zigzague entre les champs dorés par le soleil. La voiture poursuit sa route jusqu’à un village où l’activité déclinante est signalée par les nombreux panneaux immobiliers “À vendre !” C’est ici, à Saint-Martial, que Jérémie retrouve son ancien patron, allongé sur son lit de mort. Martine (Catherine Frot), la veuve, propose à Jérémie de rester dormir sur place dans la chambre de son fils (Jean-Baptiste Durand). S’il dit lui-même qu’il tente “de faire des choses nouvelles”, Alain Guiraudie reconvoque à l’écran plusieurs ingrédients d’une formule dont il détient les secrets. D’abord, ce Jérémie (Félix Kysyl), comme les autres héros du réalisateur, est à la recherche de lui-même, au travers d’un autre souvent étrange et différent. Ce visage, désireux et mystérieux, s’installe comme un enfant poli, ou malpoli selon le fils qui l’imagine vouloir coucher avec sa mère. Pourtant, Jérémie regarde avec ardeur une image du défunt en maillot de bain dans un corps bronzé à la mer. Il va même jusqu’à demander une photocopie à la mère, lucide sur les sentiments qu’il avouera plus tardivement. “Je l’ai toujours aimé.” Sa présence n’est pas désirée par tous, notamment par le fils qui, s’il se trompe sur ses intentions, entre dans des phases colériques que tout le monde lui connaît. “Ils l’aiment tous ce connard.” dira-t-il. Que ce soit dans la chambre, où leurs corps se rapprochent, dans leurs interactions où un sentiment les dépasse, les corps se rapprochent, troublement, dans la forêt magnifiée qui n’en est pas moins violente. 

Et c’est là, en parallèle de ce village, de ses non-dits, de ses mystères et rumeurs lancés, que l’on retrouve l’attention sensible que porte Guiraudie à la nature qui est marquée dans chacun de ses films de quelques lieux où se cristallise le désir. La forêt, là où poussent les morilles et les cèpes, devient le réceptacle d’un temps incertain aux infinies variations. Par brouillard, pluie ou temps sec, les hommes apparaissent comme par magie dans ces lieux, au même titre que des gendarmes qui entrent par effraction dans les maisons comme dans les rêves pour y mener leurs interrogatoires. Pour ne jamais totalement plonger dans le fantastique, Guiraudie n’oublie jamais que le corps est un parfait rempart contre l’oubli du réel. Alors, lorsque le corps entre en jeu, “tout marche comme sur des roulettes” annonce l’abbé qui semble mieux voir et mieux flairer que tout le monde. L’humour omniprésent secoue nos corps lorsque ceux des personnages sont traversés par des omelettes savamment épicées, par des pastis lourdement généreux, par les frissons d’un fusil prêt à refaire un cuir, par le poids d’une pierre et celui d’un corps contre la terre. 

Dans Miséricorde, Guiraudie atteste une nouvelle fois son talent à croquer des dialogues et des situations rocambolesques en mêlant un trouble, indéfini et infini avec des questions morales posées par l’Église depuis des siècles. Dans cette longue sexualité empêchée : les hommes se rejettent les uns les autres, le fils pense que Jérémie veut se faire la mère alors qu’il aime le père, la mère accepte sans la moindre rancœur l’amour éprouvé à l’égard de son mari défunt et l’abbé, qui aime sans bruit, finira par durcir les relations, pas vraiment comme on l’entend, le cœur ouvert, la soutane en moins. Si la foi est entachée, le foie l’est également, et l’on termine cette débauche contrariée par une tendresse ironique : “La main, je veux bien.” Même si son film s’ouvre et se ferme dans un cimetière, dans le cinéma de Guiraudie, la vie.  

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RÉALISATEUR : Alain Guiraudie
NATIONALITÉ : française
GENRE : comédie dramatique
AVEC : Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay
DURÉE : 1h42
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
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