L’Amour ouf : tout ça pour ça!

Si l’on compte à part deux films en collaboration (Narco et Les Infidèles), L’Amour ouf représente le deuxième film solo de Gilles Lellouche, après le triomphe du Grand Bain, présenté à Cannes hors compétition en 2018. Dans le genre difficile de la comédie chorale, Le Grand Bain avait particulièrement convaincu le public et la critique, par sa qualité d’écriture et de direction d’acteurs. Très attendu, L’Amour ouf, annoncé par son auteur comme « une comédie romantique ultra-violente » passe à la catégorie supérieure, intégrant désormais la compétition. Si Lellouche se montre extrêmement brillant à la mise en scène, assez virtuose par moments, à la direction d’acteurs et à l’écriture de dialogues, L’Amour ouf souffre d’un simplisme du propos et de la pensée, ainsi d’une répétition systématique et exagérée de la violence qui s’avère plutôt pénible.

Dans les années 80, dans le Nord de la France, Jackie et Clotaire s’aiment d’un amour fou, entre lycée pour l’une et délinquance pour l’autre. Séparés par un événement imprévisible, ils se retrouveront bien des années plus tard, sans que leurs sentiments l’un envers l’autre ne changent…

Lellouche = Lelouch? Nous n’irons pas jusque-là, mais nous ne sommes pas certains que la minceur du sujet méritait une telle prodigalité de moyens et surtout de durée. A défaut d’avoir eu L’Amour ouf, on a peut-être eu l’Amour plouf.

On avait entendu bien des rumeurs sur L’Amour ouf, adaptation d’un roman de Neville Thompson : film le plus cher jamais produit par Studio Canal avec ses 36 millions d’euros, mélange des genres entre thriller, comédie romantique et musical, oeuvre jonglant avec les époques, entre les années 80 et 90, une durée minimale de trois heures, très inhabituelle pour un film soi-disant populaire. Finalement, au moins deux de ces rumeurs s’avèrent erronées : 1) le film ne fait « que » 2h46, ce qui demeure une durée assez rédhibitoire pour un film grand public ; 2) l’aspect musical est réduit à la part congrue, correspondant à trois chorégraphies des personnages principaux par la Horde (dont une sur le titre culte A Forest de The Cure), ce qui est bien loin des films de Demy, Chazelle ou même d’Emilia Perez de Jacques Audiard.

Si on commence par le positif, L’Amour ouf constitue une démonstration assez ostentatoire de mise en scène : mouvements de caméra ultra-visibles, rythme saccadé et infernal, systématisation de la violence. Reconnaissons à Lellouche une réelle virtuosité dans le déploiement de son arsenal d’effets, empruntant à ses inspirations différentes du moment, qu’elles se nomment Gaspar Noé ou Damien Chazelle. Certes, le côté systématique du hurlement en guise d’énonciation peut paraître plus que forcé, pour signifier la violence extérieure des personnages. Mais ce passage en force en style marteau-piqueur a le mérite d’être efficace, même s’il ne permet pas la nuance.

Si on continue dans le positif, admirons la performance d’Adèle Exarchopoulos, formidable actrice, ainsi que de Mallory Wanecque, qui joue le personnage de Jackie jeune. C’est véritablement dans cette partie de la distribution que se situe la réussite du film, en particulier les échanges entre ces deux actrices et Alain Chabat, père fixant des limites malgré lui. Les personnages féminins ont sans doute bénéficié d’une coécriture attentive d’Audrey Diwan. On n’en dira pas autant de la partie masculine du casting qui se coltine à quelques exceptions près (Anthony Bajon), l’hyper-violence gratuite du projet.

Malheureusement, en effet, cette débauche de moyens, d’argent et d’énergie se trouve mise au service d’une pensée extrêmement restreinte, pauvre et peu consciente du cadre historique dans lequel se situe le film. L’essentiel de la vision thématique de L’Amour ouf réside dans la réitération de la puissance d’un amour qui ne peut s’éteindre, concept sympathique mais limité, s’il ne s’accompagne pas d’une mise en perspective historique ou philosophique. Le parti pris de Gilles Lellouche est de se situer au niveau du ras des pâquerettes de la psychologie de ses personnages, ce qui exclut d’emblée toute profondeur de réflexion, tant ces derniers ressemblent, surtout du côté masculin, à des caricatures, plus qu’à des êtres humains. Au lieu de se retrouver du côté de La Fureur de vivre de Nicholas Ray, L’Amour ouf ressemble davantage par moments à des séquences de clips qui mettent en exergue l’immaturité des adolescents. On s’interroge aussi sur le sort dévolu au personnage de Vincent Lacoste, abandonné dans une mare de sang, sans que qui que soit soit inquiété par la police, belle incohérence de scénario.

Par le simplisme du propos, L’Amour ouf ressemble en version modernisée aux films d’un autre Lelouch, la réincarnation en moins. On notera ainsi la même aisance chez Lellouche dans les séquences dialoguées et donnant l’impression d’improvisations, Adèle Exarchopoulos, en particulier, y brille avec une facilité déconcertante. On remarquera aussi la belle naïveté du propos, l’amour transcendant toutes les prisons, y compris celles du coeur et des milieux sociaux. Par conséquent, Lellouche = Lelouch? Nous n’irons pas jusque-là, mais nous ne sommes pas certains que la minceur du sujet méritait une telle prodigalité de moyens et surtout de durée. A défaut d’avoir eu L’Amour ouf, on a peut-être eu L’Amour plouf.

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RÉALISATEUR : Gilles Lellouche 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie romantique, thriller 
AVEC : Adèle Exarchopoulos, François Civil, Mallory Wanecque, Malik Frikah 
DURÉE : 2h46
DISTRIBUTEUR : StudioCanal 
SORTIE LE 16 octobre 2024