Depuis cette projection et la sortie en salle de Napoléon, beaucoup de commentaires inondent les réseaux sociaux avec, dans la plupart des cas, une critique assez négative.
Je dois avouer que j’ai pris un certain plaisir à la vision de ce Napoléon signé Ridley Scott. Certes, il ne s’agit absolument pas d’un chef d’œuvre, ni même d’un grand film. Mais pas non plus un mauvais film, encore moins la bouse que certains décrivent.
Passons assez vite sur le côté historique. Le long métrage contient de très nombreuses erreurs, c’est indiscutable. Mais loin d’être volontaires, elles témoignent d’un choix du cinéaste et de son scénariste, que l’on peut trouver discutable il est vrai (Napoléon faisant tirer sur les pyramides en Égypte, des libertés avec la chronologie à des moments majeurs…). On rappellera à toutes fins utiles qu’on est ici en présence d’un film de fiction et qu’il n’est nullement interdit de malmener l’histoire au cinéma. A tous ceux qui crient au scandale (surtout dans la presse de droite ou ultra réac), on ne saurait que trop leur conseiller d’aller se plonger dans un ouvrage de synthèse (ils sont nombreux) ou de visionner des documentaires historiques bien plus rigoureux. La levée de bouclier contre le film à ce niveau renseigne sur plusieurs choses : d’abord, que Napoléon, comme d’autres avant, semble intouchable, inattaquable, une sorte de pilier de la maison (nation) France. Ensuite que ce personnage historique (comme d’autres) existe par l’image que chacun s’en fait, souvent liée à la fameuse légende napoléonienne. Celle que l’empereur lui-même s’est construite, et que ses thuriféraires ont volontiers prolongée et diffusée à travers notamment des écrits divers et variés.
Mais, revenons au film lui-même. Sur ce point, une évidence s’impose : Napoléon de Ridley Scott était attendu, par son sujet mais aussi par la figure de son réalisateur. C’était oublier un peu vite que ledit Sieur Scott possède une filmographie très inégale, alternant des sommets (Les duellistes, Alien, Blade Runner, 3 films incroyables qu’il enchaîne l’un après l’autre, sans oublier Thelma et Louise) et des creux, entre ratages et navets de luxe (1492, Prometheus, Alien Covenant, Exodus). Avec, au milieu, quelques films sympathiques à l’image de Seul sur Mars. L’année 2021 est une synthèse parfaite en la matière : un excellent film (Le dernier duel) et un navet (House of Gucci). Bref, tout ceci explique finalement pourquoi, à titre personnel, je n’attendais rien de spécial de ce énième Napoléon.
Force est de constater que le cinéaste réussit la partie mise en scène. Si la première partie est trop heurtée, souffrant d’un montage abrupt (marquée par une succession de dates plus ou moins connues, le tout servi par des ellipses monumentales), le reste est loin d’être inintéressant. Prenons l’exemple des scènes de bataille, remarquablement filmées, rythmées, bénéficiant d’une belle photographie. Elles mettent le plus souvent en avant le stratège Napoléon, son génie militaire. La musique corse (magnifique idée), qui évoque l’origine insulaire du personnage, apporte un côté funèbre aux batailles (mention spéciale à celle d’Austerlitz).
Mais il est vrai que l’aspect central du film réside ailleurs : dans la relation amoureuse et passionnée entre Bonaparte et Joséphine de Beauharnais (incarnée par Vanessa Kirby). C’est à n’en pas douter cet angle d’attaque qui gêne, dérange ou ennuie, c’est selon. L’idée de Ridley Scott consiste ni plus ni moins à réhumaniser l’empereur des Français, à le montrer dans toutes ses contradictions : fort et courageux sur le champ de bataille, mais ridicule, indécis et caractériel dans l’intimité. Eh bien… pourquoi pas ?
Et si le projet de Scott était tout simplement de déconstruire la légende napoléonienne ? 2 scènes semblent selon moi venir confirmer cette intuition : lors du sacre en 1804, le peintre David réalise des croquis pour préparer son futur chef d’oeuvre. Mettre en image la puissance de l’empereur , la légitimer et la faire rentrer dans l’Histoire. Un peu plus tard, Napoléon discute avec Talleyrand, alors que David est en train de peindre la partie centrale de son tableau, celle de l’auto-couronnement. Une scène qui ne fut pas retenue car elle évoquait trop le côté autoritaire du régime et rappelait aussi le coup d’État du 18 brumaire. Loin d’être anodines, ces 2 courtes scènes soulignent bien l’intention de Scott.
Elles me font penser à 2 tableaux d’un même événement qui s’opposent : le passage du col du Grand St Bernard par David (la légende) et par Delaroche (la réalité, moins glorieuse et qui fait moins rêver). Ce film, s’il déconstruit la légende, n’est pas pour autant une vision purement critique de Napoléon, ni, comme on a pu le lire, une vision pro-anglaise et un film anti-français.
Sur l’interprétation maintenant. Si je ne suis pas véritablement emballé par l’interprète de Joséphine, ni par son côté trop moderne, je dois admettre que j’ai été assez séduit par Joaquim Phoenix. Alors qu’il est trop âgé pour interpréter le jeune Bonaparte (c’est assez flagrant dans la première partie du long métrage), il réussit par un jeu étrange et fascinant, assez nuancé et parfois détaché, à incarner Napoléon, du moins à s’en approcher. Si pour certains, il n’est pas NAPOLÉON, je répondrai qu’il réussit à en restituer la quintessence, l’essence même. Souvent, d’ailleurs, Ridley Scott use de symboles pour exprimer son point de vue (à l’image de la mise en scène de la chute à Sainte-Hélène, pour ne prendre qu’un seul exemple). Une autre séquence pourrait illustrer cet aspect : celle du divorce où Napoléon n’hésite pas à gifler sa femme afin qu’elle se hâte de parapher le contrat de séparation. Signalons également que Joaquim Phoenix est souvent filmé de dos, telle une ombre, une sorte de fantôme traversant sa propre histoire (idée que Scott ne développe pas davantage cependant).
En conclusion, s’il est tout à fait légitime de se poser la question de la pertinence d’une nouvelle adaptation à l’écran de la vie de l’empereur, je n’ai aucun mal à admettre (cela va en surprendre plus d’un) le plaisir certain que j’ai pris devant ce Napoléon. Sans tutoyer les sommets, mais sans non plus être déshonorant, cette œuvre possède suffisamment de qualités (modestes mais bien réelles néanmoins) pour intriguer, et le plus important, divertir.