House of Gucci : Lady Gucci

Trois metteurs en scène ont profité de la pandémie pour réaliser deux films cette année : Chloé Zhao, Edgar Wright et…Ridley Scott qui, avec ses 27 films, représente un dinosaure du cinéma parmi ces jeunes pousses. Après Le Dernier Duel sorti en octobre, qui, en dépit d’un échec public assez retentissant, manifestait un certain regain de forme, voici donc sur les écrans House of Gucci, sur la grandeur et la décadence d’une des grandes familles de la mode. Les deux films se passant à des époques diamétralement différentes, l’un dans un Moyen-Age barbare et misogyne, l’autre lors d’une période relativement contemporaine, de la fin des années 70 au milieu des années 90, ils ne paraissent pas avoir tant de points communs l’un avec l’autre. Pourtant c’est bien plus le cas qu’il n’y paraît de prime abord. Tout comme Le Dernier Duel, House of Gucci dresse le portrait d’une femme apparemment en retrait, méprisée et vilipendée, qui possède cependant le véritable pouvoir et tire les ficelles d’un conflit qui va déterminer le destin et l’avenir d’une grande famille.

Gucci est une marque reconnue et admirée dans le monde entier. Elle a été créée par Guccio Gucci qui a ouvert sa première boutique d’articles de cuir de luxe à Florence il y a exactement un siècle. À la fin des années 1970, l’empire italien de la mode est à un tournant critique de son histoire. Si l’entreprise rayonne désormais à l’international, elle est handicapée par des rumeurs de malversations financières, une innovation en berne et une dévalorisation de la marque. Le groupe est dirigé par les deux fils du fondateur – Aldo, personnage rusé et haut en couleur, et son frère Rodolfo, beaucoup plus froid et traditionnel. Pugnace, Aldo n’a pas la moindre intention de céder le contrôle de l’empire à qui que ce soit – et certainement pas à son fils Paolo, garçon fantaisiste qui aspire à devenir styliste. Quant à Maurizio, fils timide et surprotégé de Rodolfo, il a davantage envie d’étudier le droit que de diriger un groupe de luxe mondialisé. C’est alors que Maurizio tombe amoureux de la ravissante et manipulatrice Patrizia Reggiani et, contre l’avis de son père, décide de l’épouser.

Si House of Gucci est avant tout un film de comédiens, qui bénéficie d’une distribution exceptionnelle, disons-le haut et fort, le film n’existerait pas sans la performance extraordinaire de Lady Gaga.

Le Dernier Duel, en dépit de ses défauts évidents de construction scénaristique, représentait un renouveau d’inspiration pour Ridley Scott, cinéaste difficile à situer, entre faiseur habile et metteur en scène brillant et doué. Il serait facile d’énumérer ses échecs artistiques, de véritables flops, dont on se demande parfois ce qui a pu le décider à les réaliser, hormis la consistance non négligeable de beaux chèques : Une grande année, Robin des bois, Hannibal, A armes égales, 1492: Christophe Colomb. A sa décharge, ses réussites sont aussi nombreuses, des oeuvres qui sont progressivement devenues de véritables classiques, s’imposant comme des références incontournables de leur genre : Duellistes, Alien, Blade Runner, Thelma et Louise et Gladiator. Entre les deux, se situent le plus grand nombre des films de Ridley Scott, l’essentiel de son oeuvre, des films moyennement bons ou brillamment moyens, où Scott ne renouvelle pas les genres mais se contente de les illustrer relativement bien. Dans cette catégorie, il est possible de ranger Tout l’argent du monde, American Gangster, etc. avec quelques coups d’éclat incompris et peut-être méconnus comme Cartel, des films à la facture assez impersonnelle où Ridley Scott fait étalage de son savoir-faire, à défaut de son inspiration. Dans cette catégorie, Le Dernier Duel représente plutôt le haut du panier ; où se situe exactement House of Gucci, une oeuvre qui serait un peu le film italien de Ridley Scott – via son épouse productrice du projet, italienne d’origine, – tout comme Une grande année était son film français?

Si Ridley Scott représente l’archétype du cinéaste talentueux, plus ou moins mercenaire, passant de commandes hétéroclites en projets plus personnels, il n’en demeure pas moins qu’un fil rouge parcourt sa filmographie inégale, sa fascination pour les femmes et leur rôle dans la société. De Ripley, le symbole féministe de la combattante et survivante, à Thelma et Louise qui refusent le diktat de la conjugalité empoisonnée, Scott a souvent défendu les femmes. Dans ce double feu d’artifice de 2021, on pourrait sans difficulté rapprocher Marguerite de Carrouges, victime courageuse, de Patricia Reggiani, amoureuse manipulatrice. La première est certes un personnage positif, détenant la vérité au milieu de versions contradictoires, alors que l’autre se teint des couleurs les plus sombres, au fur et à mesure de House of Gucci, mais les deux se tiennent à l’ombre du pouvoir, alors qu’elles en tirent peut-être les véritables ficelles. Au milieu d’univers aussi misogynes l’un que l’autre (le Moyen-Age, les milliardaires du luxe), elles focalisent l’intérêt de Ridley Scott et sans elles, ses deux films s’écrouleraient immédiatement.

Car, si Le Dernier Duel tenait grâce à une reconstitution historique âpre et dénuée de sentimentalité, House of Gucci se livre en fait à une satire de l’univers de la mode et du luxe, considéré comme la description d’une famille dysfonctionnelle, assez proche, Italie oblige, des familles de la Mafia. On comprend mieux le projet de Scott si l’on sait que Robert De Niro devait tenir à l’origine le rôle de Rodolfo (campé ici par un impeccable Jeremy Irons), le frère d’Aldo (Al Pacino). Il s’agissait donc de réaliser une sorte de parodie du Parrain, de satire humoristique à la manière de John Huston dans le remarquable Honneur des Prizzi. Néanmoins Ridley Scott n’est malheureusement pas John Huston et ne possède pas son esprit acéré et ironique. Il se contente ici le plus souvent d’illustrer dans une absence de style parfaitement impersonnelle, dont la bande originale est le plus bel exemple, enchaînant les succès des années 70-80 comme un juke-box automatique, sans les mettre en scène et en situation (Heart of glass de Blondie, Ashes to ashes de Bowie, Blue Monday de New Order, Here comes the rain again d’Eurythmics ou encore Faith de George Michael). Si la première heure du film s’avère la plus réussie car étant la plus drôle, elle le doit davantage à l’abattage de ses comédiens exceptionnels, que par la grâce d’une mise en scène qui aligne les poncifs sans s’excuser le moins du monde. Lorsque l’intérêt retombe lors d’une deuxième partie bien trop longue (le film dure 2h37 et pâtit surtout de sa deuxième partie), le style illustratif et manquant de rythme de Scott fait bien davantage ressembler son film à une série télévisée sur les soucis d’une grande famille dysfonctionnelle, qu’à du grand cinéma. L’oeuvre reprend néanmoins de la prestance grâce à son troisième et dernier acte, qui s’apparente à de la tragédie shakespearienne, Scott sachant accompagner son personnage jusqu’aux limites du comportement psychotique.

Car si House of Gucci est avant tout un film de comédiens, qui bénéficie d’une distribution exceptionnelle, disons-le haut et fort, le film n’existerait pas sans la performance extraordinaire de Lady Gaga. En Patricia Reggiani, développant son personnage de l’ingénue amoureuse dans le style d’Elizabeth Taylor ou de Betty Boop jusqu’à devenir une Lady Macbeth jalouse et manipulatrice, elle brille de toutes ses étincelles à chaque plan, une actrice-née renvoyant aux oubliettes par son seul charisme des comédiens pourtant aussi brillants qu’Al Pacino ou Adam Driver. Sexy, drôle, terrifiante, émouvante, elle fait preuve d’un abattage dramatique hors du commun. Seul Jared Leto, absolument méconnaissable dans le rôle de Paolo, un styliste raté, parvient à tirer son épingle du jeu, face à ce phénomène d’une magnitude rarement vue. Il ne fait guère de doutes que l’on retrouvera ces deux-là, a minima nommés aux Oscars, sinon vainqueurs dans leurs catégories respectives. La fin du film renvoie d’ailleurs à A Star is born, évoquant la revendication définitive du nom du mari. Car il suffit de remplacer tel nom par un autre pour s’apercevoir qu’en tournant ce drame, Lady Gaga continue à édifier sa propre légende, celle de l’une des rares comédiennes capables de porter de bout en bout un film, voire de le sauver quasiment à elle seule, l’une des meilleures découvertes qui soient arrivées récemment à Hollywood. Un peu comme cet empire du luxe qu’une femme a pu promouvoir en le dirigeant dans l’ombre de son mari. Une femme qui s’appelait Lady Gucci.

3.5

RÉALISATEUR :  Ridley Scott 
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Lady Gaga, Adam Driver, Jared Leto, Al Pacino, Jeremy Irons, Salma Hayek, Camille Cottin
GENRE : Drame, biopic
DURÉE : 2h37
DISTRIBUTEUR : Universal International Pictures France
SORTIE LE 24 novembre 2021