David Lynch, cinéaste aussi dérangeant qu’accompli, scénariste, acteur, peintre, musicien et photographe, a réalisé 10 films entre 1977 et 2006, qui, chacun à leur manière, ont laissé une empreinte dans l’histoire récente du cinéma américain, et influencé une tripotée de réalisateurs dans cette mouvance surréaliste qui lui a valu un Lion d’Or d’honneur à Venise en 2006 pour sa carrière. Le top qui va suivre est purement subjectif et ne représente pas bien sûr l’avis de toute la rédaction de MovieRama.
10. Une histoire vraie (1999)
Petit OVNI de sa filmographie, de par sa narration limpide et son ambiance touchante et loin du bizarre auquel le réalisateur nous avait habitué, ce road-movie raconte l’histoire d’Alvin, 73 ans, qui après une chute l’obligeant à utiliser une deuxième canne, apprend que son frère, avec qui il est fâché depuis 10 ans, a été victime d’une attaque. Problème : il habite le Wisconsin et Alvin n’a plus de permis de conduire valide. Il se résout à prendre la route sur son micro-tracteur tondeuse à gazon pour parcourir les 240 miles (386 kilomètres) qui le séparent de son frère. Un récit simple et touchant, ponctué de rencontres qui l’amèneront à faire le point sur les grands évènements de sa vie, et qui se veut l’éloge de la lenteur dans un monde qui va trop vite, où seules quelques touches d’effets sonores bien sentis ou de mouvements de caméra caractéristiques rappellent que David Lynch est derrière la caméra.
9. Inland Empire (2006)
Dernier long-métrage en date du cinéaste, Inland Empire (qui est aussi le nom d’un quartier de la cité des anges, et donc dernier film de la trilogie de Los Angeles après Mulholland Drive et Lost Highway) raconte l’histoire très décousue de Nikki Grace (Laura Dern), actrice, épouse d’un homme fortuné, qui attend avec impatience de savoir si elle a été sélectionnée pour un rôle dans une nouvelle production hollywoodienne. Une voisine énigmatique lui rend visite et lui prédit qu’elle sera acceptée. Le lendemain, elle reçoit un appel qui lui annonce qu’effectivement elle est retenue pour le rôle mais il s’avère que le film est maudit, le tournage précédent ayant été annulé après que les deux comédiennes principales ont été assassinées. Cauchemar hollywoodien, film expérimental, difficile d’accès, à l’intrigue éclatée, qui incarne dans toute sa splendeur ce qui peut rebuter certains spectateurs à pénétrer l’univers sombre et onirique du réalisateur. En somme, l’exact opposé d’Une Histoire Vraie.
8. Dune (1984)
L’unique film de science-fiction que Lynch a réalisé est aussi son plus grand échec tant personnel que commercial (par rapport à son budget de production). Dix-sept ans avant le Dune de Denis Villeneuve, Lynch nous racontait l’histoire de la planète Arrakis, de son Épice, des Atréïdes et des Harkonnens. Le tournage est marqué par des conflits avec la production, mais aussi des montages et remontages dont certains pour lesquels le fameux pseudonyme d’Alan Smithee (nom utilisé pour les longs métrages que les auteurs ne veulent pas signer) sera crédité au générique… Un film qui n’a malheureusement pas très bien vieilli, mais qui est devenu culte pour une partie de la communauté de fans du roman du Premier cycle de Dune de Frank Herbert, ayant surtout le mérite de provoquer la rencontre décisive entre David Lynch et Kyle MacLachlan.
7. Eraserhead (1977)
Premier long-métrage du cinéaste, Eraserhead est l’histoire de Henry Spencer, un homme sans histoire vivant dans une ville industrielle particulièrement lugubre, dont la femme vient de le quitter en lui laissant dans les bras un nouveau-né, prématuré et monstrueux. Il s’échappe de son univers oppressant, dans lequel le bébé ne cesse de pleurer, pour aller dans un monde parallèle où vit la Dame du radiateur. Une ambiance terriblement angoissante et morose, Lynch pose alors les jalons aux yeux du grand public de ce qui deviendra sa patte cinématographique.
6. Elephant Man (1980)
Ce film, également tourné en noir et blanc, est une adaptation romancée des mémoires de Frederick Treves, le médecin (joué par Anthony Hopkins, Le silence des agneaux) qui prit en charge Joseph Merrick, surnommé « Elephant Man » (« l’homme-éléphant ») du fait de ses nombreuses difformités dues à son elephantiasis, une pathologie du système lymphatique. Une adaptation tout en finesse, en pudeur, qui soulève la question de la normalité des personnes vues comme des monstres et de la monstruosité de ceux qui se considèrent dans la norme.
5. Blue Velvet (1986)
Blue Velvet raconte l’histoire d’un jeune étudiant (Kyle MacLachlan) qui, rentrant chez lui pour rendre visite à son père malade, découvre une oreille humaine coupée dans un champ. L’oreille l’amène à découvrir une vaste conspiration criminelle et à nouer une relation amoureuse avec une chanteuse de bar à problèmes. Une ambiance de film néo-noir hypnotique au milieu de l’Amérique fantasmée des années 50 si chère à Lynch, un Dennis Hopper (Easy rider) délirant et un érotisme marqué grâce au talent et à la beauté d’Isabella Rossellini, sont les ingrédients de ce long-métrage qui restera longtemps dans les mémoires, d’ailleurs supposé par certains cinéphiles être un préquel à Twin Peaks.
4. Lost Highway (1997)
Le film suit un musicien (Bill Pullman, Independance day, The Sinner) qui commence à recevoir de mystérieuses cassettes VHS de lui et de sa femme (Patricia Arquette, True romance, Human nature) dans leur maison. Il est soudainement condamné pour meurtre, après quoi il disparaît inexplicablement à cause d’un homme mystérieux (Robert Blake). Il est remplacé par un jeune mécanicien (Balthazar Getty, Lame de fond) menant une vie différente. Mais, peu à peu, des éléments de son passé resurgissent. Un récit divisé en deux parties, demandant plusieurs visionnages pour être bien compris, avec des zones d’ombres qui persistent encore malgré tout, pendant que l’on voit passer les lignes jaunes de l’autoroute la nuit, et que défile le générique de fin dans le silence puis avec « I’m deranged« , de David Bowie. Film culte des nineties, avec ses références soulignées au film noir Hollywoodien, ses cigarettes, ses femmes fatales, et ses personnages torturés, on atteint la quintessence de l’art de David Lynch dans ce top.
3. Sailor & Lula (1990)
Dans ce road-movie rock’n’roll, tragique, étrange et sexy, Sailor (Nicolas Cage, Leaving Las Vegas) et Lula (Laura Dern) s’aiment d’un amour fou, absolu. Mais ils doivent échapper à la mère psychopathe de cette dernière, Marietta (Diane Ladd, nulle autre que la mère de Laura Dern!), qui s’oppose à cette liaison. Au cours de leur cavale pour échapper à Marietta, ils croisent de nombreux personnages étranges et inquiétants, parmi lesquels le déjanté Bobby Peru (Willem Dafoe, The Lighthouse). Une ribambelle de personnages dérangeants et hauts en couleurs, des scènes cultes à foison (entre autres Cage qui chante « Love me » d’Elvis sur scène), ce film auréolé de la Palme d’or de l’année 1990 raconte la pureté de l’amour progressivement contaminé par la noirceur du monde qui l’entoure.
2. Twin Peaks : Fire Walk With Me (1992)
Dans une petite ville de l’état de Washington en apparence tranquille, une lycéenne, Laura Palmer, est retrouvée décédée au bord d’un lac, emballée dans un sac en plastique. C’est le pitch de l’épisode pilote de la série Twin Peaks co-créée avec Mark Frost et diffusée entre 1990 et 1991, qui connaîtra initialement deux saisons, dont le préquel sortira un an plus tard. On découvre alors ce qui s’est réellement passé les sept derniers jours de la vie de Laura Palmer. Toute l’ambiance de cette bourgade est là, mais portée à un niveau cinématographique qui sublime l’intrigue, les personnages, la musique inoubliable d’Angelo Badalamenti, pour ce film qui sera un passage obligé à quiconque s’aventurera à regarder la saison 3, sortie vingt-cinq ans plus tard dans laquelle on retrouvera le légendaire Dale Cooper (Kyle MacLachlan).
1. Mulholland Drive (2001)
Sans surprise, le numéro 1 de ce top est donc le film le plus abouti, le plus maitrisé et le plus caractéristique de toute l’œuvre de David Lynch. Mulholland Drive raconte l’histoire de Betty Elms (Naomi Watts, 21 grammes, Funny Games US), aspirante actrice fraîchement arrivée à Los Angeles, qui se lie d’amitié avec une femme amnésique (Laura Harring, The Punisher) rescapée d’un accident qui lui a permis d’échapper à un meurtre. Le récit expose d’autres faits sans lien apparent, qui finissent par se connecter de diverses manières, un puzzle de symboles à recomposer soi-même, sans jamais avoir la garantie d’avoir élucidé la totalité du mystère à double voire triple lecture.
Mais peu importe, cet étrange sentiment difficile à caractériser, mélange d’amertume, de mélancolie, de confusion, et de refus de quitter l’univers fantasmagorique du film, que l’on porte en nous à la fin du visionnage, est peut-être ce qui définit le mieux le style cinématographique inégalable de David Lynch.