Rencontre avec Jeanne Aslan et Paul Saintillan, réalisateurs de FIFI – deuxième partie : des personnages empathiques

Après une passionnante première partie où le duo de cinéastes expliquait les thèmes sociaux contenus dans ce film, la deuxième partie de l’entretien réalisé dans le cadre de la sortie de Fifi le 14 juin 2023 se focalise sur la représentation des personnages, dans un échange axé sur la caractérisation des protagonistes, pour ainsi mieux comprendre et cerner les contours de deux jeunes en recherche d’un confort absolu, d’une quête d’identité.

Malgré une famille légèrement dysfonctionnelle, il y a tout de même une communication entre Fifi et sa mère. 

J.A : Oui, on voulait faire ressortir la filiation. Fifi ne vient pas de nulle part. Ces deux-là sont un peu spéciaux, ils ont aussi une personnalité. Ce sont des marginaux. Ils écoutent de la musique, sont bohèmes en réalité. 

P. S : La chanson Le Gitan de Daniel Guichard, cela correspond aussi à quelque chose. 

On a l’impression que les parents sont démissionnaires, puis on se rend compte que la mère a quand même une affection envers sa fille, et inversement. Il n’y a pas cette incommunicabilité. C’est en fait une famille qui reste unie, malgré les problèmes. Fifi se nourrit aussi de ça pour avancer aussi. Est-ce que ça l’influence dans son désir d’être une femme forte ? 

J.A : En tout cas, ce qui était important, c’est qu’il y ait un petit quelque chose qui soit glissé. La mère veut lancer Stéphane vers son avenir. Elle ne dit rien de précis, comme toujours quand on lit les lignes de la main. 

P. S : On voulait évoquer une perspective beaucoup plus floue dans le cas de Stéphane que dans celui de Fifi.  

J.A : Et puis en même temps, il y a des petites phrases où l’on sent l’amour d’une mère. Elle défend sa fille, et elle est accueillante, gentille. 

P. S : C’est la comédienne qui est excellente. Quel plaisir de voir ce sourire à la fin quand elle lui referme la main.

J. A : Le film raconte ces deux manières d’être au monde, qui se confrontent et influent l’une sur l’autre. C’est cela qui va les porter.

Dans une relation qui est aussi dominée par cette sensation de faiblesse de Stéphane, que la force de Fifi vient combler.  

P. S : Quand il y en a un qui se baisse, l’autre le relève. C’est un équilibre. Ils se mettent à niveau.

J.A : On la sent davantage armée que lui, qui a cette fragilité. C’est un grand sensible qui n’a pas sa place. Il ne la trouve pas à cause de sa sensibilité. Quand Fifi trouve chez lui une revue avec marqué dessus “Peut-on être gentil et réussir ?”, c’est une question véridique et Stéphane se la pose. Pour elle, cela ne se pose pas, mais pour lui, ses études font qu’il se pose cette question. Celle-ci est étrange. 

Une gentillesse qui garantit cette union, aussi le fait de devoir s’armer pour affronter un avenir plus confortable.

J. A : Pour revenir à la force et à cette sensibilité dans laquelle il se situe… Il possède un pied dans l’âge adulte, il commence à percevoir ce monde tandis qu’elle ne les perçoit pas encore. On voit bien qu’il tente de régler cette question, et également de pouvoir profiter d’une soirée entre amis sans être dans le questionnement. Il y a chez lui une mélancolie de grand sensible, du romantisme, d’une personne qui est sans doute un peu en dépression. 

La caractérisation des personnages est bien effectuée. On ressent leurs émotions, surtout chez Stéphane qui possède un tempérament anxieux et cette indécision permanente, qui le rend attachant.

J. A : On sent qu’il est ainsi, dans cette période de sa vie, dans cette indécision, ses questionnements et ses doutes sur sa capacité à trouver sa voie. L’avenir le stresse, cela le perturbe, et il est aussi perturbé par le fait de ne pas être comme tout le monde, comme toutes ces personnes qui savent où ils vont. Ça lui paraît totalement étranger. On voit bien que ça ne lui convient pas, c’est aussi lié à son milieu, mais ce n’est pas normal d’être ainsi. De plus, il veut se lancer dans des choses, où il n’a pas forcément sa place, et il ne s’en rend pas compte. 

Fifi lui apporte du confort et de la sécurité, elle qui aime prendre des initiatives, l’aider. C’est elle qui prend les décisions et lui vient contrebalancer tout cela, avec sa peur de l’échec. 

J.A : Elle est entreprenante. Une opportunité se présente, et elle bondit, les choses lui viennent facilement, tandis que l’on ne sait même pas si Stéphane a obtenu lui-même ce travail saisonnier, sans aide de sa mère. Pour Fifi, le travail est un luxe. Cela représente de l’argent. Alors qu’elle passe l’été sans rien faire, à traîner à droite à gauche, elle a l’occasion de se focaliser sur ce travail, et donc de s’occuper. En plus, on ressent sa joie de travailler.

C’est un portrait d’adolescente, avec toutes ses qualités, ses défauts, ses faiblesses. 

J.A : C’est une jeune pousse, une future femme. On voulait que ce récit soit un maillon important de son histoire.

Pensez-vous qu’il y a une forme de maturité précoce ?

P. S : Oui, cela contraste avec Stéphane, qui est un peu immature, qui rentre dans l’âge adulte un peu à reculons, alors que Fifi avance, car elle est déjà confrontée à des difficultés. Il faut quitter la débrouille. 

J.A : Imaginez, à 15 ans, gérer une famille, les factures d’électricité… Est-ce normal, pour une jeune fille, de savoir comment régler une facture ? Ça la met dans le bain, c’est une habitude. On est automatiquement impliqué dans des désagréments d’adultes, des problématiques qui vous font grandir. 

On voit aussi dans le film des scènes prenantes qui se passent dans le microcosme familial, avec cette relation tendue entre cette mère et la sœur jouée par Megan Northam, ce qui prouve que Fifi contient une dureté, mais compensée par une légèreté. Les interprètes sont tous excellents. Quentin Dolmaire est bon dans ce rôle d’étudiant lunaire, rêveur, bohème, mais Céleste Brunnquell en impose vraiment dans ce personnage sympathique. Comment le choix de l’actrice s’est il imposé ? 

P. S : On pensait que l’on trouverait notre Fifi dans un casting sauvage, on avait vu dans les rues de notre quartier un exemple de jeune fille mal habillée qui aurait pu correspondre.

J.A : Il fallait surtout trouver une comédienne qui fasse jeune, car Fifi a 15 ans.

P.S : À l’époque du casting, Céleste tournait Les Éblouis, de Sarah Suco. On n’avait pas vu le film, on savait pour sa nomination aux Césars, dans la catégorie meilleur espoir féminin. On n’avait pas regardé la série En thérapie, car Arte ne la diffusait pas encore. On a une directrice de casting qui auditionne beaucoup de jeunes filles à Paris, mais on n’avait jamais vu Céleste, ni l’entendu parler. En parlant avec Jeanne, on se disait qu’en regardant notre Fifi, on saurait reconnaître l’actrice et que la question ne se poserait même pas. Quand on a vu le petit entretien sur notre ordinateur portable dans notre salle à manger, Jeanne s’est levée. Alors, j’en avais les larmes aux yeux.

J.A : On a passé cinq ans à écrire ce récit, avec ce personnage en tête. Elle avait ce regard, cette couleur de cheveux, une ressemblance physique, de grands yeux écarquillés. On dit énormément de bien de Céleste, de son jeu, elle est intéressante, c’est incroyable. 

P. S : Pour vous donner un exemple, il y a cette scène où elle essaie de repousser le plafond avec les mains et les pieds. Quand on mettait ce plan en place, sur le lit superposé, en haut, on disait que cela pouvait ne pas être gracieux. On envisage plusieurs techniques, on n’était pas convaincu au moment de tourner, et pourtant, tout le monde était saisi, car cela passait bien à l’image.

Elle porte beaucoup le film sur ses épaules. On parlait du film de Sarah Suco. Les deux personnages se ressemblent, tous deux doivent supporter des contextes familiaux. L’actrice a un côté candide et avenant qui colle au caractère de Fifi. Comme Stéphane, elle est attachante, avec un capital sympathie. Concernant les derniers plans, vous montrez la mer. Que représente l’océan pour Fifi? Une nouvelle direction ? Un nouvel horizon ?

P. S. C’est un nouvel horizon. Ainsi, elle fait ce que personne n’a fait pour elle, et elle emmène son frère et sa sœur sur la côte.

J.A : Ne pas voir la mer, c’était une réalité.  De plus, on voulait finir sur une note belle et poétique, observer la mer du Nord, et faire en sorte que ces enfants soient heureux, que Fifi se dise, j’ai gagné de l’argent, donc je peux faire ce voyage.

Fifi est en salle, et MovieRama vous le conseille vivement !

Entretien réalisé par Sylvain Jaufry le 13 juin 2023.