Avec Le Ravissement d’Iris Kaltenback, Prix Louis-Delluc du Premier Film 2023, Hafsia Herzi a sans doute trouvé l’un de ses plus beaux rôles, en sage-femme en mal d’amour et de maternité, perdue dans la solitude urbaine de la capitale. Depuis ses débuts fracassants dans La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche, Hafsia Herzi a surtout joué des personnages donnant dans la tchache et la verve méditérrannéennes. Le Ravissement lui offre enfin l’occasion d’un contre-emploi étonnant qui lui permet de passer un palier important, et pourrait lui valoir a minima une nomination méritée au César de la meilleure actrice. Après une première partie d’entretien centrée sur Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, cette deuxième partie part sur les chemins de traverse d’une discussion à bâtons rompus, évoquant tout aussi bien sa carrière d’actrice et de réalisatrice, son mentor Abdellatif Kechiche, et ses prochains projets qui vont lui permettre d’occuper une nouvelle place assez centrale dans le cinéma français.
Je suis heureux de vous retrouver dans un premier rôle dans Le Ravissement car récemment, on vous a souvent vue dans des films choraux.
Dernièrement, pas mal. C’est vrai qu’au début j’ai fait un certain nombre de premiers rôles et pas mal de films choraux ces derniers temps, mais ça me plaît aussi, j’aime bien.
C’est bien aussi mais quand on est un peu fan de vous, on veut vous voir tout le temps à l’écran! (rires)
Il faut le dire aux metteurs en scène! (rires). C’est vrai ce que vous dites mais je ne me rends pas bien compte, comme j’ai réalisé à côté…
C’est vrai aussi que vous vous êtes donnée le premier rôle dans votre premier film, Tu mérites un amour. Mais c’était un hasard?
Oui parce que je n’avais pas trop le choix et j’avais envie de faire vite. Je me suis dit « allez lance-toi « . Et ce film, Tu mérites un amour, m’a énormément apporté. Cela m’a permis de faire mon deuxième film, j’ai eu des propositions de nouveaux personnages. Je n’avais pas mis actrice de côté mais je n’avais pas forcément des rôles qui me plaisaient tout le temps. J’aimais bien aussi me retrouver parmi les autres.
Il y a eu aussi La Cour, un téléfilm sur Arte, que vous avez fait à partir d’un scénario que vous n’avez pas écrit.
C’est ça. On m’a proposé de le faire donc je me suis dit, pourquoi pas essayer? J’ai réadapté, j’ai essayé de faire le maximum car c’était très court en termes de temps. C’est une belle expérience mais je ne sais pas si je la renouvellerai. Car la télé, c’est très difficile. Vraiment peu de temps, peu de moyens. C’était éprouvant. Je préfère le cinéma car j’avoue que, pour la télé, il existe beaucoup de gens derrière qui vont donner leur mot sur tout, sur la musique, sur le montage, etc. Donc ce n’est pas évident. Je trouve que j’ai plus de liberté au cinéma. En plus, j’étais frustrée car je voulais le sortir au cinéma. Et apparemment on ne peut plus sortir les films de télé au cinéma. J’avais proposé au producteur de le faire mais on ne peut plus.
J’ai lu que les critiques qui vous avaient fait le plus plaisir, c’était pour votre rôle du Ravissement, alors que je pensais que c’était plus pour vos films en tant que réalisatrice.
Ah non, pour mes films aussi, j’en étais vraiment heureuse. Il y a eu des choses vraiment magnifiques pour Bonne mère. Même en rêve, je n’aurais jamais imaginé avoir une telle reconnaissance. Cela encourage, cela donne de la force. Parce que réaliser un film, c’est terrible, on est seul face à son oeuvre. Je me suis toujours dit que, quoi qu’on en pense, au fond de moi, cela a été fait avec sincérité. On aime ou on n’aime pas. Quand on reçoit du positif en retour, c’est incroyable. J’ai vraiment de la chance, j’ai été souvent encouragée.
Dans Bonne mère, il y avait une dimension opératique, de comédie musicale, qui était très surprenante et que j’ai trouvée très réussie.
J’ai vraiment adoré ce tournage. C’est un film important pour moi car c’est inspiré de ma mère. En plus, j’adore la musique, les chansons, ça me bouleverse. Cela aide beaucoup pour l’écriture, à imaginer des situations. Malheureusement, pour Bonne mère, on n’a pas eu le public car le pass sanitaire est sorti quasiment en même temps.
Dans la mise en scène, il existe des défis qui vous tentent?
Parfois on se dit, j’ai envie de le faire mais on ne le fait pas. Moi par exemple, je rêve de faire un film en 4/3 mais je n’ose pas encore. J’ai envie de le faire mais j’ai peur de me lancer. La voix off dans Le Ravissement, il y en a plein qui veulent le faire mais qui n’osent pas.
De mémoire, en 4/3. il y a Falcon Lake de Charlotte Le Bon...
Oui, il y a aussi les films d’Andrea Arnold qui m’inspirent beaucoup. Bonne Mère, j’ai voulu le faire en 4/3 mais je me suis dit quand même le cinéma, c’est le scope…Mais j’adore ce format.
Parce que vous trouvez que c’est plus intime? Cela ressemble un peu à des pochettes de vinyles.
Oui, je trouve qu’on est plus proche des visages, des personnages.
La dernière fois que je vous ai interviewée, on parlait déjà ensemble de la suite de Mektoub my love. Et ce n’est toujours pas sorti…
Je n’ai pas de nouvelles. Aucune idée. J’espère que cela sortira un jour. Je pense que c’est l’envie d’Abdellatif (Kechiche, NDLR) de le sortir de toute façon.
Intermezzo a été projeté à Cannes en 2019 et il y aurait deux autres films?
Il y aurait un autre film. Apparemment, il a rassemblé Intermezzo et le 3ème autre film, mais je ne sais pas du tout quand ça va sortir. Il n’y aurait donc qu’un seul autre film, Intermezzo rassemblé avec le 3ème volet. J’espère que ça va sortir un jour parce que, franchement, je pense que je ne vais même pas me reconnaître dans le film, tellement ça fait longtemps (rires)! Je pense que ça date de 2016, cela fait sept ans, c’est énorme.
Vous pensez que ce long délai est dû à quoi? Des problèmes de montage ou le distributeur qui…
Au départ, ce sont des problèmes de droits musicaux qui n’étaient pas signés et donc cela fait beaucoup d’argent.
Ce n’est pas le distributeur qui hésiterait à le sortir parce que le climat ne serait pas particulièrement propice en ce moment?
Non, non, le principal problème, ce sont les droits musicaux qui coûtent une fortune. Parce que ce sont des titres qui coûtent très cher. Après il y a peut-être eu d’autres choses mais je n’en sais pas plus. Le peu que j’ai vu, c’est magnifique. C’est vraiment incroyable. J’étais passée le voir au montage et après, j’ai arrêté car je ne peux pas, C’est tellement beau que je ne vais pas réussir à faire mes films! C’est vraiment impressionnant. Cela donne envie d’arrêter.
Cela devrait au contraire vous encourager. Mais nous sommes d’accord, c’est très impressionnant, tous ses films. C’est l’un des meilleurs, que ce soit en France ou dans le monde.
C’est l’un des meilleurs. C’est un grand talent. J’espère qu’il va vite revenir parce que, franchement, il manque à beaucoup de personnes. Même dans la rue, on m’arrête pour demander, « bah alors Mektoub?« . C’est un grand cinéaste.
Par rapport à vos projets en tant qu’actrice ou réalisatrice, j’ai vu que vous avez tourné avec Stéphane Demoustier.
Oui, mon prochain film qui s’appelle Borgo sur une surveillante de prison. C’était super. C’est moi qui joue la surveillante de prison. C’est un nouveau défi. C’est une autre ambiance. J’ai adoré travailler avec Stéphane. Super rencontre, super projet. Il sortira en avril 2024.
Et vous avez déjà tourné aussi le film d’André Téchiné?
Formidable aussi. J’ai tourné avec Isabelle Huppert dans le film de Téchiné et je retrouve prochainement Isabelle Huppert dans le nouveau film de Patricia Mazuy. Oui, je suis vraiment contente. Cela m’apprend beaucoup, y compris sur le métier de metteur en scène. Pour moi, chaque expérience, je prends, cela m’enrichit. Je rencontre des acteurs, des techniciens, c’est incroyable.
En tant que metteur en scène, vous avez aussi d’autres projets?
J’ai deux scénarios écrits. Deux adaptations, dont l’un inspiré d’un livre qui s’appelle La Petite dernière de Fatima Daas. C’est un projet qu’on m’a proposé et j’avais envie de me lancer des défis d’adaptation. Le deuxième, c’est un roman de Leila Slimani, Dans le jardin de l’ogre. La Petite dernière, c’est parti en financement et l’autre, sans doute l’année prochaine. Je n’avais pas d’idées, de toute façon. Ce n’est pas un exercice facile, je suis très contente, C’est un beau défi artistique, en tout cas. J’avais envie d’essayer.
Le film que vous avez préféré récemment?
Retour à Séoul de Davy Chou. Je ne sais pas si vous l’avez vu. L’actrice est incroyable, la mise en scène extraordinaire. C’est magnifique. Un grand cinéaste. Du coup, j’ai regardé ses autres films et c’est un choc incroyable. Je recommande Retour à Séoul.
Toute dernière question, comment vous avez vécu le confinement?
C’était stressant. Les médias, les autorisations pour sortir. J’avais tourné une partie de Bonne Mère, trois semaines et j’ai dû arrêter à cause du confinement. Du coup, je regardais les rushes de Bonne mère, je faisais du sport, j’essayais de m’avancer pour le futur tournage. On a repris l’été. C’est un film qui s’est fait sur deux saisons. J’ai profité à fond pour dérusher. Ce qui m’a aidé à tenir le coup, c’est le sport, je courais beaucoup, et puis aussi la cuisine et les rushes de Bonne Mère. Quand on s’occupe du dérushage, c’est tellement pointilleux et précis, on n’a pas envie de voir d’autres films. Dans le négatif, cela m’a finalement apporté du positif. Cela m’a permis de laisser reposer l’oeuvre et d’avoir plus de distance.
Entretien réalisé par David Speranski le 7 octobre 2023
Dans la première partie de l’entretien, Hafsia Herzi a évoqué Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, remarquable premier film d’une cinéaste douée et talentueuse, Prix Louis-Delluc du Premier Film.