Oscars 2025 : analyse et décryptage. L’art et la vie

Au cinquantième anniversaire des César, le mot d’ordre, lancé par Vincent Macaigne, consistait à rechercher la légèreté en dépit de la gravité et de la pesanteur ambiantes. Lors de la 97ème cérémonie des Oscars, hier soir, on avait l’impression que cette légèreté était d’ores et déjà atteinte. On s’attendait à des allusions plus ou moins directes à l’actualité, y compris des attaques à l’égard du nouveau Maître du monde. Elles furent peu nombreuses : citons l’intervention conjointe de Whoopi Goldberg et Oprah Winfrey qui ne cachèrent guère leur mépris envers Trump, Daryl Hannah qui afficha ouvertement son soutien à l’Ukraine, les réalisateurs Yuval Abraham, Basel Adra, Hamdan Ballal, Rachel Szor de No other land qui invitèrent « le monde à prendre des mesures sérieuses pour mettre fin à l’injustice et au nettoyage ethnique du peuple palestinien. » ou Adrien Brody stigmatisant l’intolérance et l’antisémitisme virulent à l’égard des ressortissants du peuple juif. Pourtant, comme enrobées entre de larges couches de séquences musicales et de distribution de prix, ces interventions isolées semblaient anesthésiées, comme si la bulle hollywoodienne recouvrait toutes les indignations, y compris celles aussi concernant l’oubli étonnant d’Alain Delon, Bertrand Blier, Shannen Doherty et Michelle Trachtenberg, lors de la séquence traditionnelle In Memoriam de nos chers disparus du cinéma.

Cette année, contrairement à l’année dernière qui bénéficiait d’un favori évident, Oppenheimer de Christopher Nolan, au moins cinq films sur les dix nommés pouvaient prétendre à la récompense suprême, l’Oscar du meilleur film : Emilia Pérez, The Brutalist, Conclave, Anora, Un Parfait inconnu. Chaque semaine ou presque, depuis l’ouverture de la période pré-Oscars, via la cérémonie des Golden Globes, un film différent prenait la tête de la course, en tant que nouveau favori potentiel. Nous vécûmes la polémique désormais fameuse sur les tweets de Karla Sofía Gascón, – prétexte de blagues ne prêtant guère à conséquences de Conan O’Brian, l’animateur de la soirée des Oscars -, celle sur l’utilisation de l’IA pour perfectionner l’accent hongrois des acteurs de The Brutalist, etc. Finalement, suite à la chute inéluctable d’Emilia Pérez, le duel entre les trois favoris tourna court assez rapidement, dès qu’Anora s’empara de l’Oscar du scénario original. Conclave, le souffle aussi court que celui du Pape François, abandonna la course dès l’obtention de l’Oscar de la meilleure adaptation, laissant The Brutalist jouer le rôle du seul challenger d’Anora. Pourtant le film de Brady Corbet, en dépit de ses trois récompenses (meilleure photographie, meilleure musique, meilleur acteur), ne fut jamais en position de menacer l’hégémonie d’Anora.

Le film de Sean Baker réussit ainsi une performance rare, remporter à la fois la Palme d’or et l’Oscar du meilleur film, ce qui n’a été accompli que trois fois auparavant par les films suivants, Le Poison de Billy Wilder (mais le Grand Prix, ancien nom de la Palme d’or, a été décerné en 1946 à 11 films), Marty de Delbert Mann (film très anodin ayant mal vieilli) et surtout Parasite de Bong Joon-ho en 2020. Depuis 2020, on assiste donc à un rapprochement de plus en plus évident entre Cannes et Hollywood, l’accueil des films à Cannes pavant une voie royale pour de possibles Oscars. Sean Baker accomplit surtout une prouesse exceptionnelle, en véritable homme-orchestre du cinéma, en remportant quatre Oscars à lui tout seul, comme scénariste, monteur, réalisateur et producteur. Sur 6 nominations, Anora en a transformé 5, le contraire absolu d’Emilia Perez (de 13 nominations à 2 prix) ou The Brutalist (de 10 nominations à 3 prix), manière de montrer de façon lapidaire que le nombre de nominations n’est pas forcément significatif.

Malgré les 4 Oscars glanés par la représentation française (2 pour Emilia Pérez, 1 pour The Substance pour ses coiffures et maquillages, 1 pour Flow, coproduction française, Oscar du meilleur film d’animation), la moisson s’avère bien moins prometteuse que prévu. Emilia Pérez, plombé par les tweets de Karla Sofía Gascón, une diffusion limitée aux Etats-Unis sur la plateforme Netflix, et une polémique supplémentaire sur la représentation soi-disant caricaturale du Mexique, sauve l’honneur avec deux récompenses (meilleur second rôle féminin pour Zoe Saldaña et meilleure chanson). Aurait-il fait beaucoup mieux sans ce qui, objectivement, jouait contre son succès? On ne le saura jamais. Seule Camille semble avoir mis du baume au coeur de tous les supporters du film, en entonnant un joyeux « oouh oouh« , clin d’oeil à Sympathy for the Devil des Rolling Stones, en se voyant remettre le prix de la meilleure chanson par un Mick Jagger toujours fringant, en dépit de ses 80 ans, Elle poursuivit en chantant a capella un mélancolique et vibrant « Emilia, Emilia« , qui émut sans nul doute les admirateurs du film.

Les principales surprises concernent malheureusement d’un côté l’Oscar du meilleur film international, échappant à Emilia Pérez et célébrant le beau et émouvant film brésilien, Je suis toujours là, de Walter Salles ; et surtout de l’autre, The Substance : Coralie Fargeat passe ainsi à côté de l’Oscar du scénario original qui couronne Anora et plus étonnant encore, pour l’Oscar de la meilleure actrice, Demi Moore, la grande favorite, se voit supplanter dans une sorte de remake live de The Substance par Mikey Madison, sa rivale plus jeune d’une quarantaine d’années. Les Oscars se sont montrés décidément bien cruels en faisant ainsi confirmer par la vie le message du film sur le jeunisme imposé. Pourtant, si l’on considère les lauréates des quinze dernières années, une dizaine relève davantage de l’âge mûr (Cate Blanchett, Michelle Yeoh, Frances McDormand, Jessica Chastain, Sandra Bullock, Renee Zellweger, Meryl Streep, Julianne Moore, Olivia Colman) que des jeunes pousses (Jennifer Lawrence, Brie Larson, Emma Stone). Demi Moore a en fait surtout manqué de chance en tombant sur l’année où Anora était porté par une vague irrésistible. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elle n’a pas cillé, continuant à applaudir vaillamment, et n’a pas souhaité afficher sa déception qui devait être pourtant immense. On espère qu’elle s’en remettra.

Si l’on s’intéresse aux méandres du destin, l’on constatera que la déroute d’Emilia Pérez a empêché pour la 22ème année consécutive la France de remporter l’Oscar du meilleur film international. Tous les signaux étaient pourtant au vert mais la malédiction du signe indien qui frappe la France n’a pas été vaincue. De plus, Fernanda Torres, l’actrice remarquable de Je suis toujours là, a été nommée 27 ans plus tard dans la même catégorie, celle de la meilleure actrice, que sa mère, Fernanda Montenegro et comme elle, a perdu face à une jeune actrice (Mikey Madison, en lieu et place de Gwyneth Paltrow). Enfin, étrangement, Demi Moore qui a connu le plus haut pic commercial de sa carrière avec Striptease, en devenant l’actrice la mieux payée d’Hollywood, est battue cette année par une actrice interprétant, paradoxe du destin, une…strip-teaseuse.

Les préjugés ont la vie dure. On croyait l’Académie des Oscars coincée et puritaine, davantage encline à privilégier des oeuvres « respectables » comme Conclave, plutôt que des films affranchis des contraintes de la morale bien-pensante. Or en 1970, l’Académie avait déjà couronné Macadam Cowboy qui traitait de la prostitution homosexuelle. Le fait de célébrer Anora permet à Hollywood de s’aligner (définitivement?) sur le cinéma indépendant et les films à petit budget (par exemple, 6 millions de dollars pour Anora) et de prendre la défense inattendue des travailleuses du sexe. Ce n’est pas le dernier paradoxe d’une Académie toujours prête à évoluer et à se renouveler. « Longue vie au cinéma indépendant! « , comme s’est exclamé Sean Baker.

Le palmarès de la 97e édition des Oscars :

Meilleur film

Anora – Alex Coco, Samantha Quan et Sean Baker (producteurs) – VAINQUEUR

The Brutalist – Nick Gordon, Brian Young, Andrew Morrison, D.J. Gugenheim et Brady Corbet (producteurs)

Un Parfait Inconnu – Fred Berger, James Mangold et Alex Heineman (producteurs)

Conclave – Tessa Ross, Juliette Howell et Michael A. Jackman (producteurs)

Dune, deuxième partie – Mary Parent, Cale Boyter, Tanya Lapointe et Denis Villeneuve (producteurs)

Emilia Pérez – Pascal Caucheteux et Jacques Audiard (producteurs)

I’m Still Here – Maria Carlota Bruno et Rodrigo Teixeira (producteurs)

Nickel Boys – Dede Gardner, Jeremy Kleiner et Joslyn Barnes (producteurs)

The Substance – Coralie Fargeat et Tim Bevan & Eric Fellner (producteurs)

Wicked – Marc Platt (producteur)

Meilleure actrice

Mikey Madison – Anora – VAINQUEUR

Cynthia Erivo – Wicked

Karla Sofía Gascón – Emilia Pérez

Demi Moore – The Substance

Fernanda Torres – I’m Still Here

Meilleur réalisateur

Sean Baker – Anora – VAINQUEUR

Brady Corbet – The Brutalist

James Mangold – Un Parfait Inconnu

Jacques Audiard – Emilia Pérez

Coralie Fargeat – The Substance

Meilleur acteur

Adrien Brody – The Brutalist – VAINQUEUR

Timothée Chalamet – Un Parfait Inconnu

Colman Domingo – Sing Sing

Ralph Fiennes – Conclave

Sebastian Stan – The Apprentice

Meilleure musique de film

The Brutalist – Daniel Blumberg – VAINQUEUR

Emilia Pérez – Clément Ducol et Camille

Conclave – Volker Bertelmann

Wicked – John Powell et Stephen Schwartz

Le Robot Sauvage – Kris Bowers

Meilleur film international

I’m Still Here – Brésil – VAINQUEUR

La Jeune Femme à l’aiguille – Danemark

Emilia Pérez – France

Les Graines du figuier sauvage – Iran

Flow – Lettonie

Meilleure photographie

The Brutalist – Lol Crawley – VAINQUEUR

Dune, deuxième partie – Greig Fraser

Emilia Pérez – Paul Guilhaume

Maria – Ed Lachman

Nosferatu – Jarin Blaschke

Meilleur court métrage (prises de vues réelles)

I’m Not A Robot – Victoria Warmerdam et Trent – VAINQUEUR

A Lien – Sam Cutler-Kreutz et David Cutler-Kreutz

Anuja – Adam J. Graves et Suchitra Mattai

The Last Ranger – Cindy Lee et Darwin Shaw

The Man Who Could Not Remain Silent – Nebojša Slijepčević et Danijel Pek

Meilleurs effets visuels

Dune, deuxième partie – Paul Lambert, Stephen James, Rhys Salcombe et Gerd Nefzer – VAINQUEUR

Alien : Romulus – Eric Barba, Nelson Sepulveda-Fauser, Daniel Macarin et Shane Mahan

Better Man – Luke Millar, David Clayton, Keith Herft et Peter Stubbs

La Planète des singes : Le Nouveau Royaume – Erik Winquist, Stephen Unterfranz, Paul Story et Rodney Burke

Wicked – Pablo Helman, Jonathan Fawkner, David Shirk et Paul Corbould

Meilleur mixage de son

Dune, deuxième partie – Gareth John, Richard King, Ron Bartlett et Doug Hemphill – VAINQUEUR

Un Parfait Inconnu – Tod A. Maitland, Donald Sylvester, Ted Caplan, Paul Massey et David Giammarco

Emilia Pérez – Erwan Kerzanet, Aymeric Devoldère, Maxence Dussère, Cyril Holtz et Niels Barletta

Wicked – Simon Hayes, Nancy Nugent Title, Jack Dolman, Andy Nelson et John Marquis

Le Robot sauvage – Randy Thom, Brian Chumney, Gary A. Rizzo et Leff Lefferts

Meilleur film documentaire

No Other Land – Basel Adra, Rachel Szor, Hamdan Ballal et Yuval Abraham VAINQUEUR

Black Box – Shiori Ito, Eric Nyari et Hanna Aqvilin

Porcelain War – Brendan Bellomo, Slava Leontyev, Aniela Sidorska et Paula DuPre’ Pesmen

Soundtrack to a Coup d’État – Johan Grimonprez, Daan Milius et Rémi Grellety

Sugarcane – Julian Brave NoiseCat, Emily Kassie et Kellen Quinn

Meilleur court métrage documentaire

The Only Girl in the Orchestra – Molly O’Brien et Lisa Remington – VAINQUEUR

Death by numbers – Kim A. Snyder et Janique L. Robillard

I am Ready, Warden – Smriti Mundhra et Maya Gnyp

Incident – Bill Morrison et Jamie Kalven

Instruments of a beating heart – Ema Ryan Yamazaki et Eric Nyari

Meilleure chanson originale

El Mal – Emilia Pérez – VAINQUEUR

The Journey – The Six Triple Eight

Like A Bird – Sing Sing

Mi Camino – Emilia Pérez

Never Too Late – Elton John : Never Too Late

Meilleurs décors

Wicked – Nathan Crowley et Lee Sandales – VAINQUEUR

The Brutalist – Judy Becker et Patricia Cuccia

Conclave – Suzie Davies et Cynthia Sleiter

Dune, deuxième partie – Patrice Vermette et Shane Vieau

Nosferatu – Craig Lathrop et Beatrice Brentnerová

Meilleure actrice dans un second rôle

Zoe Saldaña – Emilia Pérez – VAINQUEUR

Monica Barbaro – Un Parfait Inconnu

Ariana Grande – Wicked

Felicity Jones – The Brutalist

Isabella Rossellini – Conclave

Meilleur montage

Anora – Sean Baker – VAINQUEUR

The Brutalist – David Jancso

Conclave – Nick Emerson

Emilia Pérez – Juliette Welfling

Wicked – Myron Kerstein

Meilleurs maquillages et coiffures

The Substance – Pierre-Olivier Persin, Stéphanie Guillon et Marilyne Scarselli – VAINQUEUR

A Different Man – Mike Marino, David Presto et Crystal Jurado

Emila Pérez – Julia Floch Carbonel, Emmanuel Janvier et Jean-Christophe Spadaccini

Nosferatu – David White, Traci Loader et Suzanne StokesMunton

Wicked – Frances Hannon, Laura Blount et Sarah Nuth

Meilleur scénario adapté

Conclave – Peter Straughan – VAINQUEUR

Un Parfait Inconnu – James Mangold et Jay Cocks

Emilia Pérez – Jacques Audiard avec Thomas Bidegain, Léa Mysius et Nicolas Livecchi

Nickel Boys – RaMell Ross et Joslyn Barnes

Sing Sing – Clint Bentley et Greg Kwedar

Meilleur scénario original

Anora – Sean Baker – VAINQUEUR

The Brutalist – Brady Corbet et Mona Fastvold

A Real Pain – Jesse Eisenberg

September 5 – Moritz Binder et Tim Fehlbaum, coécrit par Alex David

The Substance – Coralie Fargeat

Meilleure création de costumes

Wicked – Paul Tazewell – VAINQUEUR

Un Parfait Inconnu – Arianne Phillips

Conclave – Lisy Christl

Gladiator 2 – Janty Yates et Dave Crossman

Nosferatu – Linda Muir

Meilleur court métrage d’animation

In The Shadow of the Cypress – Shirin Sohani et Hossein Molayemi – VAINQUEUR

Beautiful Men – Nicolas Keppens et Brecht Van Elslande

Magic Candies – Daisuke Nishio et Takashi Washio

Wander to Wonder – Nina Gantz et Stienette Bosklopper

Beurk ! – Loïc Espuche et Juliette Marquet

Meilleur film d’animation

Flow – Gints Zilbalodis, Matīss Kaža, Ron Dyens et Gregory Zalcman – VAINQUEUR

Vice-versa 2 – Kelsey Mann et Mark Nielsen

Mémoires d’un escargot – Adam Elliot et Liz Kearney

Wallace et Gromit : La palme de la vengeance – Nick Park, Merlin Crossingham et Richard Beek

Le Robot Sauvage – Chris Sanders et Jeff Hermann

Meilleur acteur dans un second rôle

Kieran Culkin – A Real Pain – VAINQUEUR

Yura Borisov – Anora

Edward Norton – Un Parfait Inconnu

Guy Pearce – The Brutalist

Jeremy Strong – The Apprentice