The Substance : le portrait de Dorian Gray en version body horror

Coralie Fargeat s’était faite remarquer avec Revenge, une version féministe d’un sous-genre du film d’horreur, le rape and revenge. Remarquablement mis en scène, son premier film s’était pourtant fait taxer d’opportunisme en raison de sa sortie en février 2018, quelques mois après le phénomène #MeToo, alors que le scénario avait été écrit bien auparavant, en 2015. Elle effectue une entrée fracassante au Festival de Cannes, avec son projet de body horror féministe, The Substance, interprété par le tandem Demi Moore-Margaret Qualley. Toujours porté par une mise en scène éblouissante, The Substance montre que Coralie Fargeat, en bonne cinéaste punk, ne possède absolument aucune limite. En cinéphile avertie, elle parvient à revisiter des influences conscientes, tout en servant un projet extrêmement personnel. Sa fable fantastique sur les apparences et le jeunisme à Hollywood peut donner l’impression de mixer divers modèles littéraires et cinématographiques, traitant de l’éternelle jeunesse, Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, Sunset Boulevard de Billy Wilder, etc., mais ce qu’écrit, réalise et produit Coralie Fargeat ne ressemble en fait profondément qu’à elle-même.

Elisabeth Sparkle est une star hollywoodienne depuis plus de trente ans. Elle possède son étoile sur Hollywood Boulevard. Mais elle n’anime plus qu’une émission de gym tonic. Un jour, elle a un accident de voiture. Elle retrouve dans un de ses vêtements un mystérieux message sur une substance qui pourrait changer sa vie. Dans l’espoir de retrouver sa jeunesse disparue, elle décide un jour de tenter l’expérience.

Toujours porté par une mise en scène éblouissante, The Substance montre que Coralie Fargeat, en bonne cinéaste punk, ne possède absolument aucune limite.

Dans Revenge, Coralie Fargeat partait des clichés (une bombe sexy soi-disant peu fûtée, de la masculinité alpha hyper-toxique) pour mieux les dépasser. The Substance choisit la métaphore du genre pour faire passer la pilule de l’obsession du jeunisme et de la beauté éternelle à Hollywood. Rarement une cinéaste a aussi bien utilisé le genre pour faire supporter des sujets aussi douloureux pour chacun que la fuite de la jeunesse et l’inéluctable vieillissement. Pour ce faire, elle a rédigé un scénario extrêmement inventif sur la duplication d’ADN qui permettrait d’obtenir une meilleure version de soi-même. Par sa mise en scène précise et efficace, elle rend ainsi crédible tout un dispositif médical d’injections, de recharges et de transferts. Car la Substance crée une meilleure version de soi mais cette version n’est qu’opérationnelle qu’une semaine sur deux, l’autre semaine étant dévolue à la matrice d’origine.

Soumise au joug des apparences, Elisabeth Sparkle (Demi Moore, casting parfait) veut rester jeune et belle à tout prix. C’est ce que lui permet la Substance en créant Sue (Margaret Qualley en version améliorée), un avatar d’elle-même, plus jeune et plus belle. Dans son style cinématographique, Coralie Fargeat ne s’arrête pas à des subtilités, elle fonce directement dans le tas, en convoquant des prédécesseurs prestigieux, Kubrick (Eyes wide shut, 2001, Shining), Lynch (Elephant Man, Mulholland Drive), De Palma (Carrie, Pulsions), et surtout Cronenberg, le maître du body horror (Videodrome, Faux semblants), tout en ne négligeant pas néanmoins de faire oeuvre très spécifiquement personnelle. Coralie Fargeat se permet tout, y compris citer Vertigo d’Alfred Hitchcock au moyen de quelques lignes musicales de Bernard Herrmann.

Réflexion sur l’obsession de la jeunesse et de la beauté éternelle, The Substance fascine par le déploiement de moyens mis en oeuvre au service d’une fable de science-fiction très épurée.

Réflexion sur l’obsession de la jeunesse et de la beauté éternelle, The Substance fascine par le déploiement de moyens mis en oeuvre au service d’une fable de science-fiction très épurée. Demi Moore, star de cinéma qui n’a jamais totalement convaincu dans ses interprétations, y trouve ici le rôle de sa vie, tandis que Margaret Qualley confirme qu’elle appartient bien aux jeunes talents les plus prometteurs. Lorsque le film entre dans sa phase de climax, Coralie Fargeat aurait pu facilement se contenter d’un affrontement alléchant entre Elisabeth et Sue, sa meilleure version d’elle-même. Elle va beaucoup plus loin, n’hésitant pas à franchir allégrement la frontière du bon goût à de multiples reprises. Elle y va avec un plaisir potache de jouer avec les références, de choquer de manière salutaire le spectateur, et de rompre de manière chaotique avec la crédibilité bien-pensante. Il n’est pas impossible que The Substance, film sous tension permanente et affichant une santé cinématographique insolente, devienne un film culte et une référence absolue pour le body horror..

5

RÉALISATRICE : Coralie Fargeat  
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : fantastique, science-fiction, horreur 
AVEC : Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid 
DURÉE : 2h20
DISTRIBUTEUR : Metropolitan Film Export 
SORTIE LE prochainement